Ecosse – Angleterre 96 : Bière, paranormal et déception

Le 18 juin, l’Angleterre recevra l’Ecosse à Wembley, pour le deuxième match du Groupe D. 25 ans plus tôt, quasiment jour pour jour, Wembley accueillait la deuxième rencontre du Groupe A entre l’Ecosse et l’Angleterre à l’occasion de l’Euro 1996. Un match mythique que l’on vous propose de redécouvrir.
Plus d’enjeux que d’habitude
En 1996, l’Ecosse ne participe qu’à son deuxième Championnat d’Europe, après 1992. Elle est tombée dans un groupe relevé en compagnie des Pays-Bas, de la Suisse et donc de l’Angleterre.
La compétition a démarré avec un match nul 0-0 contre les Pays-Bas. Il faut rappeler qu’une partie de l’équipe néerlandaise était composée des vainqueurs de la Ligue des Champions 1995 (Ronald de Boer, Van der Sar, Davids, Seedorf, Kluivert…). Clark Gillies, 13 ans à l’époque, était plutôt heureux : «Nous pensions que c’était un bon point. Le point noir était le manque d’occasions mais Andy Goram était le héros. Ce jour-là, il a produit une de ses meilleures performances en sélection.» En effet, le gardien des Rangers a notamment réalisé un magnifique arrêt devant Clarence Seedorf en début de match.
L’Ecosse et l’Angleterre comptent donc un point après la première journée. La victoire des Pays-Bas contre la Suisse deux jours avant le match tant attendu ajoute de la pression aux deux équipes, qui doivent gagner pour continuer à avoir leur destin entre leurs mains.
Mais y a-t-il besoin d’un réel enjeu sportif pour que cette rencontre attire tous les regards ? Non, évidemment. Les Angleterre-Ecosse (ou Ecosse-Angleterre) sont des rendez-vous historiques à chaque fois. Et, en 1996, cela fait sept longues années que les supporters attendent.
En effet, jusqu’en 1989, les deux nations se rencontraient annuellement dans le cadre du British Home Championship depuis 1884 (remplacé par la Rous Cup en 1985). Les seules fois où il n’y avait pas eu de match, cela avait été à cause des deux guerres mondiales. Le hooliganisme des années 80 a fini par avoir raison de ce derby. Mike Gibbons indique d’ailleurs que £2 millions ont été dépensées pour garantir la sécurité du match[1]. Il y a donc une grande peur des autorités et ce, avant même un événement dramatique qui a lieu ce 15 juin 1996.
De la tension dans l’air
A 11h47, une bombe explose à Manchester. Aucun mort n’est heureusement à déplorer malgré la violence de l’attentat perpétré par l’IRA (c’est la plus grosse bombe sur le sol anglais depuis la Seconde Guerre mondiale). Pour autant, Clark Gillies n’a pas été marqué le jour-même : «Je pense que j’étais trop jeune. Mes yeux étaient concentrés sur Wembley. Je ne me souviens pas que mon père et son ami s’en souciaient vraiment : nous étions totalement pris par l’atmosphère du match et tout le reste semblait si loin de nous. Je crois que je n’en ai pris conscience qu’une fois rentré à la maison».
D’ailleurs, l’ambiance est bonne : «Il faisait un temps magnifique. Toutes les craintes à propos de possibles troubles s’étaient envolées», se rappelle Clark. «Nous étions dans une tribune réservée aux Anglais mais il y avait de nombreuses poches de supporters écossais autour de nous. L’atmosphère était festive.»

Tellement bonne que Clark a pu nous raconter une histoire assez particulière pour illustrer cette ambiance bon enfant : «Dans le métro, nous parlions avec deux fans anglais. Ils nous ont invités à s’arrêter avec eux deux stations avant Wembley pour aller dans un pub privatisé. En fait, c’était des policiers sous couverture et le pub était leur QG. J’avais 13 ans mais je faisais 1m80 et je n’oublierai jamais ce policier anglais qui m’a tendu une Budweiser et un verre de vodka. Mon père m’a confisqué la vodka mais m’a laissé la bière !»
Côté terrain, on reste sérieux. Le sélectionneur Craig Brown a décidé de revenir à sa défense à trois, avec Boyd, Hendry et Calderwood défendant les cages de Goram. McKinlay est le piston gauche, McKimmie le piston droit. Au milieu, le capitaine McAllister est derrière Collins et McCall. Devant, il y a Spencer et Durie.
Du côté anglais, Seaman est bien sûr le gardien, accompagné de ses défenseurs Pearce, Adams, Southgate et Gary Neville. Ince est positionné devant la défense. McManamam et Anderton sont sur les ailes, Gascoigne est meneur de jeu. Enfin, Sheringham et Shearer forment le duo d’attaque.
Les Ecossais sont immédiatement mis dans le bain avec leur hymne sifflé par Wembley. Pour autant, ils réalisent une bonne première période, se créant des occasions et empêchant Paul Gascoigne d’exprimer son talent. A la mi-temps, Clark Gillies est d’ailleurs assez confiant : «On jouait bien mieux que ce que j’avais imaginé : Hendry s’en sortait bien face à Shearer, les milieux surveillaient bien Gazza et Durie posait des problèmes aux défenseurs anglais. Le seul problème, le même qu’avant l’Euro, c’était notre manque d’efficacité. L’Angleterre était à notre portée et je me disais qu’Ally McCoist allait rentrer. Même s’il n’était plus aussi bon suite à sa blessure à la jambe, il avait répondu présent lors d’un match contre la Grèce en qualification.»
Des espoirs à la douche froide
Au retour des vestiaires, pas de McCoist mais Terry Venables, le coach anglais, procède à un changement tactique : il remplace Pearce par Jamie Redknapp. Un choix payant car c’est du joueur de Liverpool que part l’action du premier but, se finissant par une tête d’Alan Shearer sur un centre de Neville. Nous sommes à la 53ème minute et la défense écossaise a craqué. Pas étonnant pour Clark Gillies : «On voyait doucement venir le but. Cela n’a pas été une grande surprise quand il est enfin arrivé. Mais nous pensions qu’il restait encore assez de temps pour arracher quelque chose de ce match.»
L’Ecosse repart vers l’attaque, profitant de quelques erreurs anglaises, mais c’est trop brouillon. C’est même l’Angleterre qui est à deux doigts de doubler la mise sur une tête de Teddy Sheringham brillamment repoussée par Andy Goram sur sa ligne. L’entrée de McCoist peu après l’heure de jeu n’apporte pas grand-chose. Seaman, vigilant sur son second poteau, sort toutefois une tête de Gordon Durie.
Et puis arrive la 78ème minute de jeu. L’Ecosse obtient un penalty suite à une faute d’Adams sur Durie. Gary McAllister est le tireur désigné. Il n’a jamais loupé un seul penalty jusque-là. Il en avait d’ailleurs mis un à l’Euro 1992 contre la CEI (ex-URSS). Le capitaine s’avance et frappe. David Seaman repousse le tir. Le ciel s’effondre sur les Ecossais.
Avant la frappe, le ballon bouge légèrement. De quoi faire parler dans les chaumières, surtout qu’un certain Uri Geller, soi-disant psychokinésiste de son état, proclame plus tard que c’est lui qui a fait bouger la balle depuis un hélicoptère. Bref, du grand délire. Quoiqu’il en soit, l’Ecosse a laissé passer sa chance. Et elle est immédiatement punie. En effet, dans la minute qui suit, Paul Gascoigne, laissé seul, réussit à lober Colin Hendry puis bat Goram d’une superbe frappe. Un but magnifique du joueur des… Rangers.
Les entrées de Craig Burley et Eoin Jess ne sont pas vaines mais arrivent trop tard. Défaite 2-0 contre le rival de toujours. Mais surtout, les chances de passer la phase de groupes s’amenuisent sérieusement. A ce moment-là, Clark Gillies n’y croit plus : «Des mois d’attente et d’excitation et en plus, on joue plutôt bien, mais perdre de cette façon m’a fait perdre tout mon intérêt dans ce tournoi.»
Les Ecossais ne passent pas si loin de la qualification lors du match contre la Suisse, qu’ils remportent 1-0. Toutefois, l’unique but néerlandais contre les Anglais (4-1 au final) met fin aux espoirs. L’Ecosse termine 3ème du groupe, à égalité de points avec les Pays-Bas qui leur passent devant grâce aux buts marqués.
Ce 18 juin 2021 ne sera pas une revanche. Ou plutôt chaque match est la revanche du dernier. Et la dernière fois que les deux équipes se sont affrontées, ça s’est terminé sur un 2-2 de folie où l’Ecosse a bien cru l’emporter.
Il faudra bien cette folie ainsi que le sérieux de la première mi-temps du match de 1996 pour y croire. C’est l’Ecosse. Tout est possible. Tant que le paranormal se tient éloigné de Wembley cette fois…
[1] Mike Gibbons, «Jocks. Piss on them. Summer. Full Stop.», Nutmeg, N°2, décembre 2016.