Devenu l’une des pierres angulaires de Marcelo Bielsa à Leeds, Kalvin Phillips a véritablement éclaté aux yeux du monde lors du premier match de l’Angleterre contre la Croatie à Wembley. Une ascension irrésistible qui puise sa source dans les quartiers mal lotis de la cité du Yorkshire, là où tout a commencé.
Ce dimanche 13 juin sur les coups de 14h, les fans des Peacocks n’avaient sans doute d’yeux que pour l’enfant du pays, Kalvin Phillips. Formé au club, le milieu de terrain de 25 ans est le premier joueur de Leeds depuis Rio Ferdinand, Danny Mills, Nigel Martyn et Robbie Fowler en 2002 à participer à une grande compétition internationale. Quasiment 20 ans. Une éternité. Mais surtout le symbole de la reviviscence du club auquel Kalvin Phillips a un rôle idoine, quasi fondamental. Mais nul doute qu’il y a quelques années, personne n’aurait parié la moindre livre sterling sur la participation du “Pirlo du Yorkshire” – sobriquet affublé à Phillips par les fans – à un événement majeur tant Leeds végétait en Championship et vivait des heures compliquées lorsque la fameuse famille Cellino était au pouvoir. Le tournant arrive en 2018. Année où un certain Marcelo Bielsa pose ses valises dans le Nord de l’Angleterre. Derrière, tout va s’enchaîner pour le milieu. Avant cela, rembobinons le fil.
Né à Leeds, d’une maman irlandaise et d’un père jamaïcain, le jeune Kalvin a passé toute sa jeunesse dans le quartier ouvrier de Bramley, au nord-est de la ville. Pour cadre, une mère au foyer qui élève son frère, ses jeunes sœurs et un père absent. « Mon père est actuellement en prison, à seulement 350 mètres de notre centre d’entraînement, confiait-il au Yorkshire Evening Post il y a quelques mois. Il a purgé plusieurs peines pour trafic de drogue, bagarres et toutes les choses négatives auxquelles on peut penser… Ma mère a vite perdu patience car il sortait de prison et il y revenait assez vite. Je passe tous les jours devant la prison, mais je n’aime pas trop lui rendre visite. Je préfère l’appeler. C’est ce que l’on fait toutes les deux semaines. On parle de Leeds, du club, des fans et je sais qu’il est très fier de moi. »
Avec mon frère, on jouait au foot de 10h du matin jusqu’à très tard le soir. Kalvin Phillips au Times
Kalvin Phillips son enfance
Peu loquace lorsqu’il parle de son enfance, Kalvin Phillips ne renie pourtant pas l’éducation que sa mère lui a inculquée avec des valeurs simples comme l’humilité et la bienveillance. « C’est un garçon qui a les pieds sur terre, explique le journaliste local Ross Heppenstall, il n’a jamais oublié d’où il venait. Il est resté très fidèle à ses racines et c’est sans doute pour ça qu’à Leeds, les gens l’apprécient. C’est un petit gars venu d’en bas. » Amoureux du ballon rond dès son plus jeune âge, grâce entre autres à un grand-père maternel fan de Leeds, il ne tarde pas à écumer les terrains de la ville avec son petit frère Terrell. « Avec mon frère, on jouait au foot de 10h du matin jusqu’à très tard le soir, c’est ma mère qui sonnait la fin de nos parties » , raconte le milieu anglais, toujours au Times.
Alors, à force de taper indéfiniment dans le ballon tous les jours, il décide de rejoindre à huit ans Wortley FC, l’un des clubs de la banlieue proche de Leeds. Son entraîneur de l’époque, Ian Thackray se souvient pour The Mail : « Il était toujours souriant et pas vraiment agressif sur le terrain, ce qui tranche totalement avec sa manière de jouer aujourd’hui. » Pendant six ans, Kalvin Phillips gravit les marches et démontre de nombreuses aptitudes pour espérer intégrer l’academy de Leeds. « Ce n’était pas le joueur le plus imposant de l’équipe, mais c’était celui qui voulait tout le temps gagner, décrit Thackray. Il savait ce qu’il voulait et sur le terrain, il ne fallait pas trop le titiller. » Après six années à Wortley, la bonne nouvelle tombe : Kalvin Phillips intègre l’academy des Peacocks aux côtés d’une génération particulièrement talentueuse : Lewis Cook (Bournemouth), Alex Mowatt (Barnsley), Charlie Taylor (Burnley), Sam Byram (Norwich City). Tous porteront au moins une fois le maillot des Peacocks, voire deviendront des cadres avant de partir vers d’autres cieux. Phillips, lui, est toujours là. Car après avoir débuté chez les pros en avril 2015, la carrière du milieu anglais prend forme.
Son profil de milieu box-to-box tonique et technique plaît, que ce soit sous la houlette de Garry Monk, Thomas Christiansen ou Paul Heckingbottom. Les matches défilent, les saisons aussi. Si Leeds ne parvient pas à retrouver la lumière et jouer les premiers rôles en Championship, Phillips lui, devient indéboulonnable et l’une des coqueluches d’Elland Road. « C’est l’un des nôtres, s’emballe Anthony Clavane, auteur de nombreux ouvrages sur Leeds United. Tout comme David Batty (NDRL : milieu défensif de Leeds entre 1987 et 1993, puis de 1998 à 2004) ou, un peu plus en arrière, Paul Madeley (NDRL : défenseur de Leeds entre 1963 à 1980). À l’instar de ces deux légendes du club, il représente l’état d’esprit de Leeds. C’est pour ça qu’il est aimé et adulé. » D’ailleurs, l’adoration des fans se traduit également avec une fresque dessinée sur un mur de la ville. Phillips s’y trouve avec deux illustres icônes sud-africaines et noires de Leeds : Albert Johanneson et Lucas Radebe.
This amazing mural by famed artist Akse P19 has been unveiled to honouring Leeds United’s diverse history.
It features club legends Albert Johanneson and Lucas Radebe and current midfielder Kalvin Phillips.
📸 – @Cleany7878 #lufc #akse pic.twitter.com/fWVWJ3gqHJ— SWNS Leeds (@SWNSLeeds) November 22, 2020
La fresque de Kalvin Phillips aux côtés de Lucas Radebe et Albert Johanneson
Bielsa, l’élément déclencheur d’un nouveau virage
L’intéressé lui-même l’a répété à maintes reprises, la venue de Marcelo Bielsa dans la ville de The Wedding Present a profondément changé sa carrière qui, jusqu’alors, avait été l’archétype d’un bosseur aux qualités innées qui n’arrivait pas à atteindre la plénitude de ses moyens. « La principale qualité de Marcelo Bielsa est de tirer la quintessence des joueurs qu’il a à sa disposition. Il s’est rapidement rendu compte que Kalvin Phillips ferait un excellent milieu récupérateur et a décidé de le faire jouer un cran plus bas confie Salim Lamrani, ex-interprète de Marcelo Bielsa à Leeds. Il l’a au préalable convaincu que c’était le poste qui convenait le mieux à ses qualités. » Un choix payant. Plus bas sur le terrain, les qualités de l’Anglais sont davantage mises en valeur. Ross Heppenstall enquille : « Phillips est le point névralgique de cette équipe de Leeds. Bielsa a fait de lui un joueur plus athlétique, plus fort et plus rapide, comme jamais il ne l’avait été auparavant. Et c’est d’ailleurs pour ça que Phillips a autant d’estime pour Bielsa. Un respect mutuel s’est installé entre eux.»
Kalvin Phillips est le parfait symbole de ce Leeds nouvelle générationAnthony Clavane, écrivain et spécialiste de Leeds
Pour en arriver là, le technicien argentin n’a pas hésité une seule seconde à modifier drastiquement la nutrition de son poulain. Gourmand, Phillips a dû se résoudre à perdre du poids et laisser quelques sucreries au placard. « Bielsa ne le lâchait pas, nous souffle un proche du club. S’il dépassait d’un cheveu le poids autorisé et voulu par le coach, il se faisait souffler dans les bronches et le lendemain, le programme physique était encore plus difficile. » À cet égard, quoi qu’on en pense, l’inflexibilité d’El Loco pour des petits détails a une nouvelle fois payé. Mieux dans son corps et son esprit, Kalvin Phillips a survolé les débats en Championship. Au point où des écuries de Premier League sont venues assez vite aux renseignements après l’échec en demi-finale des playoffs contre Derby County en 2019. Mais Phillips, à l’époque, avait refusé toute approche, privilégiant la stabilité et voulant prouver à Bielsa qu’il ne s’était pas trompé à son sujet.
Résultat des courses, une montée l’année suivante, auréolée du titre de champion et une première saison en Premier League extrêmement prometteuse à tous les niveaux. « Kalvin Phillips est le symbole de ce Leeds nouvelle génération. Un Leeds énergique, intrépide, et qui prône un football total, développe Anthony Clavane, un brin romantique. C’est devenu un joueur de niveau international grâce à Marcelo Bielsa. » Ses prestations n’avaient d’ailleurs pas échappé à Gareth Southgate qui l’avait sélectionné en début de saison pour les rencontres de Ligue des Nations en septembre puis en octobre. Si une blessure l’avait empêché de rejoindre les Three Lions en novembre, Phillips ne s’était pas résigné et avait continué à performer en club. Avec en prime, des louanges venues des quatre coins de l’Angleterre. Chose rare quand on connaît le passif et la détestation qu’a le pays pour Leeds depuis plusieurs décennies. Mais à l’instar de Bielsa, Phillips a donné une nouvelle image aux Peacocks. Celle d’un club électrisant et surtout marquant à chaque rencontre. L’imprévisibilité comme moteur.
J’ai toujours pensé qu’il était suffisamment bon pour jouer avec l’AngleterreRoss Heppenstall, journaliste à Leeds
Cette imprévisibilité, les fans de Leeds l’ont retrouvée lors de la première rencontre contre la Croatie. Kalvin Phillips ne débutant pas à son poste de prédilection, mais un cran plus haut. Pour autant, le milieu de 25 ans s’en est accommodé et a réalisé un match de grande classe au cœur du jeu devant des millions de téléspectateurs. Une surprise ? Pas vraiment pour les suiveurs attentifs. « Personne n’a été surpris de le voir réussir à ce poste, même si cela était forcément intriguant de le voir jouer plus haut, ajoute Anthony Clavane. Quiconque a regardé Leeds depuis plusieurs saisons sait qu’il a le niveau pour jouer dans ce type de rencontre. »
Même son de cloche pour le journaliste Ross Heppenstall : « J’ai toujours pensé qu’il était suffisamment bon pour jouer avec l’Angleterre. Peut-être que ma plus grande stupéfaction a été de le voir s’installer comme ça au sein de l’équipe et devenir un des joueurs les plus importants aussi vite. » Gareth Southgate n’a pas attendu et ne tarit pas d’éloges sur l’un des nouveaux venus en sélection : « On lui demande de jouer plus haut car on est convaincu qu’il a toute la palette pour le faire. Il a un gros abattage. Il nous donne beaucoup de solidité au milieu. » Dans ce concert de compliments, le gamin de Leeds a préféré rester silencieux et fidèle à sa réputation : avancer sans un bruit. « C’est une personne à l’écoute, d’une profonde gentillesse et toujours vouée aux autres, confirme Salim Lamrani. Il répond toujours positivement aux initiatives que l’on peut lui proposer. Lorsque j’ai organisé des maraudes pour venir en aide aux sans-abris de la ville, il a non seulement accepté d’y participer, mais a ramené de nombreux vêtements personnels pour les distribuer aux nécessiteux de Leeds. » Car s’il a crevé l’écran en mondovision, Kalvin Phillips n’oubliera jamais d’où il vient.
[…] La trajectoire du milieu de terrain toujours présent au club est encore plus folle puisque Phillips a disputé l’Euro 2020 comme titulaire aux côtés de Declan Rice dans le milieu de terrain de Gareth Southgate. Un niveau que le gosse de Leeds n’aurait sans doute jamais atteint sans avoir croisé la route de l’ancien entraîneur de l’OM. Le travail de sape du roi de la maximisation porte encore ses fruits aujourd’hui. On pourrait citer Patrick Bamford, embêté par les blessures cette saison mais qui a bouclé l’exercice précédent avec 17 buts. Evoquer également Illan Meslier, qui est désormais pleinement installé au poste de gardien et responsabilisé à la relance. […]