Wolverhampton : l’ombre de Jorge Mendes

Charismatique, Jorge Mendes est devenu un personnage incontournable dans le monde du football ces dernières années. Sa stature l’a emmené à briguer un rôle majeur dans l’architecture de plusieurs formations de renom. Il a pu ainsi placer un nombre faramineux de joueurs sous sa tutelle dans les clubs auxquels il avait obtenu d’innombrables passe-droits. Son appétit pantagruélique n’est (toujours) pas rassasié. En effet, le super agent portugais continue de remplir les colonnes des médias, dernier sujet en date, ses accointances avec le propriétaire chinois de Wolverhampton qui lui a confié en substance une partie du recrutement des Loups depuis plusieurs mois. Si le club a tenté de le nier, la réalité des coulisses est tout autre.

C’est un après-midi de septembre classique en Angleterre, Wolverhampton reçoit Barnsley pour le compte de la 9ᵉ journée de Championship, le soleil est au rendez-vous et les Wolves affrontent un adversaire qu’ils n’auront aucun mal à battre dans un peu plus de quatre-vingt-dix minutes. Barnsley, un mal classé, fait pâle figure face à loups revigorés par Nuno, l’ex-coach de Porto arrivé au cours de l’été grâce à l’assentiment de Jorge Mendes. Le 20ᵉ de Championship s’inclinera finalement 2 buts à 1 face au coleader du championnat avec Leeds. Wolverhampton continue son parcours qui doit le mener à la Premier League, du moins, c’est l’objectif annoncé par le conglomérat Fosun International dirigé par Guo Guangchang qui a racheté il y a plus d’un an le club des West Midlands pour £ 45 millions : « Notre première saison fut difficile, mais nous ferons de notre mieux pour aider à emmener les Wolves en la Premier League le plus rapidement possible et y rester. Nous pensons que le club sera bientôt au sommet du football anglais » déclarait Jeff Shi, le représentant de Fosun au Express & Star en juillet dernier. Pour ce faire, Paul Lambert a été contraint de faire ses bagages à la fin du mois de mai, même si en coulisses, l’ancien entraîneur d’Aston Villa et de Norwich s’était vite agacé de n’avoir pas la main sur les transferts. Il avait notamment reproché dès sa prise de fonction en novembre 2016 les recrutements coûteux d’Ivan Cavaleiro (8 millions) et d’Helder Costa (16 millions) lors du mercato d’été, tous les deux figures de proue du système Mendes. Les deux premières pierres du lusitanien étaient alors posées.

Bientôt, le club sera au sommet du football anglais – Jeff Shi représentant du groupe Fosun à Wolverhampton 

Une saison est passée et sur le pré, le onze coché par Nuno ne ressemble guère à celui du technicien anglais, voire même plus du tout. Entre la dernière journée contre Preston et la réception de Barnsley, seuls le capitaine Danny Bath, le défenseur Conor Coady et l’ex-angevin Romain Saïss sont encore présents au coup d’envoi. Autour d’eux, six nouvelles recrues et surtout, cinq transfuges de l’écurie Jorge Mendes dont plusieurs jeunes espoirs du foot européen : Roderick Miranda, Ruben Vinagre, Ruben Neves, Diego Jota et Léo Bonatini, incluons également Ivan Cavaleiro absent lors du dernier match de la saison. Tous ont un premier point commun, ils sont passés au moins une fois par les clubs où le super agent portugais a ses petits privilèges, comme Monaco, Porto, Rio Ave, Al Hilal, La Corogne, Benfica. À cette liste, il faut rajouter les noms de Wilfried Boly prêté par Porto et absent pour cette rencontre ainsi qu’Alfred N’Diaye transfuge de Villareal et Helder qui prenaient, eux, place sur le banc. Certains ont un deuxième point commun, celui d’appartenir – comme le coach Nuno – à la Gestifute, une société de gestion de carrière créée en 1996 et dirigée par l’hégémonique Portugais.

Dans les faits, rien de bien complexe, Mendes place un à un ses joueurs dans un club pour ensuite le contrôler et assurer un avenir à ses joueurs qui lui ont confié une partie de leur carrière. Ce petit manège a débuté en 2011 à la Corogne où endetté, le club avait fait appel à la Gestifute pour son recrutement estival. Depuis, le scénario s’est répété inlassablement aux quatre coins de l’Europe, pour le plus grand bonheur du super agent. Partout où il passe, ses joueurs passent. Devant les nombreuses interrogations, le club a tenté de masquer l’influence de Jorge Mendes sur le recrutement, puisqu’il n’apparaît pas non plus dans les statuts du club : « C’est un ami du propriétaire chinois reconnaissait le directeur général des loups Laurie Dalrymple à la fin du mois de juin. Il a plutôt un rôle de conseiller, ce serait contre les règles éthiques si un agent était chargé du recrutement d’un club de football professionnelCertains fans sont sans doute inquiets, mais pensent-ils vraiment que Jorge Mendes a besoin de l’argent de Wolverhampton ? » Au-delà de cette « supposée amitié », Mendes est surtout un personnage capital pour Fosun, il a aidé le conglomérat chinois à investir dans le football après l’appel du président Xi Jinping en 2015 qui souhaitait voir s’étendre l’influence de la Chine au football européen. Fondé en 1992, Fosun est divisé en trois grands domaines d’activité : la santé, la finance et le divertissement. Le groupe chinois est d’ailleurs entré sur le marché français en 2015 en contrôlant à 100% le Club Med et va très prochainement, si le projet se finalise, obtenir 10% du capital de la Compagnie des Alpes, même si cette arrivée a suscité une levée de boucliers de plusieurs élus politiques. Le tout, en étant une holding basée aux Îles Vierges Britanniques, selon les documents du club…

Il a plutôt un rôle de conseiller, ce serait contre les règles éthiques si un agent était chargé du recrutement d’un club de football professionnel.

Un autre homme a joué un rôle capital pour l’arrivée de Fosun chez les Wolves, Peter Kenyon. Jorge Mendes a été le meilleur acolyte de l’ancien directeur général de Chelsea et de Manchester United au milieu des années 2000, lui permettant entre autres de négocier l’arrivée de Cristiano Ronaldo chez les Red Devils. Quelques années après, les deux compères ont remis ça, mais pour aider Fosun à obtenir Wolverhampton. En contrepartie, Guo Guangchang propriétaire du conglomérat chinois, aurait acheté il y a de cela quelques mois des parts – à hauteur de 20% de la Start, la holding qui contrôle Gestifute selon le Guardian basée elle, à Dublin. Soucieuse de cette transaction, la FA a dû examiner les éventuelles zones d’ombre, sans pour autant trouver le moindre grain de sable. Malgré tout, six mois après le rachat officiel des Wolves, tout ce beau monde était réuni lors d’une gigantesque cérémonie organisée à Shanghai pour célébrer un nouveau partenariat entre la Gestifute et Foyo destiné à stimuler le marché chinois, les deux entités ont noué des liens juteux, Foyo n’étant rien d’autre que la filiale culture de Fosun International. Sans se cacher, Jorge Mendes fructifiait un nouveau business et tirait les ficelles, c’est aussi ça le sens des affaires.

Dès lors, difficile de nier l’influence grandissante du portugais dans le recrutement de Wolverhampton ces derniers mois, puisque neuf joueurs appartiennent à Gestifute, ou sont passés par les clubs où le super agent a ses passe-droits. Client lui aussi du Mendes, Nuno dès sa présentation, sourire en coin, avait affirmé : « Oui, je suis l’un des clients de l’agent le plus puissant du monde. Mais il fait son travail et moi le mien. » La présence sur le banc de l’ancien gardien pro lui donne aujourd’hui raison, dans la mesure où Wolverhampton joue pour le moment les premiers rôles et que son arsenal offensif « made in Gestifute », composé de Diogo Jota, Léo Bonatini et d’Ivan Cavaleiro fonctionne à plein régime. Cette triplette a été présente sur pratiquement tous les buts inscrits (15) depuis le début de la saison par les loups : Jota (5 buts, 1 passe décisive), Bonatini (3 buts, 4 passes décisives), Ivan Cavaleiro (1 but, 2 passes décisives). Hors terrain, la présence intime de Jorge Mendes aux côtés des représentants de Fosun a été vue toutefois d’un mauvais œil. Sur Twitter, beaucoup de fans ont, durant la préparation estivale, alimenté leur désarroi : « Les dernières nouvelles du club m’inquiètent sur l’avenir du football. Les agents prennent le dessus sur des propriétaires bien naïfs. Ou encore : Mendes a ses propres intérêts, il est là pour le business et non pour l’identité du club. » Une identité qui, malgré les résultats, ne pèse pas lourd face à ce qu’on appelle désormais communément le football business. Les Wolves comme d’autres, n’ont pas résisté à ces millionnaires désireux de capitaliser leurs profits dans le monde du ballon rond. Un nouveau chapitre dont, on aurait bien voulu se passer, mais la réalité du football nous a rattrapé pour encore plus nous secouer.

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