La sélection anglaise, prophète en son pays ?

Les Three Lions se sont qualifiés sans trop de difficultés pour la Coupe du monde à venir en Russie. 8 victoires, 2 nuls, 18 buts plantés pour 3 encaissés. Une ligne de statistiques qui fera plaisir aux amoureux des chiffres, mais cela ne doit pas faire oublier une réelle faiblesse dans le jeu. L’Angleterre est une équipe qui se cherche encore, et qui cherche parfois même ses supporters… La sélection semble de moins en moins suivie, et que dire de certains joueurs miraculeusement blessés lors de cette trêve internationale…  Pourquoi la sélection anglaise semble-t-elle moins en vue que les clubs britanniques ?

La Perfide Albion centrée sur elle-même, jusqu’à la victoire suprême

Le football est plus qu’un sport Outre-Manche, c’est une véritable religion, un art que l’on pratique depuis la fin du XIXe siècle. Pourtant, la sélection anglaise a mis du temps à se faire un nom sur la scène internationale. En effet, le football britannique était en autarcie totale, organisant depuis 1883 le British Home Championship entre les quatre nations britanniques – Ecosse, Angleterre, Pays de Galle et l’Irlande- championnat seulement abandonné en 1984.

Les Britanniques n’avaient donc que peu d’intérêt pour le football étranger, et les amoureux du ballon rond étaient plus enclins à suivre leur club local que l’équipe nationale. Les Anglais étaient néanmoins persuadés d’être les meilleurs, que leur football était au-dessus du reste du monde puisqu’ils n’avaient jamais perdu un seul match amical sur leurs terres contre les autres nations européennes. Ce sentiment fut remis en question lorsque les Three Lions ne réussirent pas à sortir de la phase de groupes de la Coupe du Monde 1950 au Brésil. Cette impression de supériorité footballistique fut d’autant plus balayée avec fracas lorsqu’en 1952, le WM anglais (tactique notamment théorisée par Herbert Chapman dans les 20’s) se prit une leçon de football à Wembley par la Hongrie, menée par Ferenc Puskás… Résultat ? 3-6, les visiteurs repartirent avec la victoire et la dignité des Anglais en prime. Les Anglais, humiliés, demande une revanche qui eut lieu en 1954, et ils se prennent alors un violent 7 à 1 à Budapest… Plus de doute, le pays inventeur du football est à la traîne et ne peut rivaliser avec les meilleures nations mondiales. Lors de la Coupe du monde 1954, l’Angleterre se qualifie difficilement pour les quarts mais se fait sortir par l’Uruguay. Ainsi, la sélection anglaise ne déplace pas les foules, l’engouement pour elle est très limitée par rapport à la ferveur autour des clubs locaux.

Il faut attendre cette fameuse Coupe du monde de 1966 pour voir l’Angleterre s’émanciper des autres nations britanniques et revendiquer son anglicité. Sans rentrer dans les détails historiques et sociaux (les sources en fin d’article), c’est lors de de cette épopée que la sélection prit une place bien plus importante dans les cœurs et les esprits anglais. Cette Coupe du Monde sur leurs terres fut l’événement propice à l’union entre la sélection anglaise et ses supporters à travers quelques matchs de légende. Comment ne pas mentionner ce quart de finale face à l’Argentine, un match âpre (ou âcre, c’est selon) à n’en pas douter, et un combat de tous les instants (même après le match dans le couloir du stade) ! Au terme de cet affrontement dantesque, ce sont les Anglais qui se qualifient en demi-finale grâce à son capitaine Geoffrey Hurst. C’est sur ce genre de match légendaire que s’est construite, non seulement l’histoire d’une sélection, mais aussi une base solide de supporters. Forts de ce succès, les Anglais sortent le Portugal d’Eusebio pour terrasser l’Allemagne de l’Ouest en finale sur le score de 4 à 2. Pour la première fois de son histoire, la sélection anglaise est sacrée Championne du Monde, chez elle, devant un public tout acquis à la cause de la nation, et bien aidée par le développement de la télévision qui permit de retransmettre l’événement à bien plus grande échelle.

Les Three Lions étaient sur le toit du monde, avec un public pour les porter au sommet pour de nombreuses années disait-on. Oui, l’Angleterre avait dorénavant ses héros, l’immense Bobby Charlton, rescapé miraculeux du tragique accident d’avion dont fut victime Manchester United, ou encore son capitaine, légende de West Ham, Geoffrey Hurst qui mit le triplé salvateur en finale contre l’Allemagne de l’Ouest. Tous ces espoirs furent de courte durée, car s’il est difficile de se hisser au sommet du monde, il est encore bien plus ardu d’y rester.

Le déclin du football anglais : entre la violence et les mauvaises performances

Les anglais n’ont pas été capables d’assumer ce tout nouveau statut lors de la décennie suivante, se faisant sortir en quart de finale lors de la Coupe du Monde de 1970 au Mexique par l’Allemagne de l’Ouest. Dix ans durant, les Three Lions semblaient s’enfoncer dans un profond déclin, la sélection étant incapable de se qualifier pour les grandes compétitions internationales que ce soit le Championnat d’Europe des nations ou la Coupe du Monde. Rien n’y fait, les anglais restent à quai jusqu’en 1982.

Cependant, le facteur premier du désamour entre le grand public et la sélection anglaise, ne serait pas forcément ce manque de résultats. D’après l’historien du football James Walvin : « Ceux qui ont déserté le jeu […] citent le hooliganisme comme principale cause de leur désenchantement et il n’y a aucune raison de douter de leur parole » (Walvin, 2001, p. 154-165). Le hooliganisme, mouvement apparu dans les années 70, aurait donc eu une part importante dans ce manque d’intérêt pour la sélection anglaise. Des groupes de jeunes suivaient l’équipe quand elle se déplaçait à l’extérieur et se rendaient souvent coupables de violences envers les supporters adverses. Les hooligans Anglais sont tristement célèbres dans l’Histoire, notamment pour la tragédie de Heysel de 1985. Lors d’un Liverpool-Juventus, les hooligans anglais se sont introduits dans une tribune réservée aux Italiens pour en prendre la possession, créant un énorme mouvement de foule, faisant 39 morts et plus de 400 blessés. Les clubs anglais furent bannis 5 ans de toutes compétitions européennes, ce qui n’arrangea pas leur image mais aussi celle de leur sélection. Les anglais ont une vision presque masochiste de leur nation car persuadés du déclin de leur pays (chose encore très présente aujourd’hui). Ainsi la déchéance de la sélection anglaise va de pair avec celle de la nation.

« Ceux qui ont déserté le jeu […] citent le hooliganisme comme principale cause de leur désenchantement et il n’y a aucune raison de douter de leur parole » – James Walvin

Les anglais se désintéressent quelque peu de leur sélection qui ne fait qu’échouer sur le plan international. En 1986, lors de la Coupe du monde qui eut lieu au Mexique, c’est bien l’Angleterre qui se fait sortir par l’Argentine de Maradona en quart de finale. Ils seront, à cet instant, marqués à jamais du sceau de Diego Armando Mardona, qui marqua l’un des plus beaux buts de l’histoire (avec aux commentaires le légendaire Victor Hugo Morales), ainsi que la fameuse « Main de Dieu ». Cette humiliation ultime a imprégné l’Histoire du ballon rond, avec la sélection anglaise victime sacrificielle sur l’autel à la gloire de Maradona.

Il faut attendre la coupe du monde de 1990 en Italie pour voir l’engouement pour les Three Lions revenir. En terres italiennes, l’Angleterre réalise un très beau parcours et se hisse jusqu’en demi-finale face à l’Allemagne. Malheureusement pour nos amis d’outre-

Manche, nous connaissons tous le dicton, « à la fin ce sont toujours les Allemands qui gagnent », et ce sont bien ces derniers qui atteignent la finale après la séance de tirs au but… Paul Gascoigne rata son tir, mais « Gazza » fut célébré comme un véritable héros national. Ses larmes ont, semble-t-il, ému toute une nation, qui pleura avec lui. Encore aujourd’hui, cet événement est célèbre Outre-Manche, la BBC ayant notamment réalisé en 2010 un documentaire intitulé : « Gazza’s Tears : The Night that Changed Football », preuve du fait marquant de cette Coupe du monde en Italie. Après les larmes, c’est bien l’espoir qui revint dans les esprits anglais, leur sélection pouvant à nouveau croire à un glorieux futur.

Une sélection anglaise talentueuse et frustrante

L’amour pour les Three Lions revient en force, l’engouement est fort et se vérifie lors de l’Euro 96 qui eu lieu en Angleterre, 30 ans après le dernier sacre, un signe se dit-on.

Les Anglais sortirent premiers de leur groupe où il y avait notamment les Pays-Bas. Certes, les Oranjes n’étaient plus ceux de 88, mais Cruyff était encore là, accompagné notamment de Kluivert et du très élégant Dennis Bergkamp. Forte de ce succès, l’Angleterre continue de rêver du sacre ultime, elle s’extirpe difficilement du piège espagnol aux tirs au but avant d’affronter un ennemi bien trop connu : l’Allemagne. Encore une fois, l’Angleterre tient tête aux Allemands, et encore une fois, le match se finit sur un score nul, et encore une fois la décision fut prise aux tirs au but et encore une fois, c’est l’Allemagne qui alla en finale… finale qu’elle remporta bien évidemment. La déception fut grande, mais les Anglais devaient encore une fois s’incliner face à leur rival historique. L’espoir demeure, grâce à un bon nombre de joueurs anglais très talentueux. De 96 à aujourd’hui, la sélection anglaise a connu quelques très grands joueurs que ce soit Beckham, Scholes, Rio Ferdinand, Sol Campbell, Ashley Cole, l’étoile filante Owen, Lampard, Gerrard, Rooney, et tant d’autres. De plus, les clubs anglais faisaient partie des meilleurs durant les années 2000 sur la scène européenne, avec les Invincibles d’Arsenal, les Reds de Steven Gerrard, le Manchester United de Sir Alex Fergusen ou encore le Chelsea de Lampard, Terry et consort. Pourtant, la sélection anglaise n’a jamais rien fait d’exceptionnel durant cette période, pire, les Anglais ne se sont même pas qualifiés pour la phase finale de l’Euro 2008… Le dernier exploit en date des anglais fut de se faire sortir de l’Euro 2016 par une Islande vaillante qui possède en tout et pour tout 100 joueurs professionnels…

Alors, comment expliquer ce manque criant de résultats de la sélection anglaise lors des grandes compétitions ? On peut légitimement se poser des questions sur la motivation des joueurs anglais de jouer pour leur sélection. En atteste la liste de « blessés » refusant la sélection lors du rassemblement actuel (Alli, Kane et Sterling notamment). Les joueurs semblent bien plus attirés par la compétition en club à l’instar des supporters. On peut bien sûr remettre aussi en cause le niveau des sélectionneurs, qui ne furent pas toujours très inspirés…  les coachs anglais n’ont pas toujours été les meilleurs dans le football actuel (même si certains montent peu à peu, citons Eddie Howe ou Sean Dyche). La fédération anglaise (la FA) n’a d’ailleurs pas hésité à nommer un sélectionneur étranger – Sven Göran Eriksson de 2001 à 2006 – et même Fabio Capello, mais sans succès. Est-ce un problème de talent ? La liste des légendes anglaises tend à dire que non, d’autant plus que la sélection anglaise rafle tout ces derniers temps chez les jeunes, avec  notamment le dernier championnat du monde U20. Sur ce point, un premier élément de réponse a été donné plusieurs fois, notamment par Philippe Auclair dans son excellent article relatant le faible temps de jeu des jeunes anglais dans le championnat local. Oui, les jeunes ne peuvent pas s’aguerrir en Premier League, gênés par les stars payées à coup de dizaines de millions dans un championnat qui fait gagner toujours plus d’argent à ses pensionnaires. Autre problème, il n’existe pas de « club B » comme dans d’autres championnats (notamment en Liga) pour faire jouer les jeunes dans de vraies compétitions, avec des adultes, pour qu’ils se frottent au vrai monde du football, les matchs en catégories de jeunes ne peuvent pas réellement apporter cette expérience. C’est d’ailleurs pour ça que City a plus ou moins racheté le club catalan Girona où plusieurs citizens sont actuellement en prêt (Maffeo, Moreno, Aleix Garcia et Douglas Luiz).

Ce manque de résultats peut aussi et surtout s’expliquer par un constat simple : l’Angleterre n’a actuellement aucun projet de jeu. Jadis, les Three Lions étaient connu pour leur fameux 4-4-2, leur kick and rush, mais tout cela n’a plus sa place dans un football de plus en plus rapide et pointu tactiquement. N’en déplaise à certains, avoir un projet de jeu est central dans la conquête d’un titre, les grandes nations du football on toujours su se baser sur un plan, une idée. Car oui, un projet de jeu, ce n’est pas simplement le tiki-taka des Espagnols, ce n’est pas qu’un jeu de possession… En sélection, le coach doit faire avec les joueurs dont il dispose, et c’est en s’imprégnant des forces et des faiblesses de son effectif qu’il peut dégager une idée de jeu. La France 98 était basée sur sa défense solide, l’Italie s’est toujours appuyée sur sa défense aussi, l’Islande réalise un superbe Euro l’année passée grâce à un plan de jeu lui aussi basé sur une bonne défense, une bonne densité physique et quelques petites subtilités comme le travail sur les touches longues. Il est intéressant de noter aussi le virage opéré par l’Allemagne depuis une bonne dizaine d’années, la fédération allemande a revu sa formation pour construire une sélection se basant sur le jeu, la possession avec des joueurs techniques, vifs et intelligents.

En somme, le projet de jeu est primordial, mais l’Angleterre semble naviguer à vue, à l’instar d’autres nations comme l’Équipe de France. Les Three Lions ont la matière, à savoir des joyaux à polir et à faire grandir. La génération actuelle est intéressante avec Pickford dans les buts, Stones, Walker, Rose, Dier, Alli, Lallana, Sterling et bien sûr Harry Kane qui semble porter sur ses épaules les espoirs de la Nation. Néanmoins les matchs de la sélection ne donnent que peu d’espoir pour le mondial russe… L’équipe manque un peu de créativité, problème qui pourrait être résolu avec le retour de Lallana, dont l’absence fait cruellement défaut, lui qui possède une bonne intelligence de jeu, habile techniquement, et le niveau pour prendre le jeu à son compte. Y’a-t-il d’autres solutions ? Difficile à dire, nous pourrions citer Jack Wilshere dont le jeu a pas mal évolué. Il semble être bien plus dans la distribution que dans la percussion, et pourrait être un très bon créateur au milieu du terrain, toutefois son corps reste une interrogation, en plus d’un faible temps de jeu à Arsenal n’incitant pas le sélectionneur actuel, Gareth Southgate, à le prendre.

À l’heure où ces lignes sont écrites, nous pouvons dire sans trop prendre de risque que la sélection anglaise ne fait pas partie des favoris pour le prochain mondial. Elle semble en retard par rapport à l’Allemagne, le Brésil ou encore l’Espagne… la France est aussi favorite pour beaucoup, mais son manque d’idée de jeu pourrait encore lui jouer des tours comme lors de la finale au dernier Euro. Southgate a donc la lourde de tâche de trouver un équilibre dans son effectif tant en trouvant les mots pour motiver des joueurs qui ne semblent pas toujours à fond lors des matchs internationaux. Pour ce faire, il ne reste que peu de matchs amicaux qui n’ont malheureusement pas grand intérêt pour beaucoup de nations (l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie…).

Ainsi l’amour entre la sélection anglaise et son publique semble étroitement lié à la victoire, mais cette dernière fuit les anglais depuis bien trop longtemps maintenant. Cette amour ne demande pourtant qu’à renaître, mais il faudra pour ça un parcours sensationnel l’été prochain en Russie. Affaire à suivre…

L’article s’appuie entre autre sur l’excellent livre Le football des nations, des terrains de jeu aux communautés imaginées, sous la direction de Fabien Archambault, Stéphane Beaud et William Gasparini.

Autre source très importante pour tout ce qui touche à l’histoire du football, il s’agit bien sûr de l’historien Jonathan Wilson, peu traduit en français malheureusement.

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