Âgé de 22 ans, Alexis Mac Allister est devenu aujourd’hui un joueur très important du Brighton version Graham Potter. Les Seagulls, bien que pointant à la seizième place du classement, ont pourtant développé un des jeux les plus séduisants de Premier League cette saison. Cette volonté de faire le jeu explique l’éclosion de ce fils et frère de footballeurs professionnels argentins aux origines anglo-saxonnes. Arrivé à Brighton en janvier 2019, et après deux prêts successifs dans son pays natal, il prospère aujourd’hui en Premier League, devenant l’héritier d’un lien historique entre plusieurs nations.
Mac Allister : entre Argentine et Royaume-Uni
La famille Mac Allister entretient une relation particulière avec le football, et le dénommé Alexis n’est pas le seul à avoir réussi dans ce domaine. En effet, son père Carlos était déjà footballeur professionnel, un arrière-gauche passé notamment par Boca Juniors ou le Racing Club d’Avellaneda, et capé 3 fois avec l’Albiceleste. Son oncle, Patricio, a également épousé une carrière footballistique mais plus cosmopolite, avec des expériences au Mexique et au Japon. Enfin, Alexis est le petit dernier d’une fratrie de footballeurs : Francis Mac Allister, l’aîné, évolue en tant que milieu de terrain pour le Club Atlético Talleres, tandis que le second, Kevin Mac Allister, est un défenseur de l’Argentinos Juniors. Le seul à avoir connu une expérience européenne pour le moment est donc Alexis, depuis son arrivée du côté de l’Amex Stadium.
Bien que tous argentins de naissance, les Mac Allister entretiennent une relation privilégiée avec le Royaume-Uni, du fait de descendants à la fois irlandais et écossais, notamment de la région de Fife en Ecosse. Cette affiliation est très certainement dûe au lien historique qui rattache le Royaume-Uni à l’Argentine. Pour bien le comprendre, il faut remonter au début du dix-neuvième siècle. A cette époque, la transformation (du fait de l’industrialisation et d’une forte croissance démographique) d’une économie anglo-saxonne principalement basée sur l’agriculture, pousse de nombreux Anglais, Irlandais et Ecossais à quitter le territoire dans l’espoir de trouver une meilleure situation à l’étranger. Les Etats-Unis, le Canada ou encore l’Australie sont alors les destinations les plus prisées.
Mais en 1816, alors que l’Argentine devient officiellement une confédération indépendante, une petite minorité décide d’y émigrer – ce sont des agriculteurs, des cheminots, des marchands, des médecins ou encore des professeurs qui font le grand saut. Dans leurs bagages, ces émigrés anglo-saxons rapportent un sport encore inconnu en terres d’Argentine – le football. Sur les docks bondés de Buenos Aires, des matches commencent à s’organiser, et petit à petit, les locaux se prennent au jeu. En mai 1867, le Buenos Aires Football Club est fondé par deux travailleurs anglais venus travailler sur le réseau ferroviaire argentin – Thomas et James Hogg. La même année, le premier match recensé en Argentine a lieu, opposant deux équipes de commerçants britanniques. Il faudra ensuite attendre quelques années pour voir la pratique du football s’institutionnaliser.
Parmi les vagues d’arrivants anglo-saxons se trouvait l’Ecossais Alexander Watson Hutton, un professeur, qui allait changer à tout jamais le destin sportif de l’Argentine. C’est en effet grâce à lui que le football va pouvoir s’institutionnaliser en Argentine. En 1881, un poste de recteur lui est offert à la St Andrews Scotch School de Buenos Aires, fondée par la première génération d’immigrés écossais. Grand fanatique de football, il emporte avec lui des ballons durant son voyage. Une fois arrivé en Argentine, c’est lui qui réalise les plans du premier « vrai » terrain de football argentin, et propose une formation liée au football dans son Université. Peu à peu, le football plaît et gagne très vite en popularité, entamant un long processus de démocratisation à l’échelle du pays. Quelques années plus tard, Alexander crée l’Association du Football Argentin (AFA) dont il sera président jusqu’en 1893, et sera également un des fondateurs de l’Alumni Athletic Club, aujourd’hui disparu.
Alexander décède en 1936, et est toujours considéré aujourd’hui comme le « père du football argentin ». Plusieurs joueurs aux origines écossaises connaîtront un succès certain en tant que footballeurs en Argentine, participant à renforcer ce lien historique – c’est le cas de Franco Niell, Jorge Brown ou encore de Jose Luis Brown, qui fut le premier buteur de la finale de Coupe du Monde de 1986 remportée par l’Argentine de Diego Maradona face à l’Allemagne de l’Ouest (score final 3 buts à 2). Plus récemment, c’est donc la famille Mac Allister qui nous rappelle ce lien fort qui unit l’Argentine au Royaume-Uni, et plus particulièrement le succès trouvé par Alexis à quelques centaines de kilomètres du territoire de ses ancêtres.
Un style de jeu bien défini
A l’instar de ses deux frères, Alexis Mac Allister a débuté sa carrière professionnelle à Argentinos, club dans lequel il évoluera de 2016 à 2019, jusqu’à l’achat par Brighton pour un peu moins de 10 millions d’euros. Il restera en prêt une saison supplémentaire à l’Argentinos, avant d’être prêté à nouveau à Boca Juniors en juin 2019. En mars 2020, après avoir finalement obtenu un permis de travail, il fait ses débuts contre Wolverhampton dans le dernier match de Premier League joué par Brighton avant l’interruption liée à la crise sanitaire. Durant le Restart, Mac Allister sera utilisé par son coach Graham Potter, mais ce n’est véritablement qu’à partir de cette édition 2020-2021 que l’Argentin est parvenu à s’imposer comme un des hommes forts du côté des Seagulls, notamment grâce à son style de jeu.
En effet, Mac Allister est un milieu offensif créatif qui aime beaucoup opérer entre les lignes pour demander et recevoir le ballon. C’est ce poste qu’il occupait durant ses prêts en Argentine et dans lequel il a offert le plus de satisfaction à Brighton, malgré la diversité tactique des Seagulls cette saison (nous allons y revenir un petit peu plus bas). C’est un joueur très mobile dont les mouvements peuvent être destructeurs. C’est également un joueur particulièrement intelligent offensivement : ses déplacements et sa capacité à demander le ballon dans les pieds permettent souvent à Brighton de se trouver dans une situation de supériorité numérique dans les zones dangereuses. De même pour son utilisation du ballon, qui est souvent très intelligente : l’Argentin n’hésite pas à prendre des risques dans ses choix de passes pour créer des décalages en trouvant des partenaires entre les lignes.
C’est également un joueur qui aime beaucoup jouer en une ou deux touches de balle dans les derniers mètres lorsqu’il sent que le pressing adverse est susceptible de le mettre en difficulté, ce qui lui permet de ne pas perdre le ballon. Sa capacité à savoir garder le ballon en transition et à pouvoir progresser balle au pied a beaucoup aidé Brighton cette saison, particulièrement dans les matches où les Seagulls ont volontairement laissé le ballon à leur adversaires pour exploser sur les transitions. Enfin, le style de jeu de Mac Allister le fait évoluer constamment avec une volonté d’être face au jeu, et ce dernier n’hésite pas à naviguer vers des zones plus excentrées lorsque l’adversaire augmente la densité dans l’axe.
En plus de ses qualités dans le jeu avec le ballon, Mac Allister possède d’autres qualités offensives : c’est en effet un milieu très à l’aise sur coups de pied arrêtés et qui n’hésite pas à tenter sa chance de loin quand le jeu le permet. Ce sont des qualités qu’il a principalement montrées durant ses prêts en Argentine et avec l’équipe Olympique Nationale durant les phases de qualification pour les Jeux de Tokyo.
Mais s’il y a bien une qualité qui peut définir le style de jeu de l’Argentin, c’est son intelligence situationnelle dans les zones dangereuses et sa recherche constante de verticalité. En effet, sa vision du jeu lui permet de trouver les angles de passes les plus dangereux, particulièrement dans la surface adverse. Le but inscrit par le français Neal Maupay contre Leeds en janvier dernier en est la preuve (victoire 1-0 de Brighton à Elland Road).
En effet, ce but sert de parfait résumé à l’intelligence situationnelle de Mac Allister et son importante capacité à être vertical. Il reçoit un ballon donné par Ben White et se met face au jeu : le choix le plus simple, à ce moment, serait alors de décaler le ballon à droite pour Veltman dans la course. L’action aurait certainement abouti à un centre côté droit peu efficace, étant donnée la double couverture de la zone par Alioski et Dallas côté Leeds. A la place, Mac Allister choisit de trouver Leandro Trossard dans la surface, et d’utiliser la verticalité. La défense de Leeds ne s’attendait pas à un tel choix et se trouve désorienté, tandis que Mac Allister profite de l’espace nouvellement créé pour s’insérer dans ce dernier. Trossard lui la remet de manière très intelligente, et Mac Allister se retrouve, lancé, dans une situation très avantageuse. Il peut facilement la glisser à Maupay, absent de tout marquage, qui n’a plus qu’à pousser le ballon dans le but vide.
Ce but résume donc parfaitement l’intelligence que possède Mac Allister dans les derniers mètres, et sa volonté d’être vertical dans son jeu, plutôt que de systématiquement privilégier la largeur. C’est d’ailleurs cette surutilisation de la largeur qui a coûté cher à Leeds contre les Seagulls : incapables de trouver de la verticalité dans l’axe, les Peacocks ont constamment cherché à passer sur les côtés. Cela a résulté en une quantité importante de centres peu efficaces qui ont facilement été gérés par la défense de Brighton.
Brighton, un écosystème idéal
Si Mac Allister parvient à mettre ses qualités au profit du collectif à Brighton, l’écosystème offert par le club et son manager, Graham Potter, n’y est pas étranger. En effet, malgré son actuelle seizième place au classement, the Albion est l’une des équipes les plus joueuses de Premier League, avec une identité clairement reconnaissable et des intentions de jeu plus que louables pour un club qui doit se battre pour sa survie. Premièrement, Brighton est une équipe très malléable tactiquement, capable d’évoluer dans plusieurs systèmes de jeu en fonction de l’adversaire, de la dynamique et du plan mis en place. C’est ce qui explique les nombreux systèmes qui ont été utilisés cette saison : 3421, 343, 352, 4231 ou encore un 442.
En fonction de l’adversaire, les Seagulls font soit le choix de garder le ballon et d’avoir un style de jeu basé sur la possession, soit de laisser volontairement la balle à leurs adversaires pour évoluer en transition. Peu importe la dynamique du match, on peut noter une volonté claire de repartir de derrière et de faire progresser le ballon rapidement vers l’avant. A la perte du ballon, la volonté de presser haut leur permet de récupérer rapidement le ballon, ce qui est facilité par la couverture offerte par un milieu de terrain bien en place et généralement 3 centraux couvrant la largeur. Le plus souvent, avec le ballon, Brighton évolue dans une configuration avec 3 centraux joueurs (Webster, Dunk et White) qui n’hésitent pas à prendre des risques pour trouver des joueurs entre les lignes. Au milieu, des joueurs comme Bissouma, Lallana ou encore Pascal Groß, font office de relais, et ont eux-mêmes plusieurs solutions grâce à la largeur offerte par la configuration des Seagulls : ces derniers peuvent faire le choix de passer sur les côtés en créant des décalages pour les pistons (March, Veltman, Lamptey ou encore Burn en fonction des blessures), ou bien de trouver deux milieux offensifs très mobiles, souvent situés entre les lignes, à savoir Leandro Trossard et Mac Allister.
Ces derniers occupent très souvent les demi-espaces et parviennent à faire la différence grâce à leurs aptitudes techniques, ce qui débouche très souvent sur des occasions pour Brighton. Ce sont principalement les intentions des Seagulls et leur claire volonté de jouer qui expliquent le fait que ce soit une des équipes se créant le plus d’occasions en Premier League. Cependant, si Brighton parvient à maîtriser ce qui se passe entre les deux surfaces, c’est dans les derniers mètres que les choses se compliquent. En effet, si l’équipe est plutôt solide défensivement, c’est offensivement que les choses se gâtent, du fait d’un clair manque de réalisme dans le dernier geste. C’est ce qui explique le classement actuel de Brighton et sa seizième place : dans la majorité des matches, Brighton domine son vis-à-vis et se crée énormément d’occasions, sans arriver à les convertir.
La métrique des Expected Points permet de mettre en lumière ce phénomène. Pour rappel, cette métrique mesure le nombre de points qu’une équipe aurait pu s’attendre à retirer d’un match sur la base des occasions de marquer (Expected Goals) qu’elle a créées et concédées. Cette métrique montre que Brighton a des Expected Points beaucoup plus élevés que les points réellement gagnés, ce qui montre que l’équipe tend à dominer généralement son adversaire et à obtenir plus de situations favorables, mais qu’elle peine à les transformer en buts, et donc, en points. Bien qu’il faille forcément relativiser la suprématie statistique instaurée par ce genre de métriques, elles sont un outil idéal pour témoigner de la capacité qu’a Brighton à dominer un adversaire dans le jeu mais pas au niveau du résultat.
pic.twitter.com/1rk8ziAkUz— The xG Philosophy (@xGPhilosophy) February 18, 2021
Le classement des Expected Points réalisé par « The xG Philosophy » le 18 février 2021
Cette volonté de produire du jeu a été bénéfique pour un joueur au profil comme celui de Mac Allister, qui en a besoin pour prospérer. L’Argentin a en effet su mettre ses qualités au profit du collectif pour avoir une équipe globalement plus dangereuse et inspirée offensivement. Cependant, comme nous le rappelle le match perdu face à Crystal Palace 2 buts à 1 (malgré 25 tirs contre 3 et 712 passes contre 244), dominer ne suffit parfois pas pour marquer des buts. C’est en ce sens que Mac Allister doit encore travailler, notamment pour mettre à profit ses qualités sur coups de pied arrêtés et sur les frappes de loin, qui ne l’ont pas encore été pour les Seagulls. Il doit également apprendre à prendre plus le jeu à son compte quand son équipe souffre et à faire preuve d’une plus grande lucidité dans certains moments clés du match. Mais à seulement 22 ans, l’Argentin semble avoir toutes les cartes en main pour réussir. Dont celle d’avoir un coach travailleur et inspiré tactiquement, ayant compris que la domination par le jeu est le meilleur moyen de dominer par le résultat.