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À Charlton, l’année a commencé comme s’est achevée la précédente, entourée de zones d’ombre. Malgré le départ acté de Roland Duchâtelet, le propriétaire belge honni en novembre dernier, les doutes ne se sont pas vraiment dissipés. Ils se sont même ravivés à l’issue du rachat avorté par l’homme d’affaires émirati Tahnoon Nimer il y a quelques semaines. Le retour au calme semble encore bien loin.
Les fans aimeraient sans doute remonter le temps et revenir une quinzaine d’années en arrière. À l’époque, Charlton jouissait d’une flatteuse réputation, celle d’un club londonien sur la pente ascendante, réalisant de solides prestations sportives en Premier League, où Darren Bent, Scott Parker et Shaun Bartlett faisaient chavirer un The Valley vrombissant, fier d’une escouade emmenée par l’intelligent et emblématique Alan Curbishley, figure quasi iconique dans le nord-est de la city.
Une période a priori révolue et enterrée dans le cimetière des souvenirs du club. Depuis dix ans, les Addicks vivotent entre la League One et le Championship. Une descente amorcée par des choix contestables à tous les niveaux – achats à tout-va, entraîneurs en pagaille. Une liste longue, beaucoup trop longue, pour espérer un redressement et redonner du baume au cœur à des fans lassés d’une situation ombrageuse entourant le club, malgré un soutien indéfectible.
En janvier 2014, Roland Duchâtelet, homme d’affaires belge de 67 ans, connu dans le monde du football pour avoir été pendant plusieurs années propriétaire de plusieurs clubs – le Standard de Liège et Saint-Trond en Belgique, Ujpest en Hongrie, Carl Zeiss Jena en Allemagne, décide de franchir la Manche pour devenir le propriétaire de Charlton via sa société Staprix NV qui a racheté 100 % des actions du club.
Une bénédiction pour les dirigeants anglais. “C’est un investisseur avec une grande connaissance du football, qui a déjà largement fait ses preuves, et qui est capable d’assurer la stabilité de notre club en D2 et de le développer sur le plan commercial” confiait à l’époque, dans le comité du club signalant le rachat (autour de £17 millions), Michael Slater propriétaire des Addicks. Mais derrière ce discours, un brin porté vers la flagornerie, qui permettait – entre autres – à Charlton de renflouer ses caisses, se cachent des doutes et des inquiétudes.
En effet, Roland Duchâtelet traîne avec lui une sulfureuse réputation, celle d’un investisseur s’entourant d’agents peu scrupuleux, comme Mogi Bayat, véritable tour de contrôle du marché des joueurs en Belgique et devenu le “directeur sportif” par procuration du FC Nantes il y a tout juste quelques mois.
En 2010, Duchâtelet ne tarissait pas d’éloges sur celui qui, plusieurs années après, deviendra le roi du jeu de la Jupiler League et l’entremetteur de plusieurs clubs anglais comme Watford et Crystal Palace : “Mogi me plaît. Il possède beaucoup, tant au niveau de la connaissance du football qu’au niveau du management. C’est vrai qu’il n’a pas un caractère facile. Mais les gens qui réussissent n’ont pas toujours bon caractère. Il est raisonnable et cherche toujours le compromis”. Peu apprécié dans le milieu du football belge pour ses diverses manigances, Roland Duchâtelet reste malgré tout un chef d’entreprise capable de sauver Charlton d’une situation sportive délicate et d’une banqueroute quasi inévitable.
“Moi-même je ne voulais pas partir. Mais lors de ma première rencontre avec le nouveau propriétaire, j’ai découvert que sa vision des choses ne correspondait pas du tout à la mienne. Il était surtout là pour le business.”Yann Kermorgant, ex joueur de Charlton
Mais les fans du club vont rapidement déchanter. À peine arrivé, le magnat belge pose son empreinte avec poigne. Premier fait d’armes, les départs conjugués de deux cadres des Addicks, l’attaquant français Yann Kermorgant et le milieu de terrain polyvalent Dale Stephens à la toute fin du mercato d’hiver. “À l’époque, personne n’avait compris mon départ expliquait il y a quelques années Yann Kermorgant au Reading Post, Moi-même, je ne voulais pas partir. Mais lors de ma première rencontre avec le nouveau propriétaire, j’ai découvert que sa vision des choses ne correspondait pas du tout à la mienne. Il était surtout là pour le business”.
Deuxième fait d’armes, les arrivées en prêt de certains joueurs issus des clubs dont il est le propriétaire – Yohann Thuram, Astrit Ajdarevic, Reza Ghoochannejhad (Standard de Liège) et Loïc Négo (Ujpest FC), qui ne laisseront pas vraiment un souvenir impérissable durant leur passage londonien. Troisième fait d’armes, en l’espace de quelques semaines, le licenciement de Chris Powell, coach de Charlton depuis trois ans et grandement apprécié par les fans.
Le motif prévalu par Duchâtelet ? Powell avait envoyé plusieurs mails à son propriétaire lui signifiant qu’il devait arrêter de s’immiscer dans la tactique de l’équipe et le onze de départ chaque week-end. À l’issue de son renvoi, en mars 2014, Roland Duchâtelet avait alors expliqué à la presse : “Il n’y a rien de mal à renvoyer un entraîneur quand son équipe est en bas du classement, d’autant plus quand celui-ci n’arrive pas à avoir le contrôle de son équipe”. Un discours pernicieux et impétueux qui suivra le propriétaire durant tout son mandat.
Après le licenciement de Powell, trois coachs se sont succédé à la tête de Charlton en l’espace d’un an – José Riga, Bob Peeters et Damian Matthew. Mais rien ne semblait arrêter la stratégie brinquebalante du soixantenaire, devenu le fantôme de The Valley au fil des mois. Where is Roland ?
Car oui, posséder une ribambelle de clubs a un prix – ne pas pouvoir être à plusieurs endroits à la fois et tout gérer à distance, quitte à laisser la main à un bras droit. Du côté de Londres et plus exactement dans le Borough royal de Greenwich, c’est Katrien Meire qui gère les affaires en tant que directrice générale des Addicks de 2014 à 2017. Trois années, où la jeune trentenaire se retrouve en première ligne. À son pedigree – mensonges dans la presse, inimitiés avec les fans, baisse continue du nombre des abonnements, départs de jeunes joueurs talentueux (Nick Pope, Ademola Lookman), descente en League One…
Face à ce rejet continu, Katrien Meire seule contre tous, s’est parfois défendue maladroitement : “À chaque fois que je reçois des mails de fans, ils me disent : ‘Dégagez de notre club’. Ce n’est donc pas le club des personnes qui l’ont achetées ? Quand ces gens-là vont chaque semaine au restaurant ou au cinéma et qu’ils ne sont pas contents, est-ce qu’ils se plaignent auprès du propriétaire ? Non. Par contre, ils le font avec un club de foot, c’est bizarre…” Des déclarations mal vues, portées sur le consumérisme, qui vont conduire à son départ précipité en décembre 2017, après trois années où elle a été le fusible préféré des fans.
Un départ loin de résoudre pour autant tous les problèmes internes au sein du club. Esseulé, acculé, Roland Duchâtelet tente de faire front et n’hésite pas à minorer les dépenses. À l’été 2018, le propriétaire belge coupe les vannes et décide de rentabiliser les finances du club – Charlton avait perdu 10 millions de pounds l’année précédente – en baissant drastiquement le budget nettoyage des locaux du club et du stade. Mais pas seulement. Les salariés sont également obligés de faire des réunions dans l’obscurité pour économiser de l’électricité et les distributeurs de serviettes dans les toilettes ont été soigneusement enlevés.
Comble de l’ironie, un employé du club avait même été contraint, à l’époque, d’envoyer un mail à son supérieur hiérarchique pour savoir s’il pouvait se délecter d’un paquet de chips pendant la pause du midi ou s’il devait se résoudre à laisser son ventre vide… Quelques semaines plus tard, sur le réseau social Twitter, les employés du club informent les fans du club qu’ils ne recevront pas les primes promises par la direction.
L’affaire prend alors une tournure politique et médiatique, Dan Thorpe, leader du Greenwich Council, dans une lettre adressée à Roland Duchâtelet, prend position et évoque la possible interruption de futures rencontres à The Valley via différentes manifestations dans les travées et autour du stade. Une situation déjà vue à Charlton par le passé.
En effet, les fans désireux de se faire entendre n’avaient pas hésité par exemple, à lancer des petits cochons en plastique sur la pelouse, lors du match opposant les Addicks à Coventry City le 15 octobre 2016. Les personnes à l’origine de cette manifestation quelque peu cocasse ? The Coalition Against Roland Duchâtelet, née du groupe Charlton supporters’ group Card (CARD). Ces fans de Charlton, très actifs sur les réseaux sociaux, ont entre 2016 et 2018, organisé plusieurs manifestations, portés par une foule rouge et blanche acquise à leur cause. L’une d’entre elles avait été vivement reprise par la presse locale – les funérailles du club dans les rues Floyd Rd et Valley Grove jouxtant l’enceinte de The Valley et rassemblant des milliers de personnes dans le New Charlton.
Autre manifestation signée du groupe CARD, la création d’un taxi spécial Roland Duchâtelet pour le soixante-dixième anniversaire de ce dernier en novembre 2016 et dont la destination était, bien évidemment, la Belgique. “Nous voulons montrer à travers ce cadeau l’incompétence de Duchâtelet et la destruction de notre club de cœur” avaient confié les instigateurs devant la presse.
À l’intérieur même du stade, malgré les différentes mesures prises pour empêcher des messages à son encontre, une banderole Liar (“menteur”) était parvenue à être positionnée juste au-dessus de la tribune présidentielle où se situaient les principaux actionnaires du club. Une action de plus dans cette série de manifestations où le propriétaire belge, toujours aux abonnés absents depuis 2015, était critiqué de toute part. Face à cette vendetta militante, Roland Duchâtelet n’a jamais essayé de faire profil bas.
Non, mieux, il a toujours estimé que les supporters de Charlton faisaient une grave erreur en rejetant la faute des maux du club sur sa personne, par l’intermédiaire de plusieurs communiqués incendiaires sur le site officiel des Addicks.
Dans cette période ô combien difficile pour Charlton, une lueur allait toutefois apparaître la saison dernière – une montée inespérée en Championship. Inespéré, le terme est sans doute exagéré, mais il est symptomatique des derniers mois vécus par le club, autant sur le plan sportif qu’en interne. Renouer avec le succès de cette manière, en ferraillant toute une saison pour arracher son ticket pour les playoffs, puis batailler, dans un Wembley volcanique, nappé de rouge et blanc, contre Sunderland, n’est pas une mince à faire.
Cette saison a illustré le renouveau d’un club en plein marasme et gangrené par les tribulations de son propriétaire honni. Charlton contre vents et marées, a retrouvé le goût du succès et s’est laissé porter par un chef d’orchestre désireux de redonner au club ses lettres de noblesse, Lee Bowyer. À 42 ans, ce tout jeune coach, qui vit sa première expérience à la tête d’une équipe a remis l’église au centre du village, oubliant le contexte qui entoure le club. Du travail, des principes et des vertus inculqués à des jeunes joueurs (la moyenne d’âge de l’équipe ne dépassait jamais les 27 ans) avides de connaître le Championship.
Dans ce contexte d’espoir, lié à la montée, les fans ont repris alors des couleurs. Du moins, croyait-on. Peu loquace ces derniers mois, la faute (ou grâce à) au parcours sportif des Addicks en League One, Roland Duchâtelet ne pouvait pas rester incrédule et laisser l’effervescence se propager. À quelques jours de la reprise, le propriétaire de Charlton reçoit Lee Bowyer. Au menu des festivités, une prolongation de contrat pour le coach anglais.
Mais ‘Picsou’ Duchâtelet ne l’entend pas de cette oreille. Les désirs de Bowyer sont trop onéreux, d’autant que le club est à vendre. Le technicien anglais souhaite signer un contrat à long terme pour construire un projet avec les Addicks et pérenniser le club en Championship. Duchâtelet, de son côté, ne propose qu’une année de prolongation assortie d’une large revalorisation salariale. Le propriétaire belge estime qu’une revalorisation à long terme pourrait entraîner de graves difficultés économiques dans les mois à venir pour le club.
“Nous ne publierons pas le limogeage du coach sur les réseaux sociaux”
Les deux hommes se fâchent et Bowyer, coach de Charlton depuis mars 2018, décide de claquer la porte. Dans la foulée, le propriétaire belge ordonne aux employés de la communication de publier le communiqué mettant fin à l’aventure de Lee Bowyer à Charlton. Réponse des intéressés : “Nous ne publierons pas le limogeage du coach sur les réseaux sociaux”. Le lendemain, contre toute attente, Lee Bowyer décide de revenir sur ses positions et accepte la prolongation de contrat d’un an : “Nous avons fait un grand parcours cette saison. Mais cette aventure n’est pas encore terminée et je suis ravi de continuer ici”.
Malgré ce coup de chaud pour les fans, Lee Bowyer restera bien le coach des Addicks cette saison. Et surtout, après un début de championnat assez honorable où le club végète dans le ventre mou, une nouvelle importante tombe fin novembre. Charlton va être vendu pour environ £50 millions de pounds.
Son repreneur ? East Street Investiment, un consortium basé à Abou Dabi et dirigé par Tahnoon Nimer. Roland Duchâtelet, lessivé par les attaques incessantes de ces derniers mois, a dit stop. Selon South Press, ce projet de rachat, mené par Nimer, est composé de Matt Southall, conseiller en fusion acquisition pour le groupe East Street Investiment qui sera le nouveau président et de Jonathan Heller.
Duchâtelet parti, les fans de Charlton auraient pu penser que les problèmes étaient désormais derrière eux. Bien au contraire, début mars, avant même les mesures de confinement, un communiqué tombe sur le site internet du club. Matt Southall, directeur exécutif annonce sa déception vis-à-vis du comportement de Tahnoon Nimer, le propriétaire émirati supposé être l’homme providentiel des Addicks pour les prochaines années.
Dans ce même communiqué, on apprend, sous la plume de Southall que Nimer s’est rendu en Roumanie quelques jours auparavant pour racheter le Dinamo Bucarest, postant en prime une photo sur son profil Instagram et qu’il aurait, par ailleurs, présenté sa démission.
Accusé de nuire aux intérêts de Charlton, Thanoon Nimer réfute alors ses accusations via un communiqué posté sur… Instagram ! Niant tout en bloc, le dirigeant des Émirats annonce que Matt Southall est écarté de son poste. Une confusion totale, combinée avec l’annonce de l’English Football League, qui, dans un communiqué, déclare que le rachat du club officialisé le 2 janvier 2020 n’a pas été approuvé, faute de garanties financières suffisantes et des preuves concrètes données par le consortium East Street Investments.
Mais l’épisode ne se termine pas là, bien au contraire. Fin mars, après deux semaines d’accalmie, un média roumain annonce que Matt Southall ferait l’objet d’une enquête pour avoir ordonné l’assassinat de l’avocat de Tahnoon Nimer. Ce dernier, quelques jours auparavant, avait notamment expliqué par presse interposée que Southall utiliserait l’argent de son client pour acheter plusieurs voitures de luxe, des appartements londoniens. À ce jour, l’enquête est toujours en cours.
“Trois joueurs m’ont annoncé qu’ils ne joueraient pas la fin du championnat, Lyle Taylor est l’un d’eux“
Une situation sens dessus dessous dont les fans de Charlton sont les premiers spectateurs. Et si cela ne suffisait pas, des nouvelles du terrain laissent peu optimistes quant à une opération maintien réussie. Vingt-deuxièmes au classement avant la reprise du championnat prévu dans deux semaines, les Addicks vont devoir serrer les dents et surtout, se maintenir sans trois joueurs qui ont annoncé ne pas vouloir reprendre la compétition – Chris Solly, David Davis (prêté par Birmingham) et Lyle Taylor, le meilleur buteur du club, auteur de 11 buts cette saison, qui à 30 ans, est en fin de contrat avec les Addicks et souhaite signer – enfin – un gros contrat dans un club plus important.
“Malheureusement pour nous, trois joueurs m’ont annoncé qu’ils ne joueraient pas la fin du championnat, et Lyle (Taylor) est l’un d’eux, a expliqué Lee Bowyer. C’est difficile pour nous, c’est difficile pour moi en tant que manager. Lyle est un grand joueur pour nous et il a dit qu’il ne jouerait pas à cause du risque de blessure. Je ne pense pas que je demande trop. Lyle est un joueur de Charlton et il a très bien fait pour nous pendant deux ans, donc à mes yeux vous finissez ce que vous avez commencé. Chacun a ses propres décisions à prendre, et je ne peux pas les forcer. Ce qui me déçoit le plus, j’ai parlé à Lyle au téléphone et il veut jouer, mais il est tellement inquiet de se blesser qu’il dit – “Je ne serais pas le même joueur pour vous”.
De quoi faire angoisser définitivement les fans du club. À Charlton, les semaines et les mois se suivent, sans espoir d’un renouveau.
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