Southend United – Sunderland AFC, Mai 2019. On joue la 87ème minute de jeu, de la quarante-sixième et dernière journée de championnat de League One. Lorsque sur un centre de la dernière chance, le ballon arrive dans les pieds de Stephen Humphrys, l’attaquant frappe à bout portant et trompe le gardien de Sunderland. Le Roots Hall exulte, les supporters peuvent agiter les écharpes offertes par le club aux supporters présents ce jour là. Il reste quelques (longues) minutes d’attente avant qu’ils envahissent la pelouse.
Les Shrimpers (« les crevettiers », le surnom du club) l’emportent deux buts à un et arrachent le maintien en League One, face à une équipe de Sunderland qui joue pourtant la montée en Championship. Aux cris de « We are staying up! », les joueurs sont célébrés comme des héros. Cet après-midi, par l’envie et par le jeu, c’est Southend United qui a joué comme une équipe prétendante à la montée. Sunderland AFC devra passer par les playoffs d’accession en Championship (et échouera en finale à Wembley, encore une fois dans les derniers instants du match, face au Charlton Athletic FC).
Un secteur sportif qui plonge
La victoire face à Sunderland est le sursaut d’orgueil d’une longue descente aux enfers dans laquelle s’est plongé le club de l’Essex, dont la ville, Southend-on-Sea (station balnéaire disposant de la plus longue jetée au monde) est située une heure à l’Est de la capitale anglaise.
La saison suivante, 2019-2020, sera un calvaire, avec au final, une descente en League Two au terme d’un mauvais bilan. Et la saison actuelle débute de la pire des manières, avec un total de cinq points en douze matches de championnat joués. Ajoutons à cela une série de huit mois sans la moindre victoire , qui s’est – enfin – terminée le week-end dernier à Walsall (victoire 1-0).
Des prémices avaient déjà eu lieu après le limogeage de Chris Powell en mars 2019. À la suite d’une série de onze matches sans victoire, Southend United passe en quelques semaines d’une place de milieu de tableau (et proche des playoffs d’accession), à la lutte pour le maintien. Après l’obtention du maintien en League One, plusieurs joueurs cadres partent, et ne sont pas remplacés. Le début d’un scénario encore plus angoissant.
Les négociations avec Henrick Larsson ayant échoué, c’est l’ancien international anglais, Sol Campbell, qui débarque en Octobre 2019 et prend les rênes de l’équipe. Mais comme l’indiquait Timothée Dieng lors d’un entretien avec God Save The Foot plus tôt cette année : « Au mercato hivernal, certains joueurs ont été vendus. Nos deux principaux attaquants, un défenseur central et un gardien. Au final, le club s’est affaibli à plusieurs postes et n’a pas recruté pour pallier ces départs. À partir de là, c’est difficile de retrouver de l’allant. Honnêtement, au sein de l’effectif actuel, il doit y avoir seulement six ou sept joueurs disponibles qui ont l’expérience de la League One, dont moi ».
Timothée Dieng : “En Angleterre, ils supportent fièrement leur équipe locale”
L’entretien de Timothée Dieng pour God Save The Foot
Une arrivée donc sans effet, la faute à un effectif trop faible pour rester en League One. Et encore des départs… Huit au total, pour aucune arrivée en retour au mercato d’hiver. L’effectif se décime. Southend United ne remporte que quatre des vingt-quatre rencontres sous le commandement de l’ancienne légende du football anglais et d’Arsenal. Soit dix-neuf points pris en trente-cinq matches de championnat. Un bilan catastrophique.
Suite à l’interruption de la saison à cause du coronavirus, le club termine vingt-deuxième du championnat. À dix-sept points du maintien. La décision tombe en juin: Southend United est relégué sur la base du nombre de points gagnés par match, et jouera la saison 2020-2021 au quatrième échelon du football anglais.
La direction du club et Sol Campbell décident alors de rompre leur contrat d’un commun accord. « Même si c’était une période difficile pour lutter contre la relégation, j’ai quand même apprécié l’expérience », déclare Campbell. Il avait pourtant signé un contrat jusqu’en 2022.
Mais le mal est plus profond. Ron Martin, le propriétaire et président du club, a consommé six managers depuis le début de l’année 2018 alors que seuls trois avaient occupé le poste lors des quinze années précédentes.
« À mon avis, certains de nos joueurs ne sont pas (encore) assez bons et certains ne travaillent pas assez dur. Le salaire doit tomber sur ce changement culturel »Ron Martin, président du southend united fc
Sol Campbell est donc remplacé par Mark Molesley. Un profil différent. Celui-ci sort d’une expérience à Weymouth, club qu’il a fait parvenir en National League, le plus haut échelon de la Non-League.
Un effectif décortiqué
Mais l’arrivée du nouveau manager n’a toujours rien changé. L’équipe est déjà distancée au classement et est impliquée dans une difficile lutte pour le maintien en League Two. Avec cinq points pris en douze matches, face à Crawley Town, Exeter City et Walsall : le bilan est maigrelet.
Pour sa défense, Mark Molesley a hérité de l’équipe qui a été reléguée de League One la saison dernière. En raison des problèmes financiers, il n’a pu apporter que peu de changements et doit travailler avec un effectif décimé et meurtri par la relégation. Parmi cet effectif aux nombreuses lacunes, il doit aussi faire confiance à des jeunes. Certes prometteurs pour certains, mais qui n’ont sans doute pas les épaules assez lourdes pour faire face à une situation si critique et ce, dans un championnat difficile où l’impact physique est prédominant.
Aussi, les Shrimpers ont perdu six matchs de championnat d’affilée et la pression commence à croître pour leur nouveau manager. Nul doute que la victoire à Walsall (1-0), le week-end dernier, pourrait servir de déclic. Car avant ça, Southend United restait sur une élimination de la FA Cup face à Boreham, club de National League et, surtout, une humiliante défaite (6-1) face aux rivaux de Colchester United, dont la ville se situe une trentaine de kilomètres au nord. À l’issue de cette rencontre, des supporters du club ont attendu le retour du bus des joueurs.
À leur arrivée, ces derniers, passablement énervés par les résultats sportifs catastrophiques, ont jeté des œufs sur le bus. Le service d’ordre est intervenu afin d’empêcher les fans de rentrer dans le stade et causer des dégradations. Le club touche le fond.
Le milieu de terrain Gard, ainsi que le défenseur Ralph sont blessés. Tandis que l’attaquant Akinola, le milieu de terrain McCormack et le défenseur Sam Hart ne peuvent pas figurer sur une feuille de match car ils ne sont pas encore inscrits par l’EFL, en raison d’un embargo sur les transferts.
Southend est également la plus mauvaise défense du championnat, avec vingt-cinq buts encaissés et la seconde plus mauvaise attaque avec six buts marqués. Cependant, Molesley paraît toujours optimiste et déterminé. «Le travail ne change pas et vous devez continuer à essayer d’être le meilleur possible chaque jour » a-t-il déclaré au journal local, le Southend Echo.
« Vous devez contrôler ce que vous pouvez contrôler » Mark Molesley au Southend Echo
Effectivement, l’entraineur est tributaire d’une équipe qu’il n’a pas choisie. Le staff et les joueurs subissent les problèmes financiers du club, aggravés récemment par la crise du Covid. Depuis près d’un an, la situation est tendue en interne, en raison de salaires non payés aux joueurs et aux employés du club. Et cela n’arrange rien.
Ron Martin, sur une pente glissante
Ron Martin est un homme d’affaires britannique. Aujourd’hui dans l’immobilier, il est surtout connu pour avoir participé aux Jeux Olympiques dans l’équipe Britannique de bobsleigh. En 1998, il prend possession de Southend United en apportant 4M£ afin de couvrir les dettes du club. Il devra aussi régler en 2009, la somme de 2,1M£ afin de couvrir une nouvelle fois les dettes. Celles-ci étant causées notamment par deux relégations en trois saisons alors que le club avait réussi à accéder au Championship.
Pendant de nombreuses saisons, Southend United a dû faire face à des difficultés financières, provoquant parfois des embargos sur les transferts. Une demande de liquidation a été faite début 2020, alors que le salaire des joueurs et employés du clubs n’étaient pas payés depuis fin 2019. Les joueurs ont donc contacté le PFA (Professional Football Association, le syndicat des joueurs). Le président du club, Ron Martin, a finalement dû payer 140 000 £ alors que sept joueurs seniors de Southend United n’avaient toujours pas été payés de leur salaire en décembre 2019.
The PFA is disappointed with the public statement made by Southend United’s Chairman, Ron Martin, which represents an unfair portrayal of the players and an inaccurate reflection of the club’s situation. (#SUFC 1/6) pic.twitter.com/av0BaARcUA— Professional Footballers’ Association (@PFA) April 22, 2020
Communiqué de l’Association des Footballeurs Professionnels anglais après des critiques du président envers ses joueurs, en dépit de la situation financière critique
Il a ensuite rencontré tous les joueurs pour les rassurer et les informer que la situation ne se reproduirait plus. La requête de liquidation a été rejetée après l’épuration des dettes. Mais les contraintes financières ont encore empêché le club de recruter de nouveaux joueurs pendant le mercato de janvier 2020.
En mars, Ron Martin a confirmé que Southend était sous un embargo sur les transferts en raison d’une facture fiscale impayée, alors que les salaires de février n’étaient eux toujours pas payés à temps aux joueurs, Le PFA a été une nouvelle fois sollicité.
Une autre demande de liquidation du HMRC (Her Majesty’s Revenues and Custom, l’équivalent de notre Trésor Public) a été ajournée. Elle a ensuite été ajournée à trois nouvelles reprises. Toujours en mars, Southend United a été accusé de mauvaise conduite par l’EFL, pour ne pas avoir payé ses joueurs à temps et pour avoir aligné un joueur non-éligible lors d’un match contre Lincoln City en février. Le club a reçu une suspension de trois points et a été condamné à une amende de 7 500 £ pour avoir commis ces infractions.
En avril, lors de la pandémie de COVID-19 au Royaume-Uni, Southend a mis plusieurs membres du personnel et certains joueurs en congés, plus précisément en congés temporaires. Ceci dans le cadre du programme d’urgence de maintien de l’emploi du gouvernement britannique. Le président du club a déclaré que cela permettait au club de gérer au mieux ses finances pendant cette période de revenus limités. Mais la décision a été critiquée par la PFA qui a déclaré que le club avait « systématiquement » laissé les joueurs baisser leurs salaires.
Le virus prend Southend dans sa vague
En juin, les clubs de League One et de League Two ont convenu de mettre fin à la saison 2019-2020. Southend United a été relégué en League Two. Le lendemain, le club a annoncé qu’il mettait tout l’effectif sportif en congés. Les joueurs vont alors refuser cette décision. Le manager, Sol Campbell, et ses trois assistants décident ensuite de quitter le club d’un commun accord avec la direction.
Fin octobre, Ron Martin a de nouveau évité un redressement judiciaire et a réglé une somme de près de 500000 £ afin de régler les dettes courantes du club à l’HMRC. Cependant, Southend United reste sous embargo des transferts et ne peut donc toujours pas enregistrer les joueurs en attente. Akinola, Hart, McCormack doivent donc encore patienter. En réitérant son désir de ne pas vendre le club car il n’en a aucun intérêt, et en préférant renflouer les dettes, Ron Martin assume le fait de faire subir le sportif et critique à nouveau ses joueurs dans un communiqué.
« Sur les treize joueurs de l’équipe partis à l’intersaison, et beaucoup de la saison précédente, je n’ai aucun regret de les avoir laissé partir. La plupart étaient surpayés et sous-productifs ».Ron Martin dans un communiqué du club, en novembre 2020
Dans ce surréaliste communiqué, il déclare aussi avoir échangé avec Henrick Larsson (entraineur adjoint du FC Barcelone) par message. Et selon lui, il ne pense pas que des joueurs de Barcelone seront prêtés à Southend United! Il conclut : « Mark (Molesley) et moi réussirons ou mourrons en essayant. Ce sont des moments difficiles pour nous tous. Les effets du Covid ont amplifié les problèmes sans fin ».
La crise du coronavirus a touché tous les clubs anglais. Certains, qui étaient déjà en difficulté, l’ont été plus que d’autres. Et la situation devient désormais critique, alors que les revenus liés aux jours de matchs sont au néant depuis le mois de mars.
Après d’âpres discussions, les clubs de l’England Football League viennent d’accepter une offre d’aide de la Premier League, à hauteur de 50M£ pour les équipes de League One et League Two. Il reste cependant à s’entendre sur l’accord final du plan de sauvetage, et la répartition entre les clubs. Les équipes de Championship sont, elles, invitées à demander de l’aide à la Premier League au cas par cas, si nécessaire.
Le président du DCMS (Département du numérique, de la Culture, des Médias et du Sport), Julian Knight, a déclaré lors de l’audition de la commission parlementaire spéciale du 10 novembre, qu’environ dix clubs de l’EFL auront du mal à payer leurs salariés ce mois-ci. Une réunion va être organisée prochainement afin de préserver l’avenir du football après la crise du Covid-19.
Un nouvel écosystème pour les Shrimpers?
Durant les années 1990, le club a commencé à étudier la construction d’un nouveau stade sur le site de Fossets Farm, sur des terrains proches du Roots Hall. Depuis, peu d’aménagements ont été faits. Et le stade des Shrimpers commence à être vétuste.
D’une capacité de 12392 places, Il est implanté au cœur d’un quartier résidentiel. C’est un stade qui plaît aux amateurs de stades typiques britanniques. Avec ses quatre tribunes séparées, leur proximité du terrain (derrière les buts, vous êtes à un bras tendu des filets), ses projecteurs traditionnels… Bref le Roots Hall est « a proper ground » comme aiment le dire les anglais.
De nombreuses péripéties, surtout au niveau de l’obtention des terrains nécessaires, ont empêché le développement du nouveau stade ces dix dernières années. Mais en avril 2020, le club a conclu un accord pour vendre leur terrain du Roots Hall au promoteur immobilier.
Plus de cinq cents logements seront construits sur le site de l’ancien stade lorsque le club déménagera dans son nouveau stade de 21 000 places, Fossetts Farm. Aussi, huit cents autres logements seront construits autour de la nouvelle enceinte.
Avec un coût de 25M£, la construction doit débuter en 2021, pour une durée prévue de trois ans. Cet accord empêche cependant Southend d’apporter autour de son nouveau stade les commerces, le cinéma ou les restaurants initialement désirés. Ron Martin compte pourtant sur le développement de ce nouveau stade. Il espère en obtenir de nouveaux revenus qui permettront au club de ne plus être endetté.
Le sauvetage du club doit passer d’abord par des résultats sportifs dès que possible. Espérons pour Southend United que la victoire à Walsall n’était pas « un accident » et que la levée de l’embargo sur les transferts permettra un renouvellement de l’équipe. Il faudra aussi que Ron Martin décide d’investir, ou cherche un repreneur. Mais il ne paraît pas en avoir la capacité actuellement en raison de la crise du Covid qui touche tous les secteurs du football.