Vous aimez les fameuses « terraces », ces tribunes debout traditionnelles d’outre-Manche ? Craven Cottage constitue pour vous la quintessence même du stade à l’anglaise à découvrir ? Alors tel le Monsieur Jourdain de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, vous adorez Archibald Leitch sans en avoir idée !
Un architecte, supporter des Rangers
Archie, de son surnom, a en effet offert au football britannique et à tous ses amoureux, ses enceintes les plus emblématiques dont très peu malheureusement demeurent aujourd’hui visibles. Rendons un hommage appuyé et justifié à cet écossais rentré dans l’Histoire et pourtant mort dans l’anonymat le plus complet.
Cet architecte de profession, né en 1865 à Glasgow, fourbit ses premières armes au sein de l’Empire britannique concevant des bâtiments industriels en Inde et dans l’ancien Ceylan.
Son incursion dans le domaine sportif ne se fit donc que dans un second temps lorsque Kilmarnock le chargea de concevoir et de construire la tribune principale de son Rugby Park en 1899. A cette époque, le football connaissait un plein essor en Écosse et les Rangers qui nourrissaient déjà les plus grandes ambitions le choisirent peu après pour dessiner le futur Ibrox Park.
L’antre des Gers, telle était la commande, devait être le plus grand et le premier stade entièrement dédié au football. Archibald se mit à la tâche gratuitement, sans doute car son cœur battait pour les Rangers, et livra une enceinte de 40 000 places très vite agrandie pour atteindre les 80 000 spectateurs.
La Catastrophe d’Ibrox
L’Ibrox d’Archie fut testé en sa pleine capacité pour la première fois en avril 1902 à l’occasion d’une rencontre Ecosse – Angleterre. Or, ce qui devait constituer une forme de consécration pour l’écossais vira au désastre.
Sous le poids des spectateurs, lors de la 1ère mi-temps, 17 joints du plancher en bois d’une tribune cédèrent, précipitant dans le vide d’une hauteur de 12 mètres de nombreux spectateurs. Le bilan fut effroyable puisqu’on releva 26 morts et 516 blessés. Tragique sort qui, en toute logique, aurait dû sonner le glas de la carrière de l’architecte ou, à tout le moins, mettre un terme à ses ambitions dans le domaine des enceintes sportives.
Il n’en fut cependant rien. Dans la Grande Bretagne industrielle de l’époque, de tels désastres n’étaient pas inconnus et étaient le prix à payer à la modernité innovante. Surtout, l’enquête diligentée conclut à la responsabilité première du marchand de bois Alexander Mac Dougall qui avait fourni des poutres de qualité inférieure à celles commandées par Archibald Leitch.
Lavé de toute accusation, Archibald n’en demeura pas moins accablé par ce désastre auquel il avait assisté en personne, étant présent au match fatidique. Dès lors, quand les Rangers entreprirent de remplacer la tribune défectueuse, Archibald Leitch rédigea une lettre à l’attention des dirigeants du club les enjoignant de lui accorder de nouveau leur confiance. Dans le cas contraire, écrit-il, vous me reconnaîtriez coupable de la tragédie passée.
In fine, Archie emporta la décision des Gers et c’est alors que sa carrière prit son envol définitif.
Archibald Leitch : Une empreinte sans équivalent dans l’histoire des stades britanniques
Un seul chiffre suffit à saisir l’importance sans égale d’Archibald Leitch dans l’histoire des stades anglais : imaginez qu’au sommet de son art dans les années 1920, ce ne sont pas moins de 16 clubs sur les 22 que comptait alors la 1ère division anglaise qui avaient eu recours aux services de l’écossais !
Entre 1900 et 1939, il avait pu compter parmi ses commanditaires pour la seule Angleterre: Manchester United, Liverpool, Everton, Blackburn, Tottenham, Arsenal, Chelsea, Fulham, Crystal Palace, Millwall, Charlton, Southampton, Portsmouth, Aston Villa, les Wolves, Derby, Sunderland, Boro, Huddersfield, les 2 clubs de Sheffield et Bradford. Excusez du peu !
Archibald Leitch : Du talent mais pas que !
Ce palmarès impressionnant d’Archibald doit beaucoup, bien sûr, à son talent mais aussi aux circonstances de l’époque. Leitch avait pour lui son passé de bâtisseur d’usines simples et fonctionnelles. Or, les dirigeants des clubs de ces années, déjà soucieux de leurs deniers, aspiraient à de telles enceintes pratiques et aux capacités d’accueil maximales, pour un sport qui attirait désormais des foules en grand nombre.
Certains avancent aussi que son appartenance à la franc-maçonnerie lui aurait ouvert la porte de certains clubs. De façon évidente, Leitch a aussi et surtout tiré profit du peu d’attrait que revêtait aux yeux des architectes de son temps la conception et la construction de stades de foot.
Quelles qu’en soient les raisons, son empreinte demeure indélébile dans le foot britannique et malgré l’épreuve du temps mais aussi le rapport Taylor qui a contraint, suite à Hillsborough, les clubs des deux premières divisions anglaises à remiser au rayon des souvenirs les bonnes vieilles terraces, des traces marquantes de son œuvre sont encore présentes outre-Manche.
Des témoignages de l’histoire
Les plus emblématiques stades, témoins toujours actuels du formidable travail de Leitch, sont sans nul doute ceux de Fulham et des Rangers dont certaines des tribunes bénéficient d’un régime de protection légale (« grade II listed building ») analogue à celui de nos monuments historiques.
On remarquera avec intérêt que Leitch concevait de façon différenciée ses tribunes puisqu’il réservait l’usage de briques rouges aux seules parties de stades donnant sur la rue. La Johnny Haynes stand de Craven Cottage et la South Stand d’Ibrox Park en sont de majestueuses illustrations.
Les si caractéristiques structures « croisées » (« criss-cross ») soutenant les tribunes en balcon
Certains éléments des tribunes elles-mêmes présentent également des caractéristiques remarquables. On peut ainsi citer l’aspect très particulier et immédiatement reconnaissable des structures en acier croisées (« criss-cross« ) soutenant les tribunes hautes de ses stades.
Le stade d’Everton nous en offre une image parfaite (deux tribunes dues à Archibald sont toujours debout: la Bullens Road stand de 1926 et la Gwladys Road de 1938). D’ailleurs quel symbole les Toffees ont-ils choisi sur leur site pour illustrer les visites de Goodison Park ? Les criss-cross bien sûr !
L’ancienne enceinte de Sunderland, Roker Park, en disposait également et signe que ce marqueur est fort symbolique, certains d’entre eux ont été conservés pour être disposés sur le parking actuel du nouveau stade des Black Cats.
Ces structures croisées sont sans surprise également présentes et toujours visibles à Ibrox Park. Il est d’ailleurs possible de dégoter sur le net des T-shirts reprenant ce code visuel si particulier.
Les « crush barriers » partout présentes dans les terraces
On mesure mieux encore l’influence d’Archie sur les stades britanniques si l’on évoque l’ingénieuse structure inventée par ses soins juste après la tragédie meurtrière d’Ibrox Park. Qu’avait en effet mis au point notre cher ami écossais pour sécuriser ses stades en devenir ?
Les astucieuses « crush barriers », éléments incontournables de toute tribune anglaise qui se respecte, visant à contenir les mouvements de foule ! Leitch n’avait d’ailleurs pas manqué de faire breveter son invention auprès des autorités britanniques compétentes.
Si vous vous rendez au National Football Museum de Manchester ou au Scottish Football Museum de Glasgow, vous pourrez d’ailleurs en admirer deux bels exemplaires que le passionné d’Archibald, Simon Inglis (il lui a consacré un ouvrage malheureusement épuisé), a réussi à sauver tout juste avant la destruction de Saltergate, le stade historique de Chesterfield.
Archibald Leitch : Les terraces !!!
Mais par dessus tout, ce que Leitch a légué à l’Histoire, ce sont ces fameuses terraces, elles aussi imaginées après le désastre d’Ibrox. Désormais, les tribunes ne seraient plus constituées sous forme d’échafaudages en acier soutenant des planchers en bois. Elles reposeraient sur des amas de terre, parfois de résidus miniers, et parsemées de crush barriers.
Élément important, n’oublions qu’Archie était fan de foot lui-aussi, elles sont pensées pour offrir une vue idéale, quel que soit l’emplacement, à tous les spectateurs grâce à leur légère inclinaison. Touche finale: ses terraces sont toujours situées au plus près du terrain de jeu. Toutes choses que le London Stadium de West Ham (R.I.P Boleyn Ground) respecte bien sûr au mieux…
Des stades dotés d’une seule réelle tribune aux rares places assises
Les tout premiers stades d’Archibald présentaient tous la même configuration: 3 terraces ouvertes à tous les éléments et une seule vraie tribune latérale qui, de façon tout à fait innovante pour l’époque, était constituée de deux niveaux: un large secteur bas réservé aux places debout et un étage offrant de rares places assises.
Il convient ici de toujours garder en tête que les dirigeants des clubs étaient déjà préoccupés par des considérations budgétaires. Il fallait faire simple et obtenir une capacité maximale au meilleur coût. L’aspect plutôt « rudimentaire » de ces stades en est la conséquence directe.
Archie respectait donc fort bien la commande et la Shelf du défunt White Hart Lane de Tottenham (où l’on retrouve bien sûr également les crush barriers) révèle son parfait savoir-faire.
Une autre réalisation de ce type de tribune, elle toujours visible, est à trouver dans le Dens Park du Dundee FC en Ecosse même si aujourd’hui la partie debout a été, hélas, supprimée.
Everton lui fait justice
Rares, très rares sont donc aujourd’hui les tribunes restées à l’état imaginé et construit par l’écossais. Cependant, cet homme mort un jour de 1939 et auquel aucune nécrologie n’avait été alors consacrée, demeure toujours présent dans l’imaginaire du peuple des tribunes. La reconnaissance officielle ne vaut rien au regard de ces lieux de bonheur hebdomadaire qu’il a offerts à tant de générations de supporters. Everton ne s’y est d’ailleurs pas trompé reprenant ses fameuses « criss-cross » sur une façade en briques rouges pour son futur stade. Tardif mais ô combien justifié hommage à ce grand homme de l’ombre.
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