Juin 1947, Stoke City et le bourbier de Bramall Lane

La décision entérinée de la Premier League de redémarrer la compétition, suite à son arrêt en raison de la pandémie de Covid-19, ne peut se faire sans un regard vers l’histoire. Depuis 1947, le mois de juin n’a plus accueilli de rencontre de championnat. Une saison au sortir de la Seconde Guerre mondiale à l’issue dramatique pour Stoke City, le club du Staffordshire n’ayant jamais été aussi près de décrocher le Graal. Retour vers un pan de l’histoire du football anglais.

L’information est passée inaperçue pour des circonstances exceptionnelles qui incombent aussi aux trois autres grands championnats européens. Non pas que la Premier League va reprendre après trois mois d’arrêt en raison de la pandémie de Covid-19. Mais ses matches vont être programmés au cours du sixième mois de l’année ! Qui l’eût cru ? Personne évidemment, si l’on en croit la rareté de ce que l’on s’apprête à assister. Et à déguster.

Les dernières rencontres de football au pays de sa majesté concernent généralement les finales de FA Cup et des play-offs d’accession au Championship, fixés sur la deuxième moitié de mai. Elles auront lieu, bien sûr, mais chevauchant les compétitions domestiques (PL et Championship, les League One et League Two étant définitivement arrêtés), et l’attente toujours exacerbée des supporters pour ces rendez-vous restera forcément atténuée par le caractère inattendu de la situation footballistique et sportive en Europe.

Depuis 1947, juin n’a, en effet, plus connu les joies et les peines que procure le ballon rond en fin d’exercice de l’autre côté de la Manche. Mais cette édition-là, la première disputée en intégralité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, par son dénouement pour le titre, verra l’ascension plutôt inattendue d’un club dont le destin va basculer sur une seule rencontre… la dernière, disputée plus au nord-est, à Bramall Lane.

Stoke City : Couronne, zéro pointé et bourbier

Le rude hiver anglais 1947 n’avait pas été tendre avec le pays (l’un des pires qu’il ait connu selon les observateurs) et entraîna une paralysie économique et sportive dans le Royaume. Beaucoup de matchs de la seconde partie de saison furent d’ailleurs décalés et tout le mois de mai utilisé pour régler les problèmes de calendrier.

Obligeant Stoke à disputer deux dernières rencontres, le 26 mai pour un succès crucial à Aston Villa (1-0) et un dernier à Sheffield la 14 juin suivant, face à United. Contrairement à la majorité des autres formations, n’ayant plus qu’un dernier rendez-vous à honorer (dont Liverpool, vainqueur à Wolverhampton 2-1 le 31 mai) pour boucler leur championnat. L’enjeu pour les Potters est simple : si victoire à la « Steel City », la couronne de champion coiffera leurs têtes, pour la toute première fois.

Stoke est quatrième au matin de disputer son dernier match, le seul programmé ce mois-ci, face aux Blades, et ce ne sont pas les deux points d’avance que possède Liverpool en tête (57 points) à l’issue des 42 matches (22 équipes composent la First Division à l’époque, avec la victoire à deux points) qui puissent anéantir son rêve de devenir la première équipe du pays, la différence de but étant à leurs avantages (+36 contre +32). Une prétention au titre rendue possible par deux séries de matchs sans défaite, enchaînant les bons résultats, dont la dernière toujours en cours (huit victoires et un nul sur les neuf derniers matches), après un début compliqué (un seul point après huit matches).

Alors qu’environ 10 000 fans des Potters prennent la route en direction du South Yorkshire pour soutenir les siens, et ainsi remplir pour un tiers les travées de Bramall Lane (une telle demande que les compagnies de bus ne disposaient plus de véhicules pour emmener tout le monde), rien ne va se passer comme prévu pour ceux qui porteront ce jour-là un curieux attelage maillot blanc-short noir.

Et la feuille de match complétée par le « manager-secretary » de Stoke City, Bob McGrory, va résumer leur sentiment général. A l’époque, les coachs, en plus de signer le document officiel relatant le score et les informations essentielles après la rencontre, avaient la possibilité de noter la performance de l’arbitre dans la case «index figure», à l’aide d’une appréciation allant de 0 («Bad or Incompetent») à 4 («Very Good »).

McGrory n’hésita pas une seconde à indiquer une bulle pour qualifer la performance de W.H. Dixon, l’homme en noir ce jour-là, se plaignant des décisions controversées sifflées tout au long des 90 minutes. « Il n’a pas joué son job, alors qu’on a essayé de faire le nôtre. Deux ou trois penalties auraient dû nous être sifflés, des fautes grotesques et des tentatives d’intimidation étaient aussi visibles. Et vu les conditions météos, rien ne s’est rangé de notre côté. Quel bourbier ! » lança le coach des Potters au Sentinel, journal local du Staffordshire. McGrory n’en était pas à sa première – il avait déjà fait parler de lui plus tôt dans la saison, en infligeant un « un sur quatre » pour la prestation d’un autre arbitre, R.C. Greenwood, lors d’un nul ramené de Manchester United (1-1).

Pickering, l’invité surprise

Sa précision sur la météo ce jour-là tient son importance. Sur un terrain lourd et gras rendu quasiment impraticable, dues aux récentes pluies diluviennes qui se sont abattues à Sheffield, et malgré l’appui de leurs fans venus en nombre, ses hommes s’embourbent dans l’antre des Blades.

Face aux conditions difficiles et un enjeu crispant les sensations des favoris de la rencontre, il n’en faut pas plus pour les locaux (qui n’ont plus rien à jouer, terminant sixièmes du championnat) pour profiter d’entrée de l’apathie et des erreurs adverses, exploitant d’entrée celle du gardien Dennis Herod, qui apprécie mal la trajectoire d’un centre-tir de Jack Pickering (3e), auteur de l’ouverture du score et acteur inattendu pour ce dernier match.

Situation cocasse – le manager de Sheffield United, Ted Davidson, n’hésita pas à miser sur l’attaquant de 38 ans, aucune apparition cette saison-là, pour remplacer au pied levé la star Jimmy Hagan, blessé. Le gardien des Potters s’en mordra les doigts longtemps pour sa boulette («Cela m’a pris des mois pour sourire à nouveau.») mais ses coéquipiers répondent immédiatement. Deux minutes exactement, avant que l’avant-centre Freddie Steele, 31 buts toutes compétitions confondues cette saison-là (29 en championnat), exploite un centre de George Mountford et remise sur Alec Ormston qui égalise en transperçant les filets de près (5e).

La tension monte à Sheffield…et à Anfield. Liverpool a profité de l’occasion pour programmer la finale de la Merseyside Senior Cup contre Everton, pour réunir tous les fans et les tenir au courant des événements de Sheffield sur un grand tableau de bord.

L’engagement est total dans la boue de Bramall Lane qui sert de terrain, et les reproches de Bob McGrory au corps arbitral trouvent bientôt leurs échos. Le croc-en-jambe du défenseur de Sheffield United Harry Latham sur Freddie Steele dans la surface n’est pas sifflé, et les multiples situations litigieuses dans la zone de vérité mettent en rogne le manager au bord de la « pelouse ». Non sanctionnés, les hommes de Ted Davidson en profitent pour reprendre l’avantage quatre minutes après la pause. L’anticipation manquée du défenseur de Stoke John McCue, qui tente d’intercepter une passe de Jack Pickering, permet à Walter Rickett de remettre son équipe devant (49e).

Les Potters ont donc quarante minutes pour inscrire deux buts et devenir champions. Ils pilonnent la défense regroupée des Blades, tentent de trouver des décalages et des ouvertures dans cette gadoue infâme. George Mountford fracasse la barre, l’ailier Syd Peppitt vendange une énorme opportunité et une tête de Steele est ralentie et bloquée juste devant la ligne par la boue. C’est terminé, 2-1. Stoke City n’avait jamais été aussi proche de remporter son premier titre national – si on omet les titres en D2 (1933) et D3 (1927).

Pire, ils ne terminent même pas dauphins des Reds (qui eux, engrangent leur cinquième couronne nationale), cette défaite profitant à Manchester United et Wolverhampton (56 points chacun) de truster le podium et d’établir un classement en trompe-l’œil, tant les Potters représentaient les contenders numéro 1 des Scousers tout au long de cette exercice 1946-1947.

L’épisode Matthews pourrit la fin de saison

Epilogue malheureux forcément pour Bob McGrory et sa formation – quand on sait que Stoke City n’aura plus jamais l’occasion de jouer les outsiders en First Division ou Premier League -, l’entraîneur légendaire des Potters (17 ans à la tête du club après y avoir disputé plus de 500 matches en tant que joueur) qui avait bâti un effectif composé essentiellement de joueurs locaux ou de la région.

Le conte de cette saison au dénouement dramatique pour Stoke, ne serait pas complet sans évoquer les remous survenus en interne au club à cette période. Il y a bien la demande de placement sur la liste des transferts de Frank Mountford (aucun lien de parenté avec son coéquipier George), suite à l’annonce de la composition d’équipe par McGrory le mardi précédant la rencontre décisive contre Sheffield United.

N’y figurant pas, l’« utility player » ne souhaite plus porter le maillot du club (il y restera finalement dix ans de plus), contrarié par le retour de Neil Franklin (accessoirement considéré comme l’un des meilleurs défenseurs du monde à cette époque) dans l’équipe, après un rassemblement de la sélection et l’explosion du talentueux défenseur de l’Academy John Sellars. Mais cet état d’âme n’est rien comparé au tollé qu’a provoqué le départ de Stanley Matthews, le meilleur joueur de la planète, à trois journées de la fin.

Le futur et premier Ballon d’Or 1956 pense se diriger vers la fin de sa carrière, à 32 ans (réflexion assez poilante quand on sait qu’il la poussera jusqu’à son demi-siècle), mais la possibilité de décrocher un titre de champion avec son club formateur ne pèse pas dans la balance.

La fin de saison est d’ailleurs houleuse – en février, alors que Matthews revient d’une blessure au genou, McGrory lui signifie qu’il ne sera pas titularisé face à Arsenal, et lui demande de passer d’abord en réserve. Une dispute éclate, dévoilée par une presse qui n’en demandait pas tant. Les relations entre Matthews, McGrory et les dirigeants du club étaient déjà houleuses de longue date, le joueur demandant à partir une première fois en 1938. Ses coéquipiers se désolidarisent de lui, malgré les démentis de ce dernier. Et Matthews demande une seconde fois à être transféré, ce que le club accepte.

Il choisit de s’engager avec Blackpool, sa nouvelle ville d’attache (engagé dans la Royal Air Force, il a même disputé quelques rencontres pendant la guerre avec les Seasiders) où il s’est installé et a acheté un hôtel l’année précédente. L’insistance du « Sorcier du dribble » à vouloir rejoindre uniquement la ville du Lancashire ne permettra même pas à Stoke City, ne voyant pas une bataille des prix s’engager, d’obtenir un prix record pour Matthews (£11,250).

Une page s’est tournée et l’histoire ne dira jamais si Stoke City serait devenu champion si le célèbre numéro 7 avait foulé la pelouse de Bramall Lane en ce mois de juin 1947. Mais la gestion de son cas, couplé au traquenard qu’ont vécu ses anciens coéquipiers dans l’antre des Blades, avec cette fin d’exercice tragique pour le club, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, marque toujours l’histoire du football outre-Manche.

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