Derby de Londres : quand Arsenal jouait à White Hart Lane lors de la 2e Guerre mondiale

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La photo date du 21 novembre 1945. Elle représente une partie de la foule de 54.000 personnes qui assistera dans quelques heures à un match impensable à White Hart Lane : Arsenal reçoit les russes du Dynamo Moscou.

De la Football League à la Wartime League

Lorsque la Seconde Guerre éclate en septembre 1939, toutes les compétitions sont officiellement suspendues alors que la saison 39 / 40 démarre à peine. Le gouvernement britannique n’interdisant pas l’organisation de rencontre entre les clubs alors que le pays est sous la menace constante des bombardements de l’armée nazie, il autorise dans la foulée la création de la Football League. Malheureusement, l’interdiction adoptée par le gouvernement pour limiter les déplacements à 50 miles à tous les britanniques afin de libérer les routes pour l’armée et le ravitaillement (et aussi pour limiter les chances de se prendre un truc de quelques tonnes tombant du ciel sur la gueule), la Football League est abandonnée au bout de 18 journées seulement. Tentative vaine, les bombes ont eu raison des ballons.

Les équipes et les supporters ne pouvant plus se déplacer, la FA divise alors le championnat par région : 2 sections dans le Nord du pays, 2 dans les Midlands, 1 dans le Sud-Ouest et 2 à Londres. La Wartime League est née et la Football League War Cup prend la place de la FA Cup. Les stades ne sont autorisés à accueillir que 8 000 personnes – puis 15 000 en 1940 – à cause des bombardements de l’armée nazie qui menacent. Là aussi le format ne survivra pas plus de quelques mois. Les clubs ont du mal à présenter des équipes complètes, les joueurs professionnels étant généralement mobilisés par l’armée. La Fédération ira jusqu’à autoriser l’utilisation de guest* dans les effectifs mais cela n’y changera rien. En 40, la Wartime League est de nouveau restructurée en 2 championnats : Northern Regional League et Southern Regional League. Face à la présence massive de club londonien, un championnat spécifique à la capitale est aussi créé à partir de la saison 41 / 42. Enfin, en 42, la League West s’ajoute aux 3 autres.

Quand Arsenal jouait à White Hart Lane…

Durant la guerre, une grande partie des enceintes sportives sont donc réquisitionnées par l’Armée pour en faire des abris lors des bombardements de l’armée nazie ou des infrastructures opérationnelles. Highbury n’y échappe pas et dans l’incapacité de recevoir ses fans Arsenal n’a pas le choix, les ennemis jurés des Spurs depuis les années 20 doivent jouer à White Hart Lane. Transformé en ARP (Air Raid Patrol) et en centre de premier secours, Highbury sera lourdement endommagé. Le stade est partiellement détruit par les bombardements**, la North Bank est principalement touchée alors que la South Bank est fragilisée dans sa structure. De son côté, le stade du quartier de Tottenham n’est pas en reste et sert lui aussi d’infrastructures pour l’Armée. La East Stand est reconvertie en morgue et une partie des tribunes inutilisées pour la réception des supporters en usine de munitions et dépôt de masque à gaz.

Arsenal jouera son premier match officiel à White Hart Lane le 21 octobre 1939 face à Charlton. Les Gunners l’emportent 8-4 sur leur voisin londonien devant 8 934 spectateurs. Durant 7 années, de 1939 à 1946 Arsenal disputera tous ses matchs « à domicile » dans le stade de Tottenham, soit 133 rencontres officielles. Une situation impossible à envisager aujourd’hui. Dans ce stade, Arsenal y remporte tout de même la South A League en 1940, la London League en 1942, la Football League South et la Football League South Cup Final en 1943. En parallèle, Tottenham remporte la Southern Regional League à deux reprises, en 1944 et 1945.

… et Tottenham à Highbury

Pour autant, l’Histoire ne doit pas oublier que la faveur faite par les Spurs aux Gunners est un juste remerciement. Presque trente années auparavant, en 1914, White Hart Lane servait déjà à l’Armée Britannique comme usine de fabrication de munition et de confection de protection en cuir pour les soldats ainsi que, déjà à cette époque, lieu de stockage pour 11 millions de masques à gaz. L’entièreté de l’enceinte utilisée par l’Armée, Tottenham dispute donc ses matchs « à domicile » à Millfields Road, l’enceinte de Clapton Orient – devenu Leyton Orient après la 2e Guerre mondiale – ou au flambant neuf Highbury dans lequel Arsenal vient à peine d’emménager en 1913. C’est d’ailleurs à l’occasion de ce déménagement que Arsenal, alors nommé Woolwich Arsenal, prendra son nom actuel. Le premier match joué par Tottenham à Highbury se tient le 16 septembre 1916. Les Spurs reçoivent Luton town et démarreront leur 3 années à Highbury par une défaite 2-3. Au total, Tottenham y dispute 32 matchs, le dernier le 12 avril 1919 face à QPR (et encore une défaite).

Le projet de stade commun entre Arsenal et Tottenham

Quelques décennies plus tard, dans les années 1970, une idée folle germe dans les couloirs du Greater London Council (GLC) : un stade commun à Arsenal et Tottenham. Tout d’abord, faisons un petit point sur le GLC. Dans les années 1950, l’idée d’une super agglomération à Londres fait son chemin. L’objectif est de créer une grande division administrative englobant Londres et ses banlieues afin de faciliter l’aménagement du territoire de la capitale qui souffre d’un développement important et d’une expansion anarchique depuis la fin de la guerre. Le Grand Londres est officiellement lancé en 1965. Afin de renouveler ses infrastructures pour notamment penser au remplacement futur de White Hart Lane et Highbury vieillissants, le GLC met sur la table la possibilité d’une nouvelle enceinte sportive nationale que se partagerait Arsenal, Tottenham, les finales de Cup et la sélection anglaise. Oui, on parle de l’abandon pur et simple de Wembley dès les années 70, gouffre financier déjà à l’époque.

Le projet est officiellement lancé lors de la saison 1977/78 et prévoit la construction d’un nouveau stade d’au moins 50 000 places sur le site d’Alexandra Palace. Ouvert en 1873, le Alexandra Palace est un lieu de divertissement accueillant concerts et évènements dans un parc de 3 hectares. La BBC y disposent même ses studios TV et Radio qui ne sont plus utilisés aujourd’hui mais toujours présents pour les visiteurs (le mat de diffusion des ondes est lui toujours actif en revanche). Détail amusant, le lieu se trouve à une équidistance quasi-parfaite de Highbury et White Hart Lane, environ 4,5 km au nord du premier et 4,5 km à l’Ouest du second.

Après seulement 2 mois de débat, le projet qui prévoyait même la construction d’un monorail entre le centre de Londres jusqu’au stade est jeté à la poubelle car « non désirable et impossible à mettre en place. » Plusieurs associations d’habitants avaient surtout mis en avant le fait que Alexandra Palace était déjà soumis à de très gros problèmes de saturation lors d’événements pour 10 000 personnes, la venue de 50 000 spectateurs tous les 3 jours auraient généré de très gros problèmes logistiques et de sécurité. Argument ultime pour enterrer le projet : le coût fiscal du projet, jugé insupportable pour les habitants du quartier. Pour la petite histoire, après le projet de stade, le GLC avait eu pour ambition d’y construire un parc Disney.

Et le Dynamo Moscou dans tout ça ?

Tout ça nous ramène donc à notre point de départ, à cette photo d’une foule joyeuse qui attend, dans le brouillard, que l’immense Dynamo Moscou affronte Arsenal à White Hart Lane. La guerre est finie mais Highbury, lourdement touché par les bombardements allemands, doit être en parti reconstruit. Les Russes avaient déjà affrontés Chelsea (3-3) à Stamford Bridge devant 100.000 personnes et à Cardiff City (10-1) auparavant dans une tournée londonienne pour fêter la fin de la guerre et faire une sacrée propagande à la faveur de l’Empire Soviétique. Cette rencontre, Moscou la remportera 4-3 dans un brouillard improbable, tellement épais que les russes auront même poussé le vice à jouer à 12 durant 20 minutes à cause d’un « cafouillage » lors d’un remplacement que l’arbitre n’avait pas vu à cause de la purée de pois***. Après la rencontre, Moscou continuera sa tournée en Écosse avec une rencontre face au Glasgow Rangers (2-2).

Notes

* Tottenham utilisera 70 guests entre 1939 et 1946, des joueurs qui pouvaient porter le maillot de plusieurs équipes tout au long de la semaine.

** Une carte recensant les bombardements sur Londres durant la seconde guerre http://www.bombsight.org/#15/51.5498/-0.1041

*** Savais-tu que l’expression française « Purée de pois » venait d’Angleterre et était une traduction littérale de « Pea Soup » ?

Sources

http://www.arsenal.com/history/post-war-arsenal/highbury-stages-first-live-broadcast
http://www.arsenal.com/news/news-archive/highbury-transformed-in-wartime
http://www.tottenhamhotspur.com/myspurs/august-lest-we-forget-040814/
http://www.mehstg.com/archive/wartimespurs.htm
http://www.thearsenalhistory.com

In 1945 Dynamo Moscow Sparked Chaos At Chelsea And Cheated Arsenal

https://web.archive.org/web/20200515222817if_/https://flashbak.com/in-1945-dynamo-moscow-sparked-chaos-at-chelsea-and-cheated-arsenal-45695/embed/#?secret=0EKBzC64Y9
Et plein de pages Wikipédia.

Cet article a initialement été publié sur le site de la communauté des supporters français de Tottenham. Le site ayant disparu, nous le publions ici à la demande de son auteur afin qu’il ne soit pas perdu.

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