Paul Ince, un caractère forgé dans la misère sociale

« I’m a London boy, I hate losing, I love winning ». Paul Ince ne pouvait mieux se décrire. L’un des rares joueurs ayant évolué sous les couleurs de Manchester United puis de Liverpool, Paul Ince a toujours été un joueur atypique dans sa manière de jouer et le développement de sa carrière. Retour sur l’histoire du Gouverneur, et sur l’empreinte que celui-ci a laissée dans le football anglais.

Le football comme échappatoire social

« Je ne voulais pas devenir footballeur parce que j’étais bon en ceci, ou bon en cela. C’était plutôt le besoin de passer de l’autre coté de la société. »

Né dans la banlieue est de Londres, près de Ilford, Paul est issu d’une famille défavorisée dans un quartier réputé comme extrêmement difficile. Son père étant parti quand Paul n’était âgé que de deux ans, sa mère dû partir vivre en Allemagne pour trouver du travail huit ans plus tard, causant sa séparation avec son frère et sa soeur. Déjà impliqué dans le football, Paul restera en Angleterre et intégrera en 1982 le centre de formation de West Ham alors qu’il n’est âgé que de quinze ans.

« (mon enfance, ndlr) a été une période difficile, mais cela a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui, avec toutes mes caractéristiques qui m’ont poussé à vouloir être le meilleur. »

Très vite, John Lyall alors manager de West Ham le remarque, et l’intègre à son équipe de jeunes. Il fera ses débuts avec les professionnels le 30 novembre 1986 face à Newcastle. Dès la saison suivante, il s’impose comme étant un joueur crucial de l’effectif du club londonien. Sa rage de vaincre, son implication sur le terrain vont attirer les regards sur lui, mais c’est bien son arrogance qui contribuera à la création du personnage qu’il représentera tout au long de sa carrière.

« Je ne pense pas avoir été arrogant, Mais quand j’étais jeune, j’étais un gamin de Londres, de l’Essex. Tu te dois d’être un peu suffisant. Tu es entouré de gens suffisants comme ça, c’est une façon de se moquer d’eux. C’est la même chose en devenant adolescent. Je pense que John Lyall le savait. Il n’a pas essayé de me faire perdre ma suffisance, juste de mettre du contrôle autour de cela. John Lyall a été une figure paternelle pour moi. J’en avais besoin, quand on est un enfant qui a grandit sans père, on peut facilement perdre ses repères. Et je pense qu’à ce moment-là, j’étais en train de me perdre. »

Lou Macari prend la tête de West Ham lors de la descente du club en deuxième division en 1989. Pour Paul Ince, ne plus évoluer au plus haut niveau ni sous la direction de John Lyall était inimaginable. Plus rien ne retenait le jeune joueur qui avait déjà disputé quelques matchs sous le maillot des Three Lions en moins de vingt-et-un ans, et Paul Ince quitta donc West Ham.

« On cherche toujours a été une meilleure version de soi-même. Mon idole, c’était Bryan Robson. En tant que joueur, c’était mon modèle, alors je ne pouvais refuser une opportunité de jouer à ses cotés. »

Le départ de Paul pour le nord de l’Angleterre est acté. Un départ qui aurait pu se faire sans heurts. Malheureusement, un tabloïd publie une photo de Paul Ince en maillot de Manchester United alors qu’il est officiellement toujours joueur de West Ham. Le tollé est immense, et Paul Ince perd le respect et le soutien des supporters du club londonien.

« J’allais rejoindre Manchester United. C’était plus ou moins fait. Mais à la fin de la saison, je devais aller à Malte. Mon agent m’a dit « écoute Paul, au lieu de revenir plus tard pour les dédicaces, les photos et les maillots, autant le faire maintenant. » Je n’avais que 19 ans, ce qui est plutôt jeune. Et au final, la photo a fuité. La minute suivante, elle était dans les journaux et… aujourd’hui j’en ris, mais à l’époque c’était horrible. En revenant de vacances, j’ai vu les fans de West Ham devenus fous. Ce n’était pas vraiment ma faute. J’étais encore un gosse, je n’ai fait que ce que mon agent m’a dit de faire. Et j’en ai récolté tous les problèmes qui ont suivi. »

Le jeune « Incey » ne regagnera jamais le respect et l’attention des fans de West Ham par la suite. Le transfert se déroule sans heurts, et une nouvelle histoire commence pour Paul après un seul match en deuxième division pour West Ham.

Manchester United, la consécration du plus haut niveau

« J’ai parlé à John Lyall, maintenant c’est moi ton père. »

C’est avec ces mots que Sir Alex Ferguson accueille Paul Ince dans un hôtel de Manchester. Il débutera par une victoire cinq buts à un face à Millwall en 1989, mais perdra son second match sur le même score face au rival Manchester City lors du derby. C’est à Manchester United qu’il prendra son surnom du « Gouverneur ».

« On a tous des surnoms, celui-ci c’était le mien. Quand je jouais pour West Ham, j’avais un petit boulot à côté. Et dès que je touchais mon salaire, j’allais du coté de Green Lanes (quartier du Nord de Londres, ndlr) où habitaient mes copains. Pas mes collègues du football, des vrais copains. On jouait simplement au snooker. Et à chaque fois que l’un d’entre nous réussissait un bon coup, on disait « c’est qui le gouverneur, c’est qui le gouverneur ? ». C’est parti de là, c’est quelque chose que j’ai connu depuis l’enfance, et un jour a l’entraînement j’ai touché la lucarne, ce qui était inhabituel pour moi, alors j’ai couru en criant « c’est qui le gouverneur, c’est qui le gouverneur ? », et à partir de là Brian Kidd (alors assistant des jeunes de Manchester United, ndlr) a commencé à m’appeler « le gouverneur ». Le surnom est resté et tout le monde l’a adopté. Au final, c’est resté. Je sais que si je vais à Manchester aujourd’hui, on me demandera « Hé le gouverneur, comment ça va? » 

Lors de sa première saison, il occupera le poste de défenseur droit. En effet, sa place de milieu central était alors occupée par Mike Phelan. Il s’offrira cette saison pour ses débuts la FA Cup, et sera élu homme du match de la finale rejouée face à Crystal Palace. En quelques saisons, Paul Ince devient indéboulonnable au milieu du terrain, et en mai 1991 il remporte avec Manchester United la Coupe des Coupes en battant le FC Barcelone sur le score de deux buts à un.

« Quand on bat Barcelone en finale, et quand on voit la manière par laquelle nous gagnons, on s’est dit qu’on pouvait battre n’importe qui. » 

La saison qui suit voit arriver au club un certain Eric Cantona. L’entente entre les deux joueurs se fait à merveille, et Eric Cantona offre à Manchester United le talent nécessaire pour surpasser les autres équipes. La saison 1992-1993 voit Manchester United gagner la première édition de la Premier League, s’offrant un titre de championnat national pour la première fois depuis 26 ans.

« On était fiers d’avoir apporté quelque à Manchester. Une équipe comme Manchester United aurait du avoir accompli ce qu’on a accompli depuis bien longtemps. Quand on voit les supporters, on comprend que cela signifie beaucoup pour eux, parce qu’ils ont attendu si longtemps. Et je savais qu’on allait gagner l’année d’après. » 

Effectivement, Manchester United gagne le premier doublé la saison suivante, entrant encore un peu plus dans l’histoire du football anglais. Mais le retour à Upton Park ne fut pas de tout repos pour Incey.

« Sir Alex recevait des appels sans cesse en disant que j’allais me faire poignarder, et d’autres menaces du genre. On a donc augmenté la sécurité pour le match. Je me souviens d’avoir descendu Green Street, avec le Boleyn Pub à l’angle, et je ne pouvais voir qu’une seule chose… cette foule de fans, une foule comme je n’en avais jamais vue. Tout ça pour moi. Super, non? Recevoir toutes ces insultes pendant le match a été vraiment horrible. »

Le succès collectif est le plus important pour Paul Ince, et il aura réussi avec l’équipe incroyable l’entourant à Manchester United à cette époque à s’imposer, obtenant tous les titres nationaux possibles à son niveau en seulement quatre ans au club. Néanmoins, la fin de son aventure à Manchester sera abrupte.

« Je jouais au golf avec Giggsy (Ryan Giggs, ndlr), et le téléphone a sonné. C’était Sir Alex. Il m’a dit qu’il voulait me voir. Je lui ai dit que je passerais au bureau le lendemain. Il m’a dit « non, je dois te voir maintenant ». « Giggsy, le patron veut me voir. » Je suis parti, laissant Giggsy sur place, ce qui ne l’a pas laissé particulièrement heureux. Sir Alex m’a annoncé que l’Inter de Milan avait fait une offre de 7,5 millions de livres, et qu’il l’avait acceptée. J’étais choqué. Je suis retourné voir Giggsy, je lui ai dit, il ne pouvait pas y croire. Quand un club accepte une offre, et qu’il faut partir, on se sent poussé vers la sortie, et c’est ce que j’ai ressenti. » 

Direction Milan pour Paul Ince, qui conclut sa relation tumultueuse avec Sir Alex Ferguson. Les fans ont interprété cette relation difficile comme la principale raison de son départ. Pourtant, Paul Ince considère aujourd’hui sa relation avec Ferguson comme ayant été bonne, simplement rendue électrique par leurs forts caractères. Quoi qu’il en soit, Paul Ince est désormais un joueur de l’Internazionale de Milan.

L’aventure italienne, une parenthèse en demie-teinte

« Tout à coup, je faisais mes valises pour l’Italie. Au début, c’était un cauchemar. Tout le monde parlait italien, je ne comprenais rien. J’avais des doutes. J’ai eu du mal les deux premiers mois, mais après l’arrivée de Roy Hodgson, j’ai décollé, et les fans m’ont accepté. » 

Durant son passage en Italie, Ince s’impose dans cette équipe de l’Inter de Milan, jouant l’intégralité de la saison excepté quatre matchs pour sa première année au club. 

Il permettra à son équipe d’aller jusqu’en finale de la coupe UEFA en 1996-1997. Toutefois, il ne restera que deux saisons en Italie, sans remporter de trophées.

« Au départ, je ne voulais pas quitter l’Inter de Milan. » 

En effet, Massimo Moratti alors président du club italien offrit un nouveau contrat à Paul Ince, qui avait encore deux ans et demi à honorer à l’Inter. Toutefois, pour des raisons d’ordre familial concernant les études de son fils, Paul Ince dut rejoindre l’Angleterre, et une offre de 4,2 millions de livres de la part de Liverpool lui fut offerte. Le Nord de l’Angleterre ne semble pas pouvoir se passer de son arrogant petit cockney.

Paul Ince : Liverpool, la transition impossible devenue réalité

Une ancienne gloire de Manchester United rejoignant le rival historique Liverpool? Personne n’aurait cru cela possible tant la rivalité était féroce et inscrite dans la mentalité des joueurs des deux équipes. Liverpool cherchait un milieu de terrain agressif, meneur d’hommes dans une équipe qualifiée de trop tendre par la critique à l’époque. Le profil de Paul Ince semblait être tout indiqué pour les recruteurs du club de la Mersey.

« Je ne pense pas que j’aurais pu passer de Manchester à Liverpool, mais le fait que je sois passé par Milan entre les deux a fait que je n’ai pas trouvé ce transfert invraisemblable. J’ai marqué dans mon premier match, le derby contre Everton, ce qui m’a aidé auprès des supporters. On ne m’a pas jugé parce que j’avais été à Manchester, j’ai été accepté comme étant un joueur de Liverpool. » 

Incey remplit totalement les critères demandés par le club. Il montre sa capacité de meneur d’hommes par l’exemple, donnant son maximum pour l’équipe à chaque match. Toutefois, il se heurte aux mêmes problématiques que pendant toute sa carrière : son caractère bien trempé lui valu des conflits avec les autres joueurs. Direct, très strict et très demandeur, Paul Ince impose sa loi dans le vestiaire de Liverpool mais se montre à la hauteur de la tâche lui incombant. Toutefois, ses deux années à Liverpool ne lui offriront aucun trophée, l’équipe de Liverpool étant à cette époque en pleine transition. Roy Evans et lui maintiennent de très bonnes relations, mais l’arrivée de Gérard Houiller auprès de Roy Evans dans une tentative de gestion à deux entraîneurs marqua la fin de l’aventure Liverpool pour Paul Ince. « Quand Houller est arrivé, je n’ai pas compris. Ça m’a affecté, les autres joueurs aussi. Avoir deux managers n’a pas fonctionné. À qui doit-on s’adresser? Qui décide ? »

Paul Ince va faire les frais des choix managériaux de Gérard Houiller, considérant que trop de joueurs dans le club n’étaient pas assez concentrés sur le football, et qu’il fallait s’en séparer. Malgré son but face à son rival Manchester United (remettant ainsi en place Sir Alex Ferguson qui l’avait désigné comme étant un « big-time Charlie », une sorte de poseur), Paul Ince est mis sur la liste des transferts à l’été 1999. Il est alors âgé de 31 ans.

« J’ai adoré mon passage à Liverpool. On avait un bon esprit d’équipe. On progressait. Il nous fallait encore trois ou quatre joueurs pour y arriver. J’ai participé à cette progression. Alors quand on découvre qu’on doit partir après deux ans… Cela a été un déchirement pour moi. » 

En juillet 1999, Paul Ince fait ses adieux à Anfield et rejoint Bryan Robson, son idole de jeunesse devenu manager à Middlesbrough.

Paul Ince : Une fin de carrière dictée par des choix personnels

« Tout ce que Bryan me proposait, je voulais y participer, parce que c’est une légende. Jouer avec mon héros c’était extraordinaire. L’avoir ensuite comme manager, c’était différent. S’il n’avait pas été manager, je ne serais sans doute pas venu. » 

Paul Ince se frotte à Middlesbrough aux mêmes problématiques que pendant toute sa carrière, à savoir son caractère qui ne laisse personne de marbre, mais avec l’âge s’est ajouté sa grande connaissance du football, et son envie de transmission. Cette envie de transmettre va petit à petit continuer à s’affirmer, et son envie de devenir manager par la même occasion. Après 93 matchs et 7 buts pour Middlesbrough, Paul Ince signe à Wolverhampton.

« Quand j’ai rejoint les Wolves, je me suis dit « j’ai 35 ans, il faut que je réfléchisse. » J’avais déjà dans l’idée de devenir manager en y arrivant. » 

En Juillet 2006, Paul Ince n’est pas choisi pour succéder à Glenn Hoddle en tant que manager de Wolverhampton, et ne se voit pas offrir de nouveau contrat par le nouveau manager Mick McCarthy. Ince quitte donc le club et raccroche les crampons en jurant de revenir entraîner les Wolves un jour. Toutefois, il débutera son expérience d’entraîneur en foulant de nouveau la pelouse pour Swindon Town et Macclesfield Town pendant un an chacun. Incey jouera son dernier match professionnel le 5 mai 2007 en remplaçant Alan Navarro à la 85ème minute.

« Je suis allé à Macclesfield parce qu’ils étaient en bas du classement, et que si je les faisait remonter, je me ferais remarquer en tant que manager. » 

Le succès managerial de Paul Ince sera tout relatif : devenant avec Blackburn le premier entraîneur britannique noir de peau de Premier League (après avoir été sous le maillot des Three Lions le premier capitaine noir de l’équipe), Ince ne restera jamais plus de deux ans dans le même club, et ne passera même que 177 jours à la tête de l’équipe de Blackburn.

« La Premier League dans laquelle j’ai joué était totalement différente de celle dans laquelle j’ai été manager. Avec les années, la Premier League a beaucoup grandi, a eu un poids plus important financièrement parlant, et je crois que cela a affecté les joueurs. C’était peut-être une décision hâtive (de prendre en charge Blackburn, ndlr) mais c’est la Premier League. Tout le monde veut y être, cela ne se refuse pas. » 

Par la suite, deux passages très difficiles à Milton Keynes Dons et à Notts County vont diriger Paul Ince vers Blackpool le 18 février 2013. Sous sa direction, l’équipe offrira le meilleur début de saison de son histoire. Néanmoins, la suite sera plus difficile et Ince ne parviendra pas à remettre son équipe à flot. Il quitta le club le 21 janvier 2014, n’ayant plus renoué avec la victoire depuis le 30 novembre 2013. Depuis, sa carrière est en suspens. Paul Ince aura durablement marqué le football anglais par son attitude sur le terrain, mais surtout par sa force de caractère et sa determination à toute épreuve. Le Gouverneur a su s’imposer en meneur d’hommes en tant que joueur, et même si sa carrière de manager n’aura pas eu le même retentissement, il restera dans l’esprit de tous un modèle de ténacité et d’esprit de compétition.

« J’adore le football, j’en ai fait toute ma vie, c’est tout ce que je sais faire. Nous faisons tous des erreurs, mais si on veut apprendre, il faut continuer à en faire. Je saurais quoi faire la prochaine fois grâce à mes échecs. »

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