Lorsqu’il s’agit de porter un regard sur le projet sportif d’Hull depuis quatre ans, les sourcils se lèvent, les visages se ferment, l’incompréhension est tenace. Une valse des coachs, une famille de propriétaires qui n’a cessé de faire monter la contestation, des joueurs non concernés par le club et des supporters désarmés. Au beau milieu de tout ça, une identité, un blason, qui année après année tentent de survivre. Pire, rien ne semble éclaircir ce paysage grisonnant. Retour sur une descente quasi inéluctable dans l’absurde.
Il est rare de trouver un sourire quand il s’agit de remémorer aux fans des Tigers les dernières saisons qui viennent de s’écouler. Si beaucoup d’entre eux avancent que les montées en Premier League furent un enchantement presque désuet, ils ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur profonde colère sur la déliquescence progressive de leur club. Une aigreur qui s’amorce encore plus dès qu’un nom est prononcé, celui d’Assem Allam. Le propriétaire égyptien d’Hull serait presque un criminel recherché pour certains, d’autres se montrent plus souples dans leurs analyses, tout de même fatalistes, d’un homme qui finalement, a répandu ses fantasmes comme une traînée de poudre. Son attitude, son mépris, son manque de tact, ont rendu fous des supporters défenseurs de leur identité commune et que l’homme d’affaire voulait faire vaciller pour exporter le club au-delà des frontières. Plusieurs mois de protestation n’ont pas suffi à rabibocher le dialogue. Si les tensions sont toujours véhémentes, la situation sportive ne fait qu’empirer.
Déliquescence sportive et silence en coulisses
A Hull plus qu’ailleurs, la notion de projet sportif n’a jamais pris son sens. Encore moins depuis deux ans. Si le mandat de quatre années de Steve Bruce a été couronné par deux montées et une relégation – les passages de Mike Phelan, Marco Silva ont été un véritable fiasco. Désormais à la tête du club, Leonid Sloutski a dû composer avec un champ de ruines en arrivant dans le Yorskhire. Le coach russe a connu un mercato d’été agité avec au total onze arrivées, mais surtout seize départs et pas des moindres : Sam Clucas, Andy Robertson, Curties Davies, Tom Huddlestone, Ahmed El Mohamady, Harry Maguire, Eldin Jakupovic… A eux seuls, ils représentaient une grande majorité de l’équipe-type des Tigers en Premier League la saison dernière. Ajoutons à cette impressionnante liste la fin des prêts d’Alfred N’Diaye ou encore Andréa Ranocchia. Ce mille-feuille de départ a eu d’ailleurs le don de faire rire – sarcastiquement – les derniers survivants que sont David Meyler et Kamil Grosicki sur Twitter au mois de juillet « à qui le tour ? » répondait le fantasque polonais à son compère irlandais en apprenant le transfert du gardien Eldin Jakupovic vers Leicester.
Face à cet énorme chantier, Leonid Sloutski a été contraint de faire avec les moyens du bord et ce malgré les sommes reçues grâce aux ventes, en multipliant d’abord les prêts de jeunes loups comme Ola Aina, Michael Hector, Fikayo Tomori ou en faisant venir librement un peu d’expérience avec les arrivées de Sébastien Larsson (Sunderland) et de Frazer Campbell (Crystal Palace) qui avait passé une année à Hull entre 2007 et 2008. Les derniers transferts de Nouha Dicko (Wolverhampton) et Jackson Irvine (Burton Albion), excellents par le passé en Championship sont venus rassurer des fans inquiets de la tournure du mercato. Seulement, leurs récentes arrivées n’ont pas éteintes pour autant les maux sur le terrain. Déjà à la traîne pour la montée (17e avec 8 pts) ; Hull voit surtout se rapprocher le souffle de la zone rouge à grandes enjambées. Pire, les rares éclaircies sur le pré viennent actuellement d’un gamin de 20 ans, Jarrod Bowen (5 buts), nommé meilleur jeune de l’EFL League au mois d’août. Seconde meilleure attaque du championnat, Hull paye en partie ses erreurs défensives (15 buts encaissés), mais surtout les absences de joueurs-clés pour de longues blessures : Moïses Odubajo, Kevin Stewart et Abel Hernandez qu’on ne reverra pas avant 2018 en Championship. Si Leonid Sloutski demande de la patience et consent qu’une amélioration est susceptible d’avoir lieu dans les prochaines semaines, la saison risque d’être (très) longue pour les fans d’Hull, tandis que le silence de la famille Allam sur le contexte actuel irrite lui en coulisses.
Leonid Sloutski a été contraint de bricoler pour pallier les absences et aussi le manque de recrutement.
Persifleur à souhait dans les canards locaux, Assem Allam a baissé pavillon ces dernières semaines. Pas une sortie scandaleuse dont il a le secret depuis des lustres. Ce silence pourrait ravir les supporters, mais la situation sportive actuelle, conjuguée à une baisse de fréquentation à domicile – 15 000 personnes de moyenne sur les trois premiers matchs au KCOM stadium – ne font que renforcer la contestation, y compris au sein des sponsors qui déguerpissent un à un ou qui y sont contraints. Souvenez-vous, cette image avait fait le tour de l’Angleterre en décembre 2016, John Oxley directeur d’une entreprise d’outillage qui défilait avec les autres partenaires lors de l’avant-match avait été contraint de quitter la pelouse car il brandissait une banderole hostile à la famille Allam où on pouvait lire « bring back concessions – Hull City generation after generation – Allam out. » Derrière ce message, la contestation de la politique tarifaire d’Hull City qui l’an dernier, avait mis fin aux abonnements classiques pour les remplacer par des tickets au mois. Un effet quasi immédiat sur l’affluence qui ne faisait que décroître au fil des mois. Désabusé, John Oxley avait indiqué au Hull City Mail son désespoir, avant de recevoir une lettre du club lui interdisant de se rendre au KCOM Stadium jusqu’à la fin de la saison. Depuis, son entreprise a disparu des sponsors du club et l’interview a été effacée du site internet du journal. La famille Allam elle, ne semble guère préoccuper par la chute vertigineuse de l’affluence, malgré des recettes tarifaires en berne (à peine 10 M£ la saison passée, soit une chute de 2M£ en trois ans), ni des matchs de son équipe. Un paradoxe lorsqu’on a vu, lu, entendu, pendant des mois le frétillant propriétaire des Tigers s’épancher en Une de la presse locale contre les supporters. Silence, on coule.
Allam, entre dangerosité et mégalomanie
Il était arrivé comme le bienfaiteur, celui qui venait injecter de quoi sortir le club d’un cauchemar financier. Celui qui venait avec le projet de faire d’Hull l’un des mastodontes de la Premier League. Il est désormais une figure impopulaire pour les supporters. Pourtant, l’idylle avait débuté de fort belle manière entre Assam Allam et Hull. Le septuagénaire égyptien vivait dans la région depuis son adolescence et avait fait fortune dans l’industrie manufacturière. Ses deux premières années à la tête du club furent somme toute tranquilles. La troisième en revanche est celle qui déclenchera la fin de l’histoire d’amour entre l’homme d’affaires et les fans d’Hull. En effet, alors que la ville fête encore la montée en Premier League comme il se doit, Allam va faire publiquement une annonce dans la presse avant la reprise du championnat qui sonnera le début d’un long conflit. Il souhaite changer le nom du club et passer de « Hull City Association Football Club » – appellation existant depuis les débuts en 1904 – à « Hull City Tigers » d’abord, puis à « Hull Tigers » par la suite. Littéralement, les Tigres de Hull.
Sans vis ni vertu, il justifie que le nouveau nom « donnera une image de puissance et sera utilisé sur les marchés internationaux pour attirer intérêt et attention. Hull City n’est pas un nom très pertinent, c’est même moche. Puis il est trop fréquent. Ici en Angleterre, presque tous les clubs finissent par « City ». Je n’aime pas être comme tout le monde. Moi, je veux que le club soit spécial. Hull City Association Football Club, c’est trop long. » Choquante, cette décision à des fins commerciales, n’a surtout pas été concertée en interne. En effet, le propriétaire égyptien la joue en solo et tente de court-circuiter l’ADN du club, il prévoit même à l’époque d’accompagner ce nouveau nom par 30 millions de livres pour agrandir de 10 000 places le KCC Stadium et de construire également un complexe sportif flambant neuf avec un centre commercial. Derrière cette annonce, une branche des fans du club écrit dans un communiqué : « nous ne sommes pas un grand club en Angleterre et encore moins dans le monde, cela ne va pas changer en adoptant un nouveau nom. Pour M. Allam, ce n’est peut-être qu’un nom, mais pour nous les supporters, c’est le nom de quelque chose que l’on aime, que l’on adore même et que l’on continuera à aimer » et des banderoles « City till we die » – City jusqu’à la mort – fleurissent en tribunes. Un combat entre le traditionalisme et le modernisme est lancé.
Hull City n’est pas un nom très pertinent, c’est même moche – Assem Allam.
Si bien qu’un référendum est organisé par le club auprès des abonnés. Le « pour un changement de nom » l’emporte alors de justesse – 2565 voix pour, 2517 contre – mais le résultat est faussé par l’absentéisme outrageux de 9000 frondeurs. Néanmoins, la victoire n’est pas totalement acquise pour le propriétaire égyptien car la décision du référendum peut être rendue caduque par la fédération de football anglaise. Cette dernière se prononce quelques jours plus tard et annonce son véto. Hull 1-0 Allam. Agacé par le jugement rendu, il menace alors de vendre le club « personne sur la terre n’est autorisé à remettre en question mes décisions d’affaires. Je ne le permettrai pas. Je peux vous donner mon CV si vous voulez. Vous n’aurez qu’à regarder… Ils (les supporters) peuvent mourir quand ils veulent, du moment qu’ils quittent le club et laissent la majorité du public profiter du bon football que nous leur proposons » allant même jusqu’à parler de complotisme. Des mois durant, le bras fer avec les fans fait rage et tourne au casus belli. Infatigable, Assem Allam n’hésite pas à provoquer, prétendant haut et fort qu’une partie des fans appartient au hooliganisme, malgré pourtant le pacifisme des supporters qui n’ont jamais usé d’une quelconque violence à l’égard de leur – dégénéré – propriétaire jusqu’à maintenant, hormis brandir des banderoles.
En août 2016, alors que le club a vécu un été chaotique avec le départ Steve Bruce à seulement trois semaines de la reprise et que la dernière place au classement lui est largement promise par l’ensemble des médias sportifs anglais, Ehab Allam fils d’Assam Allam annonce dans un texte écrit dans le programme d’avant-match contre Manchester United que le club va être repris par un consortium d’investisseurs de Chine et de Hong Kong. Un an plus tard, pas de traces du consortium, une descente à l’échelon inférieur, et l’ombre des Allam qui plane toujours… Face à cette situation cacophonique, la contestation en est désormais rendue à des gestes loufoques. Lors du déplacement à Doncaster en EFL Cup à la fin du mois d’août, perdu 0-2, les fans présents en parcage visiteurs s’étaient amusés à brandir une de leurs chaussures en chantant « shoes of if you hate Allam. » Une empreinte d’ironie dans ce contexte morose.
Des plaintes de fans
Alors que KCOM Stadium ne fait pas recette, la direction d’Hull vient d’être récemment critiquée pour son manque de coopération suite à la plainte de plusieurs fans datant de mai qui auraient affirmé n’avoir pas reçu certains avantages de leur abonnement pour la saison 2016-2017. Chargée de l’enquête, la IFO (independant football ombudsman) a conclu dans son rapport que toutes les épreuves étaient réunies pour affirmer que le club dupait ses fans. Ce rapport vient s’ajouter aux révélations de la Premier League qui estimaient elle aussi que le club Hull City avait violé certaines règles en vigueur – notamment celle liée aux avantages des abonnements – mais aussi mis en avant son inquiétude sur la politique tarifaire du club sur le prix des places la saison passée. Malgré un récent communiqué de la direction, la IFO a déclaré qu’il y avait bien « tromperie et publicité mensongère, ajoutant au passage que plusieurs après leurs plaintes initiales, les plaignants n’avaient même pas reçu de reconnaissance, et encore moins une réponse substantielle, ce qui les a amenés à signaler l’affaire à l’ASA avant que celle-ci ne charge l’IFO de l’affaire. » De facto, le club s’est engagé en cas de promotion en Premier League entre 2018 et 2022 a proposé une réduction de 10% pour les seniors et les enfants de moins de dix ans. Pas de quoi vraiment satisfaire les fans du club puisque le ticket le moins cher au KCOM Stadium cette saison est de 12 pounds…
Raviver la flamme
Dans ce marasme, des motifs d’espoir peuvent quand même subsister. Si les résultats sportifs ne répondent pas aux attentes, le groupe joue l’unité comme l’affirmait David Meyler après le match contre Sunderland le week-end dernier « nous sommes tous dans le même bateau. Nous avons de jeunes joueurs qui débutent leur carrière et nous avons d’autres joueurs beaucoup plus expérimentés. Nous devons trouver le juste milieu entre l’expérience et la jeunesse pour pouvoir avancer. Mais il ne faut surtout rien lâcher. » Arrivé en 2013, l’Irlandais fait figure d’ancien du haut de ses 28 ans, mais reste surtout l’un des derniers rescapés de la période « Steve Bruce » avec le gardien écossais Allan McGregor. L’émergence de Jarrod Bowen est aussi l’une des raisons d’espérer pour les fans d’Hull, auteur d’un début de saison tonitruant, l’ailier de 20 ans avait déjà montré quelques belles choses lors de ces rentrées en Premier League. La confiance que lui accorde Leonid Slutski pourrait s’avérer encore plus bénéfique dans les semaines qui viennent. L’entraîneur russe pourra s’appuyer sur l’apport offensif de Frazer Campbell revenu de blessure et espère compter rapidement sur le puissant latéral droit Moses Odubajo qui se remet d’une longue convalescence.
Néanmoins, le contexte actuel n’incite pas forcément à l’optimisme. Sans projet clair, le club va encore vivre des mois difficiles aussi bien sportivement qu’en coulisses. L’ombre d’Assam Allam plane toujours au-dessus des têtes et malgré la contestation qui fait rage, le septuagénaire a toujours la main sur les Tigers. Dans cette situation, difficile d’espérer un redressement. A Hull, les promesses d’un jour ont laissé place aux regrets du lendemain.