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Si la lumière et les flashes ont souvent escorté sa carrière, David Beckham a pourtant connu une période sombre qui aurait pu tout faire basculer. En 1998, alors catalogué comme l’une des nouvelles grandes promesses du football anglais, le milieu précipite la chute de son pays au Mondial 1998 après une expulsion contre l’Argentine. Voué aux gémonies par les médias, jugé comme la honte de la nation et menacé de mort, le joueur de Manchester United va encaisser les coups pour signer dans la foulée la plus belle saison de sa carrière. Et prouver aux yeux du monde qu’il n’est pas le « Spice Boy » à l’image lisse et superficielle que l’on prétend.
Le souffle coupé, happé, suspendu au pied d’un seul homme. Les dernières secondes s’égrènent une à une dans ce qui ressemble à une lente et interminable marche funèbre. Quand David Beckham se saisit du cuir à vingt-cinq mètres, Old Trafford n’est plus un « Théâtre des Rêves » mais un temple à ciel ouvert où s’entremêlent drame et tragédie. L’Angleterre est train de perdre face à la Grèce et ne participera donc pas à la Coupe du monde 2002, au Japon et en Corée du Sud. Mais le numéro 7 des Three Lions, brassard de capitaine au bras, prend rendez-vous avec son destin.
La chorégraphie est désormais connue de tous depuis moins d’une décennie. Quelques pas pour prendre de l’élan. Avant de lever la tête, la posture toujours altière et classieuse. Le bras droit collé le long du corps et le poing fermé, le gauche comme arrondi et relâché, puis la jambe gauche tendue. Et, enfin, le ballon caressé par cette patte droite au-dessus du mur grec pour laisser pantois le gardien Antónios Nikopolídis. La touffeur palpable à Manchester laisse place à un soulagement et un moment de communion totale. « Becks » exulte et célèbre les bras en croix devant la Streford End, cette tribune qu’il connaît tant et qui l’a immédiatement adopté. Le milieu mancunien vient d’éviter une honte nationale en arrachant l’égalisation et envoyant sa sélection, source de fantasmes et d’innombrables déconvenues depuis l’unique sacre mondial en 1966, en Asie.
Surtout, il se réconcilie avec toute une nation. Après un chemin de croix de trois années où il a été traîné dans la boue et encaissé une litanie de critiques. Un acte rédempteur essuyant définitivement sa sortie de route à la Coupe du monde 1998, qui avait selon une majorité du pays précipitée l’élimination de l’Angleterre contre l’Argentine en huitièmes de finale.
Cette émotion presque indicible, David Beckham la raconte dans son autobiographie My Side : The Autobiography : « Je pouvais entendre comme l’énorme bruit d’un tambour. C’est comme si c’était le seul bruit dans le monde. Ce son, on pouvait le ressentir jusque sur le terrain. Puis, d’un coup, le stade est devenu complètement silencieux, comme si tous les fans savaient que la prochaine occasion pouvait faire basculer le match. Teddy Sheringham a essayé de ramasser le ballon pour tirer le coup franc, mais j’ai été plus prompt. Il s’est approché de moi et m’a dit : « Je dois le faire, je sais que je peux le faire. » Mais rien ne pouvait m’empêcher de le tirer. Je me sentais calme, confiant, sûr de moi. J’en avais raté quelques-uns au cours du match, mais ma confiance était toujours aussi élevée. Ce n’était pas seulement un coup franc pour l’Angleterre, c’était aussi pour moi. C’était le moment de tirer un trait sur quatre années de douleur, d’amertume, de haine. Comme si ce moment m’était réservé. J’ai pris deux grandes respirations, j’ai regardé le coin supérieur du filet et j’ai vidé mon esprit de tout, sauf d’une seule pensée : « Je vais marquer. » Avant même de voir le ballon toucher le fond des filets, j’étais déjà parti en train de sprinter pour aller manifester ma joie. Le silence avait été remplacé par un énorme rugissement, presque assourdissant. Le stade a tout simplement éclaté. J’avais travaillé comme un fou durant ce match. Pour des raisons inconnues, j’avais une énergie infinie ce jour-là. Je courais partout, je revenais défendre, je me portais sans cesse vers l’avant. Tout semblait possible. Les gens pouvaient voir combien cela signifiait pour moi de jouer pour mon pays. Le but a juste été la cerise sur le gâteau. Comme si tous les doutes qui subsistaient à mon sujet en tant que joueur et en tant que personne avaient disparu en un instant. Je savais que l’un des chapitres les plus difficiles de ma vie avait pris fin. J’étais enfin pardonné. » Amen.
Avant la délivrance de ce 6 octobre 2001, avant la damnation promise dans la foulée du Mondial 1998, il faut prendre la mesure de la manière dont s’est construit David Beckham. Un pur produit de Manchester United où son ascension s’est avérée sans heurts. Arrivé à quatorze ans à l’académie, il remporte la FA Youth Cup aux côtés des frères Gary et Phil Neville, Paul Scholes, Nicky Butt et Ryan Giggs qui composeront avec lui la fameuse Class of 92. Première apparition en professionnel en septembre 1993, premier contrat paraphé en janvier, premier but en Ligue des champions face à Galatasaray (décembre 1994, 4-0), passage éphémère d’un mois en quatrième division à Preston North End (janvier-mars 1995) et première titularisation en Premier League contre Leeds (avril, 0-0). Les premiers contours de son itinéraire sont dès lors dessinés. Et la campagne 1995-1996 marque l’avénement du règne des Fergie’s Fledglings.
Après la perte du titre au profit de Blackburn, Sir Alex Ferguson donne le pouvoir à la jeune garde mancunienne. Particulièrement choyé par le « King » Éric Cantona, celui qui arbore alors le numéro 24 puis le 10 dans le dos se rend progressivement incontournable sur l’aile droite. Pied droit hors pair, tireur de coup de pied arrêté patenté, vision de jeu panoramique et métronome au milieu de terrain : telle se veut sa palette. Le Royaume prend véritablement en pleine face le talent du gamin le 17 août 1996, avec le « but qui a changé (s)a vie. » Une chandelle somptueuse claquée depuis la ligne médiane de Selhurst Park, face à Wimbledon, qui a infléchi à jamais sa carrière. « Dès le moment où il posé un pied sur le ballon, David Beckham a affiché une envie irrépressible d’exploiter au mieux sa vie et ses talents (…) C’est le but qui le révéla réellement aux yeux du monde », relate d’ailleurs Fergie dans son autobiographie.
Entré dans une autre dimension et guidé par le manager écossais très paternaliste, il s’élève comme l’un des artisans majeur des couronnes nationales glanées en 1996 et 1997. L’Anglais est par ailleurs élu joueur de l’année de Manchester United et jeune joueur de l’année PFA en 1997. Si l’après-Cantona se révèle un brin malaisé avec l’émergence de l’Arsenal de Wenger (doublé Premier League-FA Cup en 1998) et une élimination prématurée en quarts de Champions League contre l’AS Monaco, le Red Devil poursuit son ascension personnel. Le titre de meilleur passeur du championnat et une place dans l’équipe type de la saison 1997-1998 tombent dans son escarcelle.
Une montée irrésistible vers les sommets sportivement, mais aussi au sein de la sphère médiatique. « David est le seul joueur que j’ai entraîné à avoir choisi d’être célèbre, qui en a fait sa mission en dehors du terrain », regrette encore Ferguson lorsqu’il s’épanche sur celui qu’il considérait « comme un fils ». « Ce qui m’a frappé très tôt chez lui, c’est son apparence, appuyait pour sa part Gary Neville, en 2014. On se disait : « Il est trop beau pour jouer au foot. » Il voulait être une star. Il voulait se propulser au-delà du football. » Harangué affectueusement lors de ses années de formation par le regretté Eric Harrison, ancien coach des jeunes, qui le sommait d’arrêter de « tirer comme un acteur », le gamin originaire de Londres hérite de la part de ses partenaires du sobriquet « Sucre d’orge » ou « Pretty Boy ». Les médias britanniques, eux, qualifieront la nouvelle belle gueule de « Golden Boy ». Un statut qui prend davantage d’épaisseur quand il rencontre et tombe sous le charme, en 1997, de Victoria Adams, membre éminente du groupe de musique phare des années 90 Spice Girls.
« Ce qui m’a frappé très tôt chez lui, c’est son apparence. On se disait : « Il est trop beau pour jouer au foot. » Il voulait être une star. Il voulait se propulser au-delà du football. »Gary neville au sujet de david beckham
« Posh and Becks » font le bonheur des tabloïds outre-Manche qui se passionnent pour cette relation naissante. Beckham lui-même confiera avoir du mal à appréhender cette nouvelle vie au détour d’un exemple parlant de ce qu’était devenu son quotidien avant la Coupe du monde 1998. « L’autre jour, j’étais chez Victoria et le facteur a sonné à la porte pour livrer quelque chose, expliquait-il à Four Four Two. J’ai ouvert la porte et sa mâchoire est littéralement tombée. Il a dit : « Je n’aurais jamais pensé voir une légende aussi tôt le matin ». C’est juste idiot. Je ne suis pas une légende. Je ne peux pas croire que tout cela m’arrive. »
Problème, la popularité du milieu de Manchester United ne plaît pas à tout le monde. Surtout à Glenn Hoddle, sélectionneur des Three Lions depuis 1996. Nommé après l’Euro marqué par la sortie de la sélection en demi-finale, l’ex-joueur de Tottenham et Monaco a pour objectif de hisser l’Angleterre le plus haut possible au Mondial se déroulant sur le sol français. Durant la campagne de qualifications, il a façonné un groupe entre jeunes promesses (Owen, Scholes, Neville, Campbell) et joueurs confirmés (Seaman, Adams, Le Saux, Ince, Shearer). Et David Beckham, devenu l’une des pierres angulaires, y a pris part massivement puisqu’il est le seul à avoir disputé toutes les rencontres.
Preuve de son importance acquise, Adidas – qui a fait de lui son égérie principale au pays de Sa Majesté avec un contrat de sept années estimé à 4 millions de livres – a profité de son poids marketing avant la compétition reine, d’où son portrait projeté sur les Falaises de Douvres accompagné du slogan « England Expects ». Déjà agacé par le tumulte médiatique enveloppant sa star, Hoddle ne goûte guère à la petite virée du couple Beckham dans la maison d’Elton John sur la Côte d’Azur, une semaine précédant la Coupe du monde.
La sanction qui fait office de bombe s’abat brutalement sur le numéro 7. Ce dernier ne débutera pas la rencontre inaugurale de l’Angleterre contre la Tunisie et cède sa place à Darren Anderton. « Je ne pense pas que tu sois concentré », se justifie Hoddle, avant que David Beckham, stupéfait et désarçonné, ne lui réponde : « Comment pouvez-vous penser une telle chose ? » L’incompréhension, palpable dans le groupe, s’avère d’autant plus grande qu’elle ne se justifie pas sportivement, Beckham faisant preuve d’un professionnalisme toujours aigu malgré sa réputation. La sélection anglaise l’emporte avec autorité (2-0), sans qu’il ne quitte le banc du Vélodrome.
De quoi lui causer quelques tourments : « J’ai eu quelques jours pour y penser et je ne sais toujours pas ce que j’ai fait de mal. J’ai demandé au coach pourquoi je n’avais pas joué mais je garderai la réponse pour moi. Il voit les choses d’une manière différente que moi. Il y a des gens qui ne me connaissent pas en tant que personne et ne devraient pas me juger. Juste parce que ma petite amie est connue ne signifie pas que je suis dans les nuages, personne ne peut parler pour moi. » Entré en cours de jeu face à Roumanie de Moldovan et Hagi lors du deuxième match, le Mancunien assiste impuissant à la défaite des siens (1-2). Au pied du mur en phase de poules alors que le spectre d’une hypothétique élimination met déjà en émoi la presse, l’Angleterre s’en remet à la plus belle mèche du Royaume face à la Colombie de Valderrama (2-0). Un coup franc dans son style si caractéristique et le billet est validé pour les huitièmes de finale. Prochaine étape : l’Argentine. Et l’abîme.
Avant de défier l’Albiceleste de Batistuta, Ortega, Verón, Ayala ou encore Zanetti, David Beckham apprend sur la route le menant à Saint-Étienne la plus belle nouvelle pour un homme. Victoria lui signifie qu’il va devenir père. Après une entame de compétition lugubre à titre personnel, tout semble enfin sourire pour le « Spice Boy ». Pour promouvoir l’affiche tant attendue, Adidas utilise son image avec des mots en référence à la « Main de Dieu » de Maradona commise face aux Three Lions au Mondial 86 : « Après cette soirée, on se souviendra du match Angleterre-Argentine pour ce qu’un joueur a fait avec son pied. » Une formule qui se révélera tristement prophétique.
À Geoffroy-Guichard, Batistuta douche d’entrée l’ardeur des hommes de Hoddle (6e). Mais Shearer (10e) et Owen (16e), auteur d’une percée en solitaire mythique sur un service de Becks, les remettent d’aplomb avant que Zanetti n’égalise juste avant la pause (45e). L’indécision demeure jusqu’au point de bascule au retour des vestiaires. Le chronomètre affiche la 47e minute quand Beckham est victime dans le dos d’une âpre charge du capitaine argentin Diego Simeone. En guise de réponse, le Britannique lui assène un léger coup avec sa jambe droite au sol, lequel en rajoute ostensiblement à quelques mètres de l’arbitre. La sentence tombe sèchement : carton rouge. La suite ? Un scénario tragique écrit à l’avance. En infériorité numérique, l’Angleterre résiste et emmène l’Argentine jusqu’à la fatidique séance des tirs au but. Mais la dernière tentative avortée de David Batty porte l’estocade aux dernières illusions de toute une nation (2-2, 6-5 aux t.a.b).
« Je ne peux pas contrôler ce qu’il se passe sur la pelouse. C’est comme ça que je joue depuis que j’ai douze ans », soufflait Beckham avant l’ouverture du tournoi. Des propos qui prennent malgré lui forcément un écho diabolique après-coup. Derrière, le supplice commence. Prostré dans le vestiaire, les yeux rougis et le visage blême, la star anglaise est réconfortée par ses amis de toujours Gary Neville et Paul Scholes. Le vétéran Tony Adams, rival tenace avec Arsenal, lui apporte également sa sollicitude : « Peu importe ce qu’il s’est passé, tu es un très bon jeune joueur. Tu peux être plus fort que ça. » Hoddle, que Beckham accusera plus tard d’avoir « nourri la frénésie », lâchera cette phrase sur l’expulsion qui en dit long sur ce qu’il pensait : « Cela nous a coûté très cher. »
Et qu’importe si le coupable fait amende honorable en présentant ses excuses à la nation. « C’est sans aucun doute le pire moment de ma carrière et je regretterai toujours ce que j’ai fait, assumait-il d’un air profondément contrit. Je me suis excusé auprès de mes coéquipiers et du sélectionneur Glenn Hoddle. Je veux que chaque supporter anglais sache combien je suis désolé. » Avant que les tabloïds ne se déchaînent et ne le clouent au pilori, il traverse l’Atlantique pour rejoindre une dizaine de jours Victoria en pleine tournée américaine avec les Spice Girls. Une période d’accalmie bienvenue car la presse et les médias anglais se font une joie de vilipender à tout-va le bouc-émissaire désigné. Au lendemain de l’élimination précoce, le Daily Mirror titre et l’accable sans ambivalence possible : « Ten heroic lions, one stupid boy ». Deux jours plus tard, c’est The Sun et son appétit gargantuesque pour le sensationnalisme qui publie un jeu de fléchettes avec Beckham comme cible principale aux côtés de personnalités impopulaires outre-Manche telles que Maradona, Leopoldo Galtieri (leader argentin pendant la Guerre des Malouines)… ou encore sa compagne Victoria.
La campagne de haine ne se circonscrit pas qu’à la presse. Symbole le plus prégnant de cette acrimonie, un mannequin arborant un maillot de l’international anglais sera pendu dans un bar londonien avant d’être retiré rapidement par les autorités britanniques. « Les clients ont juste fait ce tout le monde ressent en Angleterre », s’était alors justifié le propriétaire des lieux. À son retour à Manchester mi-juillet, il prend un peu plus la mesure de cette aversion. Tandis que les médias font le siège de la maison de ses parents à Londres et qu’un service de protection l’escorte en permanence, il reçoit par courrier des menaces de morts ainsi que des balles de pistolet. Plusieurs fois, un étranger viendra même rôder autour de sa maison exacerbant un climat de peur autour de la star.
« C’est sans aucun doute le pire moment de ma carrière et je regretterai toujours ce que j’ai fait »David beckham après son carton rouge contre l’argentine
Un environnement anxiogène auquel n’est pas étranger la Fédération anglaise de football (FA), qui n’a pas apporté de soutien concret ni public à son joueur. Gary Neville ne s’était pas gêné de discréditer leur « management de bateau pneumatique » : « ils vous jettent par-dessus bord et s’occupent des leurs. » Mais David Beckham n’affronte pas cette épreuve seul. Le matin suivant le carton rouge face à l’Argentine, Sir Alex Ferguson est l’un des premiers à l’appeler et le rassurer : « Ne t’inquiète pas, fiston. Tu es un joueur de Manchester United. Nous allons prendre soin de toi ».
Publiquement, l’iconique manager écossais met les formes pour défendre inconditionnellement son milieu de terrain alors que des rumeurs de départ en Espagne et Italie pullulent. « Il n’aurait guère pu être plus vilipendé s’il avait commis un meurtre ou s’était rendu coupable de haute trahison. On va veiller sur lui et le protéger car c’est la façon de faire de Manchester United, martèle-t-il en conférence de presse, à l’aube de la saison 1998-1999. Nous sommes un grand club et ne céderons pas à une quelconque pression populaire. C’est un joueur de Manchester United envers et contre tout. » Déjà animée d’un sentiment de défiance envers la sélection anglaise en raison de précédents différends, une large partie des supporters de Manchester United devient anti-Angleterre et pro-Beckham. Soutenu massivement, le numéro 7 dissipe les doutes concernant son avenir en prolongeant de cinq années, en août, au sein du giron mancunien.
La marque de confiance des Red Devils est proportionnelle à l’hostilité qui anime les rangs des autres clubs du Royaume. Lors du Charity Shield perdu contre Arsenal (0-3, 9 août 1998), certains fans des Gunners l’accueillent à Wembley avec une banderole au jeu de mots avilissant et scabreux : « David Beckscum ». Mais le pied droit du « Spice Boy » apporte une première réponse lors du match inaugural de la saison de Premier League, à Old Trafford. Une passe décisive et un coup franc décisif permettent aux siens d’arracher le nul face à Leicester (2-2).
C’est surtout à l’occasion du premier match à l’extérieur (0-0), dans l’enceinte d’Upton Park, que la force de caractère de David Beckham va s’illustrer. Particulièrement pris en grippe par le kop virulent de West Ham, l’Inter City Firm, qui envisageait de donner 10 000 cartons rouges aux spectateurs pour soigner leur hospitalité avant de se rétracter, Beckham fait la Une d’un fanzine du club londonien au titre manifeste : « Tu n’es pas pardonné ». « Des gens m’attendaient dans le parking quand nous sommes arrivés, racontait-il il y a quelques années. Des centaines de personnes, où je pouvais lire leur colère sur leurs visages. » Sur la pelouse, chacune de ses prises de balle s’accompagne de chants haineux « Nous détestons Beckham » ou « Tu as laissé tomber ton pays ». « J’ai cette photo à la maison qui m’effraie encore, poursuivait-il. Je vais tirer un corner et vous pouvez voir l’expression sur les visages des gens dans le public. Ce n’était pas : « Tu es un footballeur merdique qui nous a coûté la Coupe du monde ». On était très loin de ça. C’était plutôt : « Si on le pouvait, on t’aurait chopé, Beckham ». »
Malmenés par les Hammers à l’image d’un Steve Lomas l’apostrophant et le molestant à plusieurs reprises, l’ennemi public numéro un au pays de Sa Majesté reste impassible. Placide et impavide jusqu’au bout. Tout comme lors d’une altercation, quelques semaines plus tard lorsque Man United reçoit Blackburn (3-2), avec Tim Sherwood qui sera expulsé. Le désamour apparaît toujours tangible, mais le chemin de la rédemption commence à être déblayé.
Sur la scène domestique, David Beckham s’escrime à faire face avec ténacité. En Ligue des champions, il réapprivoise la lumière avec maestria. Dans l’un des groupes les plus relevés de l’histoire de la compétition avec le Barça de Figo et Rivaldo, le Bayern de Matthäus, Kahn et Effenberg puis Bröndby, le blondinet prouve que cette saison sera bien la sienne. Un coup franc sublime et une assist à l’aller (3-3) avant une nouvelle passe décisive au retour (3-3) contre les Blaugrana, un caviar délivré en terres bavaroises (2-2) et un récital ponctué de deux passes décisives et d’un but lors de la promenade de santé danoise au « Théâtre des rêves » (5-0).
La qualification en quarts de finale poinçonnée, toute l’Europe a les yeux rivés sur la double confrontation avec l’Inter Milan. Là où évolue un certain Diego Simeone. À Manchester, les retrouvailles entre les deux hommes sont attendues avec impatience après l’incident de Geoffroy-Guichard. Et si la poignée de main s’avère glaciale, David Beckham brille une nouvelle fois de mille feux en déposant deux offrandes pour un doublé de Yorke (2-0). Comme pour définitivement refermer ce sinistre chapitre, les deux hommes échangent leurs maillots au terme de la rencontre. La suite, elle, s’apparente à un doux rêve éveillé pour celui qui devient père pour la première fois. D’une influence prépondérante tout au long de la campagne de Premier League, Beckham rend une dernière copie immaculée lors de la 38e et dernière journée contre Tottenham (2-1). Une merveille de frappe enroulée dans la lucarne opposée participe au succès des Red Devils, qui soulèvent la couronne nationale au nez et à la barbe d’Arsenal grâce à un petit point d’avance.
En FA Cup, que Manchester United s’adjuge avec autorité contre Newcastle (2-0), le chef-d’oeuvre de Giggs lors du replay en demi-finale face à ces mêmes Gunners (2-1, a.p) occulte bien trop souvent le premier pion ô combien importantissime inscrit plus tôt par son pendant droit. Quant à la dernière ligne droite en C1, il ajoute une passe décisive en demies dans la double confrontation épique contre la Juve d’Ancelotti, Zidane, Davids et Inzaghi (1-1, 2-3). Avant de parachever son œuvre dans l’une des finales les plus ébouriffantes. Repositionné au cœur du milieu de terrain dans l’écrin majestueux du Camp Nou en l’absence de Scholes et Roy Keane suspendus – « le milieu le plus efficace sur le terrain » cette nuit-là selon Ferguson –, Beckham est à l’origine des deux réalisations de Sheringham et Solskjaer dans ce qui deviendra le fameux Fergie Time (2-1).
Un triplé historique (Premier League-FA Cup-Champions League) qui hisse Manchester United sur le toit du Vieux Continent. Et lors duquel le Magnificent 7 s’érige sans contestation possible comme l’un des protagonistes majeurs. Si ce n’est le plus éminent, même. 55 matches toutes compétitions confondues, 9 buts et 17 assists (dont 8 rien qu’en Ligue des champions). Une saison au sommet qui lui vaudra de terminer deuxième derrière Rivaldo au classement du Ballon d’Or, d’être élu meilleur milieu de terrain de l’année, meilleur footballeur de l’année UEFA et membre de l’équipe-type de l’année PFA 1998-1999. D’un carton rouge qui semblait indélébile, David Beckham a su braver les censeurs les plus fielleux et les préjugés éculés sur sa réputation pour prouver qu’il était avant tout un joueur fabuleux. Tout simplement. « C’était la saison au cours de laquelle j’ai vécu un cauchemar et un rêve en même temps, confessait il y a plus d’une décennie le désormais retraité, fier au moment de jeter un regard dans le rétro. Mais, à la fin, c’est le rêve qui l’a emporté. » Avant de laisser place, trois ans plus tard, au pardon enfin mérité.
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