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Il y a toujours ce joueur dont on dit qu’il aurait pu devenir une star s’il avait pris le football plus au sérieux. Adel Taarabt est ce joueur-là. Sauf que, lui, il a bel et bien fait carrière, tout en laissant un goût d’inachevé. Ceux qui l’ont vu jouer en direct se souviennent encore d’un talent hors norme, un artiste du ballon rond capable de gestes insensés, d’éliminations dévastatrices et de passes lumineuses. Un footballeur qui, sur le papier, avait tout pour marquer l’histoire. Mais la magie de Adel Taarabt était aussi éphémère que flamboyante.
Aujourd’hui, son nom est surtout évoqué avec une pointe de nostalgie, celle d’un joueur aussi doué que frustrant, qui n’a jamais réellement atteint les sommets que son talent lui promettait. Son histoire est celle d’un footballeur qui a fait rêver, mais qui a aussi laissé un immense « et si ? » en suspens.
Originaire du Maroc, Adel Taarabt pose ses valises en France dès son plus jeune âge et se forme au RC Lens. Rapidement, son talent saute aux yeux et attire les convoitises. Il n’a que 17 ans lorsque Tottenham le recrute en 2007. Une ascension fulgurante pour ce gamin pétri de talent, mais déjà un signe avant-coureur de ce qui allait être sa carrière : une trajectoire en dents de scie, faite de promesses jamais totalement tenues.
À peine arrivé en Premier League, il fait déjà parler de lui. Pas par ses statistiques ou son impact sur le jeu, mais par ses qualités techniques hors du commun. Son dribble déroutant, sa capacité à éliminer un adversaire en un éclair et son aisance balle au pied en font un joueur spectaculaire. Pourtant, chez les Spurs, il ne joue quasiment pas. Neuf apparitions en trois saisons, trop peu pour s’imposer, trop peu pour grandir.
C’est à QPR, en Championship, que Taarabt va véritablement montrer toute l’étendue de son talent. Dans un championnat réputé rugueux, physique et exigeant, le Marocain va évoluer en électron libre et livrer une saison 2010-2011 qui restera dans les mémoires. Son entraîneur, Neil Warnock, prend une décision audacieuse : lui donner le brassard de capitaine. Une manière de responsabiliser ce génie capricieux et d’obtenir de lui le meilleur.
Le pari fonctionne à merveille. Cette saison-là, Taarabt marche littéralement sur la deuxième division anglaise. 19 buts, des dribbles venus d’ailleurs, des frappes enroulées qui nettoient les lucarnes, des gestes techniques dont lui seul a le secret. Il est intenable. QPR décroche la montée en Premier League, et tout le monde se demande si Taarabt va enfin éclore au plus haut niveau.
Mais le rêve tourne court. Trop imprévisible, trop individualiste, il peine à s’adapter aux exigences de l’élite. Ses fulgurances ne suffisent plus. Son indiscipline tactique agace. Son manque d’implication défensive est rédhibitoire. Harry Redknapp, son coach, ne le ménage pas et finit par lâcher une phrase restée célèbre :
« Il a le talent pour être tout ce qu’il veut, mais il refuse de travailler. Il est le pire professionnel que j’aie jamais vu. »
Un jugement sévère, mais qui résume bien le paradoxe Taarabt. Capable du meilleur, mais trop souvent rattrapé par ses propres démons.
🤤 Pure filth this one.#TaarabtThursday https://t.co/vdpKc9HWFS pic.twitter.com/WewXneWAMR
— QPR FC (@QPR) May 7, 2020
Après l’échec en Premier League, Taarabt multiplie les prêts. Il tente de se relancer à Fulham, puis à l’AC Milan. L’Italie semble lui réussir un temps. Sous les ordres de Clarence Seedorf, il livre des prestations encourageantes, rappelant par instants le joueur qu’il aurait pu être. Mais, encore une fois, l’éclaircie est de courte durée. Son irrégularité le condamne.
En 2015, Benfica tente le pari et le recrute. Un choix surprenant, tant le club portugais est réputé pour sa rigueur et son exigence. Taarabt, fidèle à lui-même, disparaît des radars pendant plusieurs saisons. À tel point qu’on le croit fini pour le football de haut niveau.
Et puis, contre toute attente, il finit par renaître. Après des années à errer entre l’équipe réserve et le banc de touche, il se réinvente sous les couleurs de Benfica. Plus incroyable encore, il change de poste. Lui, le soliste, le dribbleur fou, se reconvertit en milieu relayeur, voire en milieu défensif. Un paradoxe absolu, mais qui symbolise une certaine maturité tardive.
Aujourd’hui, à 35 ans, Adel Taarabt évolue à Al Sharjah FC, aux Émirats arabes unis. Une destination exotique, loin de l’agitation des grandes compétitions européennes. Loin, aussi, des attentes qu’il a portées pendant trop longtemps. Quand le Maroc a atteint les demi-finales de la Coupe du monde 2022, lui n’était qu’un spectateur. Une situation ironique, tant son talent aurait pu faire de lui un leader de cette génération dorée.
Si certains voient en lui un immense gâchis, d’autres préfèrent se souvenir du joueur capable de faire lever un stade sur un éclair de génie. Car, après tout, le football est aussi une affaire d’émotions, et Taarabt en a procuré plus que beaucoup d’autres.
Alors, comment se souviendra-t-on d’Adel Taarabt ? Comme d’un magicien incompris ? Comme d’un joueur qui aurait pu devenir une légende, mais qui a manqué de discipline ? Ou simplement comme d’un footballeur qui a pris du plaisir, quitte à en donner trop peu en retour ?
Son histoire est celle d’un talent brut, jamais totalement poli. Un joueur pour qui le football était un jeu, plus qu’un métier. Un artiste qui n’a jamais voulu rentrer dans le moule. Et peut-être est-ce pour cela qu’on s’en souviendra toujours.
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