Liverpool, dans la tourmente du football business-populaire

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Décidément, la fin de saison sera mouvementée pour le Liverpool Football Club. Au delà de la possible suspension définitive du championnat, les dirigeants du Fenway Sport Group ont eu recours à l’allocation au chômage partiel prévue par le gouvernement pour payer leurs employés. Une décision qui passe mal auprès des supporters, et qui est loin d’être la première bourde du consortium.

FSG et le chômage partiel

Le Royaume-Uni est entré de plain-pied dans la lutte contre le Coronavirus depuis quelques semaines. Comme de nombreux États européens, le Royaume-Uni a décidé de débloquer une aide pour les entreprises afin de permettre à chacun de continuer à percevoir un salaire malgré son chômage partiel. Outre-Manche, l’État pourra s’acquitter de 80% du salaire de chaque employé pour les entreprises en faisant la demande. Il va sans dire que le public visé est plutôt les moyennes et petites entreprises incapable d’assurer des salaires complets sans production.

Mais certaines entreprises totalement capables d’assumer les charges de leurs salariés sans se mettre en péril vont s’engouffrer dans la brèche pour encore faire des économies. Le 4 avril 2020, c’est Liverpool qui annonce payer ses employés à 100%, tout en précisant timidement qu’ils ne prendront en charge que les 20% non versés par l’État.

Tout de suite, les réactions se font vives. Bien plus vives que pour Tottenham, qui s’est aussi acquitté de seulement 20% du salaire de ses employés par le même procédé. Coté Liverpool, Stan Collymore et Jamie Carragher ont rapidement pris la parole pour critiquer vivement ce choix. Ce dernier réagit sur Twitter :

« Jurgen Klopp a montré de la compassion pour chacun au début de cette pandémie, des joueurs très impliqués dans la Premier League ont baissé leurs salaires. Et tout ce respect et cette bonne volonté est perdue, regrettable Liverpool. »

Le tollé est général. Des membres du staff aux supporters, tout le monde fustige cette décision de Liverpool qui avait annoncé en février un bénéfice brut de quarante-deux millions de livres sterling. Comme attendu, FSG fera machine arrière deux jours plus tard, à travers le CEO Peter Moore (ex propriétaire d’Electronic Arts) :

« Nous pensons que nous sommes arrivés à la mauvaise conclusion la semaine dernière et nous sommes vraiment désolés pour cela », tout en indiquant que le club avait « opté pour des moyens alternatifs » pour payer ses employés.

Tout peu délicat qu’il fut, il aurait pu s’agir d’un épiphénomène n’ayant intéressé que quelques supporters de Manchester United en manque d’arguments contre le grand rival, mais cette décision du Fenway Group Sport résonne tout particulièrement pour deux raisons principales.

Liverpool : Augmentation des prix et dépôt de marque

Si ce dernier errement de FSG et sa volte-face rapide a eu un tel retentissement chez les supporters de Liverpool, c’est par la lassitude que cette situation leur aura procuré. En effet, le consortium n’en est pas à son coup d’essai pour tenter de forcer sournoisement des décisions impopulaires. 

En 2016, il est décidé que le prix du billet pour accéder à Anfield pour la saison de Premier League bondirait de £19, arrivant au tarif faramineux de £77. En conséquence, la barre symbolique des £1000 pour un abonnement annuel serait franchie. Une décision grandement impopulaire qui aura résulté d’une manifestation sans précédent à l’appel des différents groupes de supporters du Kop lors d’un match à domicile face à Sunderland le 6 février. En effet, les supporters quittent le stade à la symbolique 77ème minute. Fidèle à sa politique de communication, le groupe fait machine arrière et gèle pendant deux ans le prix des places et ne l’augmentera pas après. À l’époque, la manoeuvre fonctionne et les supporters se sentent écoutés par leur dirigeants. Mais malheureusement, d’autres incidents vont survenir impliquant des volontés mercantiles du consortium. 

Trois ans plus tard, c’est une décision camouflée par le club qui sort au grand jour : Le Liverpool Football Club souhaite déposer le nom « Liverpool », et donc s’abroger le droit d’interdire l’utilisation commerciale du nom. Une décision très surprenante, visant à « lutter contre la contrefaçon » selon le club. Dans la réalité, personne n’est dupe : ceux qui sont visés, ce sont bien les petites entreprises de supporters vendant des produits dérivés évoquant le LFC depuis des années avec bien plus de créativité que les objets officiels vendus par le club.

Cette demande est problématique à bien des niveaux : les clubs amateurs comme l’AFC Liverpool ou le City of Liverpool FC ne pourraient donc plus utiliser leur nom, et la ville elle-même ne pourrait rien produire sans reverser de l’argent au club. Cette fois-ci, le rétropédalage des dirigeants sera graduel. Ils annoncent d’abord « limiter ce dépôt aux actions commerciales » et ne pas engager d’actions contre les entreprises des fans. Une promesse de gascon sans fondement juridique qui ne suffira pas à convaincre l’opinion. Quelques semaines plus tard, la décision attendue tombe : l’Office de la Propriété Intellectuelle (IPO en anglais) ne permet pas au club de s’approprier le nom de la ville de Liverpool. Le club décidera de ne pas faire appel, et tentera vainement de faire passer cette décision pour un geste envers les fans. 

Au final, l’une des raisons du désamour des supporters pour ses dirigeants tient à la répétition de ces actes toujours suivis d’excuses ou passés sous silence. Toutefois, si les supporters de Liverpool y sont aussi sensible, cela s’explique par l’histoire du club et le problème profond d’être un club de tradition populaire côté en bourse. 

Un exemple de club populaire devenu rouage du capitalisme

Il est évident que le Liverpool Football Club résonne auprès des amateurs de football par son histoire passée plus que par son présent. Un club fondé au XIXème siècle, ayant connu des débuts difficiles gravés dans les pierres du stade d’Anfield, jusqu’à l’arrivée providentielle de Bill Shankly et de son football teinté de socialisme.

Toutefois, si ces valeurs vivent encore parmi les supporters comme un héritage ouvrier (fantasmé ou non), il est très difficile de dire que celles-ci existent encore au sein du club stricto sensu. Comme le Red Star 93 voit ses dirigeants condamner Bauer et organiser des afterwork dans des bars branchés parisiens, Liverpool ne semble garder du socialisme de Bill Shankly que des citations imprimées sur le chemin des touristes visitant le stade contre un prix d’entrée conséquent.

Cette opposition entre ce qu’est intrinsèquement le Liverpool Football Club en 2020, c’est-à-dire une entreprise épanouie totalement moteur d’un système capitaliste dérégulé lui permettant de voir son équipe de football évoluer au meilleur niveau, et ce qu’est Liverpool dans le coeur de ses supporters, est l’axe majeur du désamour entre FSG et les Kopites.

Liverpool a beaucoup été moqué lors de cette dernière crise concernant le paiement de ses salariés, sur sa vivacité à s’opposer au gouvernement de Boris Johnson tout en acceptant l’aide financière décidée par ce dernier. Une comparaison qui n’a pas lieu d’être, tant l’écart de convictions entre celles des dirigeants et des supporters est grand.

FSG sait brosser ses fans dans le sens du poil tant que cet héritage ouvrier leur permet de générer plus de bénéfices mais n’hésite pas à trahir ces mêmes fans pour continuer à s’enrichir. De Saint-Ouen à Liverpool en passant par Hambourg, le football populaire est face au même dilemme qui leur échappe : rester fidèle à ses valeurs dans les actes, ou atteindre le meilleur niveau sportif ?

Par cette nouvelle félonie, Peter Moore et son Fenway Sport Group ont rappelé aux supporters leur seul et unique but, cruellement compréhensible par ailleurs – engendrer des bénéfices et s’assurer du soutien financier des supporters années après années.

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