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Seize ans, il aura fallu seize années à Leeds pour retrouver l’élite du football professionnel anglais. Quasiment deux décennies. Une anormalité pour un club anormal, dont l’histoire moderne a embrassé les périodes dorées et les cauchemars les plus sombres. Retour sur plusieurs décennies qui ont façonné le Leeds d’aujourd’hui.
Il était écrit que les Peacocks retrouveraient la lumière dans une année particulière, marquée par une pandémie mondiale et les décès successifs de ses illustres gloires Norman Hunter, Trevor Cherry et Jack Charlton. Pourtant, les doutes n’ont jamais cessé depuis la reprise de la saison mi-juin, car “Leeds being Leeds”. L’an dernier, après avoir dominé pendant des mois le Championship, le club du Yorkshire s’était effondré à l’amorce du sprint final, devancé sur le fil par Norwich et Sheffield United. Puis, lors des play-offs d’accession, face à une équipe de Derby County le couteau entre les dents, Leeds avait flanché pour de bon. Cette année, bis repetita. Alors, forcément, les doutes étaient permis. Des craintes finalement représentatives de l’histoire du club, habitué à jouer avec les nerfs de ses fans depuis plusieurs décennies. En cinquante ans, Leeds a connu la gloire, le déclin puis la déchéance. Retour en arrière.
Pour comprendre comment Leeds est devenu l’un des clubs mythiques du football anglais, il faut remonter au début des années 1960. À l’époque, Leeds United n’est pas le premier amour d’une ville, plutôt destinée à suivre assidûment et vigoureusement deux autres sports emblématiques – le rugby et le cricket. L’arrivée de Don Revie, âgé de 34 ans, en mars 1961, se fait en toute discrétion. Il faut dire que les Peacocks n’attirent pas les foules et végètent en deuxième division sans réel projet sur la durée. Ellan Road, l’antre du club, peine à atteindre les 10 000 spectateurs en moyenne et rien ou presque ne semble inverser la tendance. Mais Don Revie a un plan pour redorer l’image du club auprès des habitants. Sa première décision est de modifier les couleurs du maillot, alors bleu et doré pour un blanc immaculé. Des ressemblances avec le grand Real Madrid de l’époque ? Complètement :”Nous allons être les meilleurs du monde, comme le Real Madrid”. Une ambition démesurée à l’époque car personne en ville ne croît à une rédemption, tant le club est devenu peu attractif sur la scène nationale.
“J’avais 14 ans et je n’avais jamais entendu parler de Leeds“Eddie Gray
Durant les premiers mois de son mandat, Revie souffre, galère, mais ne lâche pas le gouvernail. Mieux, il décide de confier les clés de la réussite à des jeunes joueurs talentueux : Norman Hunter, Billy Bremner, Paul Madeley, Paul Reaney… Avant d’aller plus loin. L’entraîneur anglais ne se contente pas de ce qu’il a sous la main et veut récupérer les meilleurs joueurs. Pour ce faire, il est prêt à tout. “J’avais 14 ans et je n’avais jamais entendu parler de Leeds, se souvient Eddie Gray, l’une des jeunes pépites écossaises des années 1960 dans la biographie Revie, revered and revile, consacrée à l’entraîneur mythique sortie en 2010, certaines grosses équipes m’ont approché, mais Leeds ne gagnait jamais rien. Je me souviens que la première chose à quoi j’ai pensé quand ils m’ont contacté était : ‘Pourquoi signerais-je pour eux ?”
Par la persuasion et un fort pouvoir de communication, Revie enrôle le jeune Gray au nez et à la barbe de ses concurrents. Dans la foulée, il attire Peter Lorimer, autre pépite écossaise du moment : “Manchester United avait mis le paquet en termes d’argent. Ma mère, qui aimait la relation qu’avait su créer Don, a très vite été persuadée. Il a su lui expliquer ce qui allait se passer. Dès qu’il a su que Manchester était sur le coup, il est venu me chercher de Leeds en voiture jusqu’en Écosse (600 kilomètres aller-retour), puis m’a ramené sur Leeds avant que Manchester n’ait eu le temps de négocier chez moi. C’est comme ça que j’ai rejoint Leeds. Don était si convaincant sur le futur potentiel du club, son succès, qu’il m’a persuadé, moi et ma famille”.
Les mois passent et la philosophie jusqu’au-boutiste de Don Revie prend greffe au sein du club. Il s’attache à changer radicalement les méthodes archaïques de Leeds. La réussite sur le long terme s’acquiert ainsi. On retrouve alors les premières bases de la substantifique moelle de son management : le développement assidu des jeunes joueurs, l’optimisation des recherches à travers des dossiers sur chaque adversaire et enfin, la conceptualisation d’un esprit familial. L’assistant-jardinier d’Elland Road de l’époque raconte à ce sujet : ”Avant le match, il venait nous voir et on parlait de tout et de rien. Ça pouvait être à propos de la famille, de football ou d’autres. Il était vraiment intéressé par nos vies. Il partait voir ensuite le personnel chargé de l’intendance, et ensuite, il allait aux bureaux. Et c’était la même histoire pour tous les matchs à domicile”.
Revie a la main et va la conserver pendant quinze ans. Son arrivée coïncide avec le renouveau de Leeds United dans les écrans radar de la première division anglaise. Et pas seulement. La période est surtout marquée par l’instauration du fameux 4-4-2, système tactique dont l’Angleterre de 1966 saura se servir habilement pour remporter le premier et dernier titre mondial de son histoire. À Leeds, ce schéma sied à merveille aux joueurs présents et notamment à une doublette composée de Billy Bremner et Johnny Giles. Redoutable, ce duo a représenté pendant plusieurs années le sobriquet adossé au Leeds de Don Revie : “Dirty Leeds”, dont l’origine prend sa source dans un papier du FA News en 1963.
Dirty (sale en français) symbolise le style du jeu pratiqué par Leeds, tout en contrôle de la rencontre, avec un impact physique prédominant, les fautes à répétition et les diatribes à l’égard du corps arbitral, Revie organisait même des séances spécifiques la semaine pour que les joueurs soient préparés à débattre auprès de l’arbitre. Gagner, peu importe la manière employée, telle était la logique du club : “Je ne pense pas que Don ait réalisé à quel point – jusqu’à sa dernière année en 1974, il disposait d’une grande équipe, expose Peter Lorimer, il était assez négatif, probablement parce qu’il haïssait la défaite. À l’époque, tout était fait pour que nous ne perdions pas. Et cela n’a probablement pas changé jusqu’aux années 1970”. À raison. Car Leeds, durant l’ère Don Revie, rempli goulûment son armoire à trophées avec deux titres de champion, une FA Cup, une League Cup, un Community Shield. Des récompenses majeures, escortées d’un style unique et d’un engouement retrouvé. Revie a redonné à Leeds le pouvoir de dominer le football anglais.
Une quinzaine d’années se sont écoulées depuis le départ de Don Revie et entre-temps, Leeds a perdu de sa superbe à l’amorce des années 1990 malgré les anciennes gloires devenues entraîneurs tour à tour Allan Clarke (1980-1982), Eddie Gray (1982-1985), Billy Bremner (1985-1988). L’héritage Revie est lourd à porter. Leeds redevient le club qu’il a été dans les années 1950. La formation reste la priorité, mais ne peut effacer tous les maux. Englués en deuxième division, les Peacocks redeviennent un club tout à fait banal, à l’instar de son voisin et ennemi de toujours, Manchester United, dont le dernier titre de champion d’Angleterre remonte à 1967. Deux trajectoires similaires et qui vont s’unir à nouveau au début des 90’s. En 1988, Billy Bremner, légende du club, laisse sa place et est remplacé par Howard Wilkinson, en provenance de Sheffield Wednesday. À l’époque, l’ancien joueur de Brighton n’y croit pas : “Ma première réaction quand on m’a demandé si j’étais intéressé pour entraîner Leeds United a été de dire : ‘Vous devez plaisanter !” explique l’homme de 74 ans dans une interview au Yorkshire Post en 2018.
“Le plan de la direction était de faire remonter Leeds dès l’année suivante en première division et de gagner le titre, cinq ou six années après“Howard Wilkinson
En recrutant Wilkinson, Leeds tord le cou à son récent passé et demande à un coach venu de l’extérieur, de redonner ses lettres de noblesse à un club en pleine décrépitude sur le plan sportif. Un pari risqué dans les deux sens. “Le plan de la direction était de faire remonter Leeds dès l’année suivante en première division et de gagner le titre, cinq ou six années après” raconte Wilkinson. L’ancien entraîneur a toutefois un pedigree intéressant et sort de cinq années à Sheffield Wednesday plutôt prometteuses.
Mais comme d’autres avant lui, il doit faire face aux fantômes du passé : “De l’extérieur, j’ai vu un club toujours sous l’emprise de Don Revie, Wilkinson décide alors de faire table rase du passé pour un certain temps : “J’ai pris toutes les photos de cette époque et je les ai retirées des murs. Elles devaient être uniquement remises si nous étions aussi bons qu’eux à l’époque”. Deux ans plus tard, les photos retrouvent leur place grâce au titre de deuxième division acquis par Leeds à l’issue de la saison 1989-1990 devant Sheffield United à la différence de buts (!). Une première étape franchie pour Wilkinson et sa toute jeune équipe, emmenée par le capitaine écossais, Gordon Strachan. À ses côtés, des noms prometteurs : Chris Fairclough, Simon Grayson, Gary Speed, Vinnie Jones…
La remontée de Leeds est vécue comme une bénédiction pour les fans qui voient en Wilkinson le successeur des années Revie. Le manager anglais réussit là où les autres ont échoué en instaurant des principes de jeu défensifs et une agressivité à toute épreuve. Dès sa première année, le club ne passe pas loin d’une qualification européenne (4e) et surtout, devance le rival honni, Manchester United (6e) entraîné par un jeune et talentueux entraîneur écossais… Alex Ferguson. L’année suivante, contre toute attente, Leeds parvient à accrocher le dernier titre de champion de son histoire (1992) avec une équipe quasiment inchangée depuis trois saisons. Une force collective inébranlable, composée du redoutable buteur Lee Chapman (16 buts), de l’excellent Rod Wallace (11 buts) et d’un Frenchie, encore méconnu en Angleterre, l’impétueux Eric Cantona.
“J’ai appelé Howard. Il me dit : ‘Gérard, on se connait et je te fais confiance, puis-je prendre Cantona ?’ Je lui ai répondu : ‘ferme les yeux et prends-le, tu vas recruter un très bon joueur“Gérard Houiller
L’ancien joueur d’Auxerre et de Nîmes est arrivé à Leeds, après un essai infructueux à Sheffield Wednesday, sur les conseils de Gérard Houllier, une connaissance de Wilkinson : “Je connaissais Howard Wilkinson qui a entraîné Sheffield Wednesday, explique Houllier à Eurosport en 2018. Un jour, il appelle mon assistante à la Fédération pour me parler. J’étais alors aux Antilles. Par le plus grand des hasards, j’appelle la FFF d’une cabine téléphonique et je tombe sur mon assistante qui me dit : ‘Il y a un monsieur Wilkinson qui a appelé, il souhaiterait vous parler.’ J’ai appelé Howard. Il me dit ‘Gérard, on se connaît et je te fais confiance, puis-je prendre Cantona ?’ Je lui ai répondu : ‘Ferme les yeux et prends-le, tu vas recruter un très bon joueur”.
L’idylle entre Canto et Leeds durera seulement une saison, le temps pour Alex Ferguson, de tomber sous le charme de celui qui deviendra le roi de Manchester, son lieu de villégiature pendant plusieurs saisons. Un camouflet pour Leeds et Wilkinson. La future star de la Premier League est partie chez l’ennemi juré. S’en suivent des années contrastées pour Leeds sur la scène nationale. Le club ne retrouve les hauteurs du classement qu’en 1995 avec une cinquième place, loin de Blackburn, champion surprise, et de Manchester United son dauphin.
La fin du siècle sonne comme un rebond pour Leeds. En effet, après plusieurs années sans vice ni vertu, le club retrouve des couleurs et s’installe progressivement dans les cinq premières places du classement (5e en 1997-1998, 4e en 1998-1999, 3e en 1999-2000). Sous la houlette de l’Irlandais David O’Leary, arrivé en 1998, les Peacocks rivalisent avec les meilleures formations du royaume et commencent à jouer les premiers rôles sur la scène européenne. Pourtant, des choses ont changé. Leeds a décidé de s’ouvrir et de faire confiance à des joueurs étrangers. On retrouve notamment les Norvégiens Alf-Inge Haaland, Gunnar Halle, Eirik Bakke, et Tommy Knarvik, les Néerlandais Willem Korsten, Robert Molenaar et Jimmy Floyd Hasselbaink, le Sud-Africain Lucas Radebe ou encore les Australiens Harry Kewell et Mark Viduka. Plus présents, ces derniers offrent une nouvelle manière de jouer à O’Leary. Et ça paye (presque) puisque Leeds s’incline de justesse en demi-finale de la Coupe de l’UEFA en 2000 face à Galatasaray.
Un an plus tard, le sort s’acharne, cette fois contre Valence, en demi-finale de la Ligue des Champions. Des épopées européennes, encore dans les mémoires des fans, à l’image de Nick Black, bassiste du groupe de jazz Gogo Penguin, interviewé par So Foot en 2016 : “J’ai adoré l’équipe des Peacocks dans les années 2000, cette période merveilleuse, lorsqu’ils sont arrivés en demi-finale de la Ligue des champions. Harry Kewell était notre meilleur joueur à l’époque”. Un souvenir lointain pour les fans des Peacocks, le dernier depuis vingt ans. La suite n’est qu’une chute vers les entrailles de la Football League et du Championship en 2004, trois ans seulement après la demi-finale de Ligue des Champions. Trois années de souffrance où les fuites conjuguées des deux stars du club, Rio Ferdinand et Alan Smith vers Manchester United, ont sonné le glas des espoirs du club. Ellan Road ne chante plus. Les dettes s’accumulent (110 millions de pounds). Leeds est en plein cauchemar.
Plus dure sera la chute. À Leeds, cette ritournelle a pris tout son sens à l’issue de la saison 2003-2004 où le club a chuté vers le Championship, entraînant avec lui sa folie des grandeurs et des tombereaux de dettes. Leeds s’est vu trop gros et va devoir assumer. En 2005, Ken Bates, homme d’affaires connu à travers le pays pour avoir été le propriétaire de Chelsea de 1982 à 2003 – club alors endetté qu’il a obtenu pour un livre symbolique – vient au secours des Peacocks et décide de racheter le club vintage pour environ 10 millions d’euros. Le loup est dans la bergerie. En effet, l’impétueux Bates est reconnu en Angleterre pour sa gouaille légendaire, ses diatribes irrévérencieuses et graveleuses adressées aux journalistes. Dès son arrivée à Leeds, il ne déroge pas à sa réputation et assène en conférence de presse : “Maintenant, messieurs les journaleux, si vous pouviez me faire parvenir vos noms et ceux de vos journaux. Juste pour que je sache qui censurer dès aujourd’hui”. Le ton est donné.
Sportivement, les premières directives de Ken Bates sont claires : Leeds doit acheter des joueurs gratuitement et les salaires ne doivent pas excéder des sommes mirobolantes. Avant de se relever sur le pré, le club doit éponger ses dettes. Si le club, exsangue financièrement depuis des mois, parvient à réussir tant bien que mal ce premier pas, les résultats sportifs en berne ne rassurent guère les fans. La première saison en Championship se termine par une 14e place sans saveur, loin des playoffs et de l’accession directe en Premier League. La deuxième, beaucoup plus joyeuse, se termine par un scénario apocalyptique dans l’antre de Wembley, où lors de la finale des playoffs de Championship, Watford écrase Leeds 3-0. Le rêve d’un retour rapide en Premier League est passé. Surtout, une génération de cadres décide de passer la main. Leeds doit se reconstruire.
Perdre en finale des playoffs est toujours difficile à encaisser. Mais la saison qui suit pour Leeds va s’avérer être la pire de son histoire à tous les niveaux. Dès l’entame de cette saison 2006-2007, quelque chose ne tourne pas rond dans le Yorkshire. L’effectif a connu de nombreux changements et surtout, il se murmure que la préparation estivale ne s’est pas déroulée comme prévu. Après un début de saison catastrophique – deux victoires acquises en huit journées -, Kevin Blackwell en poste depuis deux saisons est congédié le 20 septembre. Il est remplacé par John Carver au pied levé. Le début d’un long mois d’octobre.
“John Carver était fortement critiqué pour le manque de préparation avant les rencontres et le manque de sérieux du groupe“
À Leeds, les rumeurs s’intensifient, la préparation des rencontres ne se ferait pas de la meilleure manière alors que le club est englué en bas de tableau. Le 21 octobre, Leeds se fait terrasser à Kenilworth Road par Luton 5-1. “John Carver était fortement critiqué pour le manque de préparation avant les rencontres et le manque de sérieux du groupe, confie Yann qui a étudié à Leeds pendant un an, le club communiquait à tout-va pour dire que tout ceci était faux. Après la défaite à Luton, tout le monde (coach, staff, joueurs) tente d’esquiver la presse. En sortant sur le parking pour rejoindre le bus, ils tombent sur des livreurs de Pizza Hut… Les mecs viennent de prendre 5-1 par Luton et commandent des pizzas vingt minutes après la fin de la rencontre”. Deux jours plus tard, Carver est prié de faire ses bagages.
En l’espace d’un mois, Leeds vient de limoger deux entraîneurs et s’enfonce inexorablement dans la zone rouge. Pour tenter de sauver le club, Dennis Wise arrive à la rescousse. Lors de sa première conférence de presse, l’ancienne gloire de Chelsea annonce qu’il souhaite revoir le Dirty Leeds de Don Revie. Les joueurs qui composent l’effectif actuel doivent s’y inspirer et Ellan Road redevenir une forteresse impénétrable. Mais la greffe ne prend pas. Pire, Wise agace en coulisses. “Wise a tenté de tout bouleverser confie Matt Kilgallon, ancien joueur de Leeds entre 2002 et 2007 au site Planet Football, il ne faisait pas jouer les cadres comme moi ou Gary Kelly. Il n’avait pas véritablement un onze en tête. Il y avait trop de joueurs en prêt et certains gars passaient avant d’autres alors qu’ils étaient moins bons”.
Mécontent de son temps de jeu famélique, Kilgallon quitte finalement Leeds pour Sheffield United début janvier. Inexorablement, le club s’enfonce vers la League One et va recevoir un ultime coup de bambou. Criblé de dettes, Leeds écope de dix points de pénalité. Malgré un sursaut au mois de mars où l’équipe enchaîne six rencontres sans défaite, le mal est fait. Le retard irrattrapable. Leeds va descendre en League One pour la première fois de son histoire.
Après plusieurs d’années d’errance en League One, puis un retour en Championship en 2010, Leeds doit revenir dans le jeu. Ken Bates a laissé la main en n’ayant rien dépensé pendant une décennie et surtout caché de l’argent. Changements récurrents de managers, affaires judiciaires, relations exécrables avec les fans, endettement du club, la liste des griefs reprochés à l’homme d’affaires anglais est sans fin. Finalement, Bates aura surtout été au centre du jeu pour ses multiples frasques dans la presse, comme cette sortie devenue iconique dans le Yorkshire : “La reconstruction de Leeds, c’est un peu comme le sexe : à une époque où la petite gâterie est reine, ce club a besoin d’une longue et interminable séance de préliminaires”. Débarrassés, les fans de Leeds pensent en avoir terminé avec les années de galère. La suite des événements ne va pas leur donner raison.
En vente, le club reçoit trois offres de rachat à hauteur de 75 % des parts du club. La première vient d’un groupe d’investisseurs mené par l’homme d’affaires Mike Farnan, incluant l’ancienne icône du club Lucas Radebe, mais celle-ci est refusée. La deuxième est proposée par le consortium Sport Capital, mené par David Haigh, directeur général du club et Andrew Flowers, patron d’un des sponsors principaux du club, Enterprise Insurance. Cette dernière est acceptée, mais l’incapacité des investisseurs à fournir les fonds nécessaires pour racheter le club va obliger le consortium à baisser son offre de rachat, ce qui va finalement mettre fin aux négociations.
La troisième offre qui sera finalement acceptée en janvier 2014 est réalisée par le consortium Eleonora Sport Ltd mené par la famille italienne Cellino qui a fait fortune dans l’agriculture en Italie. À Leeds, ce rachat laisse planer le doute. Massimo Cellino a été condamné deux fois par la justice italienne pour fraude fiscale et surtout, il est connu dans le foot italien pour avoir licencié 34 coachs en 20 ans de mandat à Cagliari. Le spectacle peut alors commencer.
À peine arrivé, Massimo Cellino dégaine. Contre toute-attente, il licencie Brian McDermott, le coach en place depuis moins d’un an. Une décision incompréhensible qui fait bondir Ross McCormack, le capitaine des Peacocks dans la presse : “Le coach m’a appelé pour me dire qu’il partait confie l’attaquant au Yorkshire Evening Post, c’est un moment extrêmement triste. Nous entretenions une relation étroite et je souhaitais continuer de travailler avec lui”. Cette annonce fait l’effet d’une bombe chez les fans qui décident alors de bloquer la sortie de Cellino à Ellan Road. Il faudra finalement l’intervention de la police pour permettre au futur boss de Leeds de pouvoir filer sous les sifflets des fans. Le lendemain, deux sponsors Enterprise Insurance et Flamingo Land, se retirent, mécontents du licenciement de McDermott, très apprécié localement depuis son arrivée. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Le surlendemain, jour de match entre Leeds et Huddersfield, McDermott assiste depuis les tribunes à l’écrasante victoire de son ancienne équipe (5-1) et apprend dans la foulée, via un communiqué du club, qu’il est toujours le coach des Peacocks car : “La société qui l’a limogée quelques heures auparavant n’est pas autorisée à le faire”. D’autant que le passé sulfureux de Massimo Cellino ne plaît pas vraiment à la Football League. À la suite d’un examen complémentaire, le propriétaire italien ne réussit pas les tests et le rachat du club est bloqué. Désabusé, Cellino fait appel auprès d’un juge indépendant et le 8 avril 2014, après plusieurs semaines de tractations judiciaires, obtient gain de cause et prend le contrôle de Leeds United à hauteur de 75 % des parts.
“Les entraîneurs, c’est comme des pastèques. On ne sait ce qu’ils valent que lorsqu’on en voit l’intérieur“Massimo Cellino, propriétaire de Leeds
La suite du mandat de Cellino à Leeds pourrait donner des envies à Netflix. En effet, l’Italien est la copie parfaite de l’investisseur se moquant éperdument du football. Sa priorité : mettre le tohu-bohu partout où il passe. Les fans de Leeds en ont eu pour leur argent et les employés du club gardent un magnifique souvenir du passage de Massimo dans les couloirs d’Ellan Road pendant trois ans. Si Ken Bates avait déjà laissé une marque indélébile, Cellino lui, est monté d’un cran. Premier fait d’armes, licencier plus de 70 employés pour aider le club – qui perd un million de livres chaque mois -, dont les ambassadeurs Eddie Gray, Peter Lorimer et Dominic Matteo. Décrié dans toute la ville, l’homme d’affaires continue pourtant de se mettre en avant dans la presse et donne une vision très particulière du management en entreprise : “Les entraîneurs, c’est comme des pastèques. On ne sait ce qu’ils valent que lorsqu’on en voit l’intérieur”. C’est sans doute pour cela qu’entre 2014 et 2017, Leeds en aura vu passer sept : Brian McDermott, David Hockaday, Neil Readfearn par deux fois, Darko Milanic, Uwe Rösler, Steve Evans et Garry Monk. L’instabilité, le maître mot du mandat Cellino.
Mais les tribulations de l’Italien ne s’arrêtent pas là. Bien au contraire. Désabusés par l’état de leur club, les fans de Leeds décident d’afficher la bobine de leur propriétaire partout en ville, aux abords du stade, devant le centre d’entraînement, flanquée de plusieurs messages sans appel : “Time to go Massimo”, “You’re not welcome”, “We were here before you and still will be after you’ve gone”. Face à cette vendetta, Massimo Cellino ne fronce pas un sourcil. Non mieux, il s’imcombe tous les échecs de son mandat. Contacté par Adam Pope, journaliste à la radio BBC en février 2016, le propriétaire des Peacocks affirme qu’il est d’accord avec les messages des fans… L’improbable s’est produit, les fans de Leeds n’en reviennent pas.
Et le terrain dans tout ça ? Pas grand-chose. Difficile pour Leeds d’espérer une montée en Premier League en ayant une valse des entraîneurs permanente. Travailler dans ce club relève presque de l’exercice de style puisqu’à tout moment, le propriétaire peut vous demander de partir après cinq, dix ou quinze rencontres disputées. La seule éclaircie pour Leeds et ses fans est de voir ses jeunes pousses grandir avant de partir. À l’image de Lewis Cook (85 apparitions), Alex Mowatt (125 apparitions) et Sam Byram (143 apparitions) qui pendant l’ère Cellino, auront donné un sentiment de fierté à Ellan Road, heureux de trouver des jeunes Peacocks avec un tel niveau. Un retour dans le passé malgré tout furtif.
Empêtré dans des affaires judiciaires qui lui ont valu d’être suspendu de toutes fonctions au sein du club du 1er décembre 2014 au 7 mai 2015, puis du 1er février 2017 au 1er septembre 2018, Massimo Cellino décide de passer petit à petit la main. Le 23 mai 2017, Andrea Radrizzani annonce le rachat de Leeds United à 100 %, en achetant les 50 % restants du précédent copropriétaire. Deux mois plus tard, le nouveau propriétaire italien finalise le rachat d’Elland Road qui n’était plus détenu par le club depuis les premiers ennuis économiques en 2004. Le début d’un nouveau chapitre.
15 juin 2018. Une date qui fait sens pour tous les fans des Peacocks, celle de l’arrivée d’El Loco, Marcelo Bielsa. L’entraîneur argentin est attendu comme le prophète dans une ville où la déraison est le moteur et l’anormalité à son crépuscule. Ses méthodes connues de tous doivent permettre à Leeds de retrouver un semblant de calme. Et elles ne se font pas attendre. Au bout de quelques semaines, pour montrer la valeur du travail, Marcelo Bielsa demande à ses joueurs de ramasser tous les déchets présents autour du terrain pendant trois heures. L’Argentin de 63 ans souhaite que son effectif se rende compte de ce que les fans doivent endurer afin de pouvoir se procurer un billet pour le match de leur équipe. Sur le terrain, les premiers effets de la méthode Bielsa portent leurs fruits. Leeds caracole en tête du classement et à la mi-saison, tout porte à croire que le club du Yorkshire va retrouver la Premier League tant il domine de la tête et des épaules le Championship.
“Il est extrêmement influent pour tant de grands coachs. Je l’admire depuis très longtemps. J’ai beaucoup de respect pour lui, sa carrière, ses méthodes et ses idées novatrices“Graham Potter, entraîneur de Brighton
Le succès de Leeds fascine, à tel point que ses collègues de profession ne tarissent pas d’éloges sur l’homme, son identité, ses idées quelques semaines ou mois après son arrivée outre-Manche. À l’image de Daniel Farke, l’entraîneur de Norwich : “Il se tient à sa philosophie à 100 %, sans compromis. C’est un peu spécial et unique, mais c’est impressionnant. Dans le business, j’aime vraiment les coachs qui ne sont pas normaux, qui ont une vision et qui croient en leurs idées”, de Tony Pulis ex-coach de Middlesbrough : “C’est un grand coach qui connaît le football. Il est très expérimenté. Il sait de quoi il parle. Il a dirigé quelques grands clubs et il a l’expérience pour gérer la situation ici. Et c’est ce dont Leeds a besoin” et de Graham Potter, ex-coach de Swansea aujourd’hui à Brighton : “Il est extrêmement influent pour tant de grands coachs. Je l’admire depuis très longtemps. J’ai beaucoup de respect pour lui, sa carrière, ses méthodes et ses idées novatrices”.
Seulement, comme le passé l’a démontré, les équipes de Marcelo Bielsa ont souvent eu tendance à fléchir à l’amorce du sprint final. La saison 2018 – 2019 de Leeds ne déroge pas à la règle. Présente pendant 32 journées sur 46 dans le duo de tête, la formation de Bielsa a craqué lors des quatre dernières journées (1 pt récolté sur 12), laissant le champ libre à Norwich et Sheffield United pour la montée directe.
La fin de saison de Leeds se transforme alors en un véritable cauchemar. En demi-finale des playoffs, face à la jeune équipe de Derby County, coachée par un Frank Lampard revanchard des manigances d’El Loco – l’entraîneur argentin avait envoyé un espion au centre d’entraînement de Derby avant la rencontre entre les deux équipes le 12 janvier 2019, l’affaire s’était rapidement répandue dans la presse et surnommée “Spygate” – Leeds s’incline à l’issue d’un match retour raté à Ellan Road (défaite 2-4, Leeds s’était imposé 1-0 à Derby), épuisé, lessivé. Un camouflet terrible pour le club qui après plusieurs mois à espérer, rate la dernière marche.
“Leeds a clairement passé un cap ces deux dernières saisons par rapport aux années précédentes, on sent une nouvelle ère et un tout autre état d’esprit s’installer dans le club“
Pour autant, rien n’est remis en cause à l’intersaison. Les Peacocks savent qu’ils peuvent réitérer de telles performances et cette fois, gagner leur ticket pour l’élite du foot anglais. Et la suite ne va pas les faire mentir. “En termes de régularité et sur le plan tactique Leeds a clairement passé un cap ces deux dernières saisons par rapport aux années précédentes, on sent une nouvelle ère et un tout autre état d’esprit s’installer dans le club confie Yassine responsable du compte Championship France sur Twitter, la saison dernière ils avaient réussi à envoyer un message fort à tout le monde dès le départ, pas seulement de par les résultats, mais surtout à travers le contenu délivré au cours des deux premiers mois. Le niveau d’intensité et les transitions offensives étaient effrayants pour les adversaires”.
Cette saison, même son de cloche, Leeds a démarré fort et n’a jamais lâché une des deux premières places depuis novembre, laissant ses adversaires directs à plusieurs longueurs. “Cette saison on a pu découvrir une autre facette du Leeds de Bielsa, un Leeds plus patient, plus temporisateur et plus calculateur rajoute Yassine, ils ont trouvé une assise défensive avec l’arrivée de Ben White. C’est un joueur que je trouve très rassurant, qui inspire la sérénité, et si en plus il se trouve bien entouré, sa polyvalence aura été primordiale cette saison pour Leeds sur les quelques matchs qu’a dû rater Kalvin Phillips, l’autre homme fort de Bielsa cette saison. C’est une équipe qui est devenue aussi plus tueuse, à l’image de Jack Harrison qui a eu un déclic cette saison, sans pour autant renier les principes prônés par Bielsa”.
“Les fans de Leeds disent très souvent que ‘Bielsa is God’. Peut-être que c’est un être divin venu ramener Leeds en terre promise“
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Contrairement à la précédente cuvée, Leeds s’est endurci dans le secteur défensif (35 buts encaissés contre 50 la saison passée). Une différence de taille, tant sur la différence de buts que sur la sérénité dégagée par le back-four Luke Ayling, Ben White, Liam Cooper et Stuart Dallas. Devant, malgré les gros ratés de Patrick Bamford, Leeds a conservé sa force de frappe offensive en inscrivant 72 buts. Les ingrédients de la montée en Premier League de Leeds, seize ans après l’avoir quittée. Une réussite pour le club et forcément, pour El Loco Bielsa : “Les fans de Leeds disent très souvent que ‘Bielsa is God’. Peut-être que c’est un être divin venu ramener Leeds en terre promise. Il incarne la ville et le club. Sur tous les plans il déjà a laissé une trace indélébile. Au niveau médiatique sa conférence de presse après l’affaire du Spygate c’était une claque. On n’avait jamais vu ça” explique Yassine.
Leeds et Bielsa, c’est finalement l’histoire d’amour entre un coach cristallisant tous les fantasmes de l’anti-football moderne et un club anti-conformisme. La rencontre entre deux êtres qui devaient s’unir pour retrouver la lumière. Leeds a retrouvé le chemin du succès grâce à un coach dont la folie colle sciemment à ses codes, son histoire et ses désirs.
L’arrivée du Leeds de Marcelo Bielsa en Premier League suscite forcément de nombreuses attentes. Depuis deux ans, le travail du technicien argentin est loué aussi bien dans la presse nationale que dans la presse internationale. Les fans, de leur côté, n’ont d’yeux que pour lui. “Le coach Bielsa met son charisme et sa personnalité au service du jeu, explique l’un d’eux au micro de Mourad Aert, journaliste pour FC Marseille qui est parti à leur rencontre l’an dernier, ils créent quelque chose sur le terrain. Les supporters aiment ce qu’ils voient”. D’autres, sont encore plus dithyrambiques quand il s’agit de décrire El Loco : “Ce que j’aime chez lui, c’est la passion, son côté tacticien et il est respectueux, j’apprécie ça chez un manager. Ce n’est pas quelque chose que l’on a tout le temps dans le foot anglais ! Chez les jeunes, chez les coachs… Il respecte ses adversaires et c’est important pour moi”.
Maintenant, qu’attendre du club en Premier League ? La donne est claire, Leeds n’arrive pas dans la peau d’un outsider, ni même d’un favori. Avant de retrouver les premiers rôles, il doit impérativement se renforcer dans le secteur offensif pour pallier aux manques entrevus durant la saison et sécuriser un maintien indispensable. Les 16 buts inscrits par Patrick Bamford, le seul et unique attaquant de pointe des Peacocks sont l’arbre qui cache la forêt. L’attaquant anglais, souvent décrié, ne pourra pas à lui seul tenir le gouvernail face aux écuries de Premier League. C’est sans doute le principal travail de Marcelo Bielsa en préambule de la nouvelle saison.
Le technicien argentin pourra en revanche compter sur un groupe quasiment identique à cette saison. Car la force de LUFC est d’avoir constitué une véritable ossature autour de plusieurs piliers : Liam Cooper, Luke Ayling, Kalvin Phillips, Pablo Hernandez, Mateusz Klich… Des noms pas forcément clinquants sur le papier, mais dont l’apport est indispensable dans l’équilibre que souhaite donner Bielsa à son onze.
Surtout, le retour programmé de Leeds est attendu. La rivalité avec Manchester United, les duels fraternels entre Marcelo Bielsa et Pep Guardiola, Mikel Arteta, sans oublier Jurgen Klopp et Frank Lampard. Tout cela donne du grain à moudre aux observateurs. Mais plus que des duels ou des rivalités, la montée de Leeds est surtout le réveil d’un club légendaire qui a terminé son long sommeil. Le réveil a sonné.
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