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Le Stadium Of Light n’avait jamais connu ça depuis sa construction. Une saison en League One. Tel est le sort de Sunderland depuis maintenant quatre mois. Il faut remonter à 1988 pour voir une trace du club à cet échelon. Pourtant, les Black Cats évoluaient il y a encore 24 mois dans l’élite du foot anglais. Mais après une dernière année désastreuse en Championship, ponctuée par une dernière place au classement, Sunderland a redémarré un nouveau cycle au troisième échelon. Avec comme seul mot d’ordre, la remontée immédiate. Pour effacer les fantômes d’un passé, pas encore tout à fait refermé.
Sunderland ne s’y attendait pas. À la stupéfaction générale, en ce mois de mai 2018, le club venait de prendre un nouveau coup de poignard dans le dos. Au fil des semaines, les lumières du SoL s’étaient pourtant éteintes, inlassablement, à mesure que le couperet se rapprochait. Une terrifiante vérité, mais symptomatique des balbutiements internes du club depuis plusieurs années. Sunderland a traîné son boulet jusqu’aux profondeurs, un boulet honni dénommé Ellis Short. De son mandat commencé en 2011, à son départ programmé en 2018, que retiendra-t-on de l’homme d’affaires irlando-américain ? Un bail où l’équipe a toujours joué avec le feu, se maintenant souvent par miracle en Premier League, une perte de plus de 200 millions de livres et des départs de coachs récurrents. Un suicide amorcé, pour un propriétaire qui visiblement n’a jamais souhaité faire avancer son club. Un achat par procuration, une gâterie que l’on donne à un enfant.
Ellis Short a sans doute réalisé un caprice juvénile. Celui d’acquérir un club de football avec tous les désirs que cela comporte et d’en faire l’un des meilleurs clubs du monde. Un désir finalement illusoire, utopiste et tragique. En novembre 2017, alors que Sunderland est empêtré dans une situation sportive délicate – seulement une victoire en Championship après quinze journées – le propriétaire américain, dont la présence médiatique est rare, va se défendre dans un communiqué pour le site du club : “Je suis impliqué financièrement. J’ai mis une quantité d’argent encore importante cet été dans le club. Cela n’a pas servi à acheter de nouveaux joueurs, mais à rembourser certaines pertes. Je peux comprendre que les fans veulent que je quitte Sunderland, mais pas sans être sûr d’avoir un racheteur.”
En dix ans de présence, Ellis Short aura perdu près de £200m de livres et surtout, creusé la dette du club, environ £110m de livres selon les chiffres publiés en fin d’année 2017. Une dette qui n’a cessé de s’empirer au fil des années. En 2015, le site ecofoot.fr faisait déjà état de pertes importantes, alors que les droits télévisés omnipotents de la Premier League permettaient à de nombreux clubs d’atteindre l’équilibre budgétaire. Sunderland faisant figure d’exception.
La faute à des investissements conséquents sur le marché des transferts et la plupart du temps, qui n’auront rien apporté sur le pré. Pire, entre 2009 et 2018, seuls trois joueurs seront à peu près bien vendus : Jordan Pickford pour £29.5.m à Everton, Simon Mignolet pour £9.54m à Liverpool et Darren Bent pour £19.35m à Aston Villa. De l’autre, des transferts en pagaille, une cinquantaine au total. Surtout, fans et suiveurs reprochent aussi au propriétaire de 58 ans d’avoir pris “la fuite” quand les résultats sportifs ne suivaient plus. Dans sa chronique quotidienne pour “The Northern Echo”, le journaliste Scott Wilson écrivait : “Ellis Short a fait l’erreur de laisser parfois des hommes peu recommandables gérer les transferts, notamment Roberto de Fanti un agent italien et Lee Congerton.”
Dépassé par les événements après plusieurs années de calvaire, Ellis Short – malgré une certaine incessibilité – s’est contraint à céder Sunderland en avril 2018 à un consortium de trois acheteurs. À sa tête, Stewart Donald, loin d’être un inconnu dans le football, puisqu’en 2010, il avait racheté le club d’Eastleigh évoluant alors en Conference South (D6 anglaise) et jouant désormais en Vanarama National League (D5 anglaise). Cet homme d’affaires de 43 ans, spécialisé dans les assurances a épongé une grande majorité des dettes de Sunderland : “Nous avons élaboré un plan pour restructurer le club. Le but est de redonner ce sentiment de fierté aux fans de Sunderland” confiait-il au Chronicle Live.
« La vente du club a été sûrement l’élément le plus positif de ces dernières années. »Sunderland france
Son associé, Charlie Methven est un ancien journaliste, reconverti en 2011 dans les relations publiques en fondant la société Dragon Advisory Limited, dont le siège se trouve à Londres. S’est joint à eux durant l’été 2018, Juan Sartori, un businessman uruguayen de 37 ans, diplômé d’Harvard et qui a fait fortune en Amérique latine grâce à son entreprise Union Group, spécialisée dans l’agriculture, l’énergie, du gaz et de l’immobilier.
“La vente du club a été sûrement l’élément le plus positif de ces dernières saisons nous confient Jules, Tony et Hugo, membres de la branche française des fans de Sunderland tout le monde est heureux de voir Stewart Donald à la tête du club, c’est un homme qui semble avoir déjà une passion pour Sunderland et il est très investi. La morosité a laissé place à l’espoir du côté des fans.” Un espoir retrouvé, après plusieurs années noires.
Sunderland est passé des lumières de la Premier League aux terrains difficiles de la League One en 24 mois. Seulement 24 mois. Deux ans où, le club, a connu d’innombrables soubresauts en interne. Dans un documentaire de huit épisodes sur Netflix « Sunderland ‘Till I die », retraçant la saison 2017-2018 en Championship et les coulisses des Black Cats, on comprend finalement mieux les raisons d’un tel marasme. Des joueurs aux salaires pantagruéliques, un groupe vampirisé par les tensions et des entraîneurs dépassés. Simon Grayson et Chris Coleman auront tout essayé, sans succès. L’échec était inéluctable. “Quand Chris Coleman est arrivé en novembre 2017, on a tous pensé : c’est un énorme coup, il va nous sauver de la relégation. Les premiers matchs étaient bons, l’équipe gagnait et puis, tout a empiré à partir de janvier. Son discours ne passait plus auprès du groupe” estiment Hugo, Tony et Jules.
Un événement va symboliser à lui seul cette rupture entre le groupe et Chris Coleman : le départ de Lewis Grabban, aujourd’hui joueur de Nottingham Forest. L’attaquant de 30 ans, auteur de 12 buts en Championship, était l’homme providentiel et celui qui pouvait, sortir en un instant, Sunderland de la galère. “Le coach a eu tort de laisser Lewis repartir à Bournemouth (NDRL : le joueur était prêté toute la saison par les Cherries) déplorait Aiden McGeady, ancien international irlandais dans le documentaire même si vous n’aimez pas ‘Grabbs’ en tant qu’homme, vous savez qu’il est précieux pour l’équipe car il a marqué 12 buts. Le coach pensait sans doute qu’un autre joueur pourrait faire la même chose, mais cela n’a pas fonctionné.”
Lewis Grabban est en effet un garçon impétueux et caractériel. En août 2015 alors qu’il évoluait sous les couleurs de Norwich, il s’était échappé de la fenêtre d’un hôtel avant un match de League Cup contre Rotherham pour retourner à Bournemouth avant la fin du mercato estival car il ne rentrait pas dans les petits papiers d’Alex Neil. Depuis, certains coachs anglais refusent à le signer, ne sachant pas à quoi s’attendre avec lui en dehors des terrains.
« Même si vous n’aimez pas Lewis, vous savez qu’il est précieux pour l’équipe car il a marqué 12 buts. »Aiden mcgeady
En conférence de presse, à maintes reprises, Chris Coleman va expliquer n’avoir pas un seul regret sur le départ de l’ancien poulain d’Eddie Howe, aussi bien sportivement qu’humainement : “Lewis a marqué beaucoup de buts, oui, mais nous n’avons pas gagné beaucoup de matchs non plus. Il ne voulait pas rester. Comme je l’ai toujours dit, pourquoi devrais-je me mettre à quatre pattes pour convaincre un joueur de rester s’il veut partir ?” Le ressort venait d’être cassé définitivement. Car l’arrivée en prêt d’Ashley Fletcher en provenance de Middlesbrough, n’offrira pas l’espoir espéré et tant attendu. L’attaquant de 23 ans, ne faisant trembler les filets que deux fois en une quinzaine de matchs avant de repartir, tête basse, vers Boro. Dans l’anonymat le plus complet.
Un autre événement, va irriter le club durant de longues semaines, celui de Jack Rodwell. En conflit permanent avec ses dirigeants et persona non grata depuis plusieurs mois au sein du groupe pro, le milieu de 26 ans est aussi l’un des plus gros salaires de Sunderland (£44 000 par semaine). Si bien que sa présence est un vrai problème. Dans l’un des épisodes de la série sur Netflix, la situation se tend avec Martin Bain, le directeur général des Black Cats : “J’ai discuté avec Jack au téléphone et je lui ai dit, sois un homme, tu as 26 ans. Que veux-tu ? Jouer au football ou avoir de l’argent ?” À cela, Rodwell lui répond : “Je veux jouer au football” avant de refuser la résiliation de son contrat quelques minutes plus tard. Fou de rage, Martin Bain lâche alors un “fuck off” et claque violemment la porte de son bureau.
Pendant plusieurs semaines, le torchon va brûler entre Rodwell et Sunderland. Problème, le joueur appartient toujours au club et rien ne semble présager une issue favorable. À quelques matchs de la fin du championnat, alors que le milieu n’a toujours pas foulé les pelouses de Championship depuis le mois de novembre 2017, un journaliste tente en conférence de presse de poser la question insidieuse : “Où est Jack Rodwell ?” Chris Coleman, quelque peu surpris, lui répond avec franchise : “Je ne sais même pas où se trouve Jack pour être honnête avec vous. Le club est coincé car il a en son sein un joueur qui ne veut plus jouer pour Sunderland.”
Chris Coleman : Je ne sais même pas où se trouve Jack pour être honnête avec vous.
La situation se décantera finalement avec la nouvelle direction et le nouvel entraîneur Jack Ross en juillet dernier. Courtisé par quelques équipes de Championship, le joueur rejoindra finalement Blackburn, tout juste promu et ce, un an avant la fin de son contrat avec Sunderland. De quoi retrouver du temps de jeu ? Pas vraiment, Jack Rodwell n’ayant fait que huit apparitions en championnat cette saison…
À la mi-saison, Sunderland est toujours dans la course à l’accession en Championship. Troisièmes avec 47 points, à seulement 7 points du leader d’un autre géant des divisions inférieures Portsmouth, les Black Cats rêvent d’offrir une remontée immédiate à leurs supporters. Des fans truculents qui n’ont jamais cessé d’encourager les leurs. Ils étaient encore 46 039 à garnir les travées du SoL contre Bradford lors du Boxing-Day, écrasant ainsi le précédent record de League One réalisé lors de la rencontre Leeds-Gillingham en 2008, où 38 256 personnes avaient pris place dans Ellan Road. « C’est dingue de voir Sunderland concurrencer largement des affluences de Premier League alors que le club évolue en League One » notent les membres de la branche française.
Cette union sacrée autour du club du nord de l’Angleterre est assez symbolique et donne le sourire à une ville animée par le désir de voir ses couleurs revenir à l’étage supérieur. Le documentaire de Netflix ne peut pas mieux l’illustrer. Des gens agglutinés dans une église, à prier, pour voir son équipe s’en sortir, ou des fans éméchés dans les pubs de la ville, à débiner sur les joueurs de l’effectif. Sunderland est un club à part. Une ode à ce football britannique où l’amour désespéré pour un club, jusqu’à la mort parfois, donne des moments éphémères d’une rare beauté.
Escorté par l’enjeu qui prédomine, le nouvel entraîneur Jack Ross, ex coach de St.Mirren et Dumbarton en Écosse, a construit un groupe solide, articulé autour des pépites Josh Maja – tout juste 20 ans – auteur de 13 buts en championnat et Lynden Gooch, 23 ans, 5 buts et 8 passes décisives au compteur. De vieux grognards comme Aiden McGeady (32 ans) et Lee Cattermole (30 ans), le capitaine, sont également restés pour aider le club à retrouver les sommets. Les derniers survivants d’un groupe de Premier League-Championship largement dégraissé (exit donc Djilobodji, N’Dong, O’Shea, Koné, Khazri, Lens, Asoro…). Derrière eux, une ville, un stade tout entier prêts à se donner corps et âme. Sunderland a vécu l’enfer, il veut maintenant regoûter à la lumière.
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