Interview – Neil Farrugia, franco-irlandais et international U19

Aussi élégant en dehors que sur le terrain, entretien avec Neil Farrugia, le milieu de terrain de l’UCD, tout frais champion d’Irlande de deuxième division, international irlandais U19 et brillant étudiant en sciences biomédicales.
Salut Neil, Merci de nous consacrer un peu de temps dans ton emploi du temps très chargé. Peux-tu te présenter aux lecteurs de TLMSF ?
Je suis franco-irlandais, mon père est français, ma mère est Irlandaise. J’ai 19 ans, je suis étudiant à l’UCD (University College Dublin), et je suis aussi footballeur pour l’équipe de l’UCD. Je suis né à Paris, j’ai vécu jusqu’à l’âge de 7 ans en France avant de déménager avec mes parents à Dublin où j’habite toujours aujourd’hui. Donc toute mon expérience de footballeur s’est faite en Irlande.
Raconte nous ton parcours en Irlande.
J’ai commencé le foot tout jeune dans le club local de St James qui joue le championnat «Sud de Dublin», mon père était entraîneur là-bas. Rapidement, je me suis dirigé vers un club plus huppé, St Josephs qu’on appelle ici “Joeys”, pendant 5 saisons, mes années collège. Puis j’ai signé dans un bon club formateur, le Belvedere FC pour une saison. Après une année aboutie, je me suis engagé en U17 avec l’UCD, j’ai gravi les échelons jusqu’à l’équipe senior cette année.
Tu passes donc une saison au Belvedere FC, un club très réputé pour sa formation. Une dizaine d’internationaux irlandais sont sortis de ce club. Pourquoi ce club est si particulier ?
Ma dernière saison avec Joeys, j’ai affronté plusieurs fois Belvedere FC, ils me fascinaient par leur style de passes rapides et jeu au sol. Ce club correspondait exactement à mon état d’esprit, c’était le club parfait pour progresser et il se trouve proche de chez moi. Cette saison avec Belvedere a été déterminante dans mon apprentissage du foot, j’étais entouré de jeunes joueurs de haut niveau qui ont signés dans des bons clubs anglais par la suite et des techniciens dotés d’une exigence et d’une connaissance pointue du football.
À 16 ans, tu décides de terminer ta formation à l’UCD, ou tu évolues toujours aujourd’hui. Comment s’est passé ce changement de club ?
L’UCD venait d’ouvrir sa section U17. Avant 2015, le club proposait seulement des équipes U19 et seniors. De mon côté, comme les autres joueurs de mon âge, je cherchais un club de “League Of Ireland” (les clubs de première et deuxième divisions) pour terminer ma formation en U17 puis U19. Le club de St Patrick’s Athletic souhaitait me signer, ayant un partenariat avec Belvedere. Mais ce club est situé loin de chez moi et je pensais aussi à mes futures études, car j’ai toujours voulu associer l’université et le foot. Naturellement, je me suis tourné vers l’UCD qui associe parfaitement foot et études, car c’est un club universitaire. En plus, le campus est à 5 minutes de chez moi.
Aujourd’hui tu évolues avec l’équipe senior de l’UCD, qui vient de gagner le titre de deuxième division. On te voit sur les réseaux sociaux tout sourire avec le trophée. Un titre de champion à 19 ans, félicitations !
Oui merci beaucoup. Cette aventure avec les seniors avait mal commencé. En début de saison je me casse la clavicule. Ma convalescence a été longue, 5 mois d’arrêt. J’ai manqué plus de la moitié de la saison. Une période pendant laquelle j’ai beaucoup travaillé mon endurance, ma technique avec le ballon, le renforcement musculaire, mais pas le droit au contact pour protéger mon épaule, donc pas d’entrainement collectif.
Pour l’anecdote, le jour où le kiné me donne le feu vert pour jouer, le coach me convoque, mais l’équipe est déjà partie en déplacement, match à l’extérieur à Finn Harps. Je monte dans la voiture de mon père qui m’emmène au match, à 250km au nord de Dublin.
Durant tout le reste de la saison, à force d’entraînements acharnés et d’abnégation, l’entraîneur me récompense avec des entrées en jeu régulières, jusqu’à ce que je devienne titulaire. Cela a correspondu à une période faste pour l’équipe, on enchaîne les victoires et je m’installe dans le 11 de départ, avec quelques buts à la clé, jusqu’au titre de champion. Une fin d’année magnifique.
La saison prochaine, c’est la première division irlandaise pour l’UCD, qui veut dire University College Dublin. L’équipe est constituée à 100% d’étudiants, le stade est dans le campus. Peux-tu nous en dire plus ?
C’est le seul club en Irlande qui a cette culture sport et études. Les entraînements sont le soir à 18h après les cours. C’est la plus grosse université d’Irlande cela serait trop compliqué d’adapter les cours pour seulement quelques footballeurs, c’est donc le club qui s’adapte aux heures de cours. C’est important que les études soient prioritaires.
En France, on a une vision très floue de la deuxieme division irlandaise. Quel est le niveau, les joueurs sont-ils pros, ont-ils un travail en parallèle ?
On trouve un mélange de joueurs d’expérience en fin de carrière et de jeunes joueurs comme moi qui recherchent à progresser, pour évoluer à l’échelon supérieur les saisons futures. De ce fait, le niveau général est plutôt bon.
Les joueurs ne sont pas professionnels, ils sont footballeurs à mi-temps avec des entraînements le soir et un boulot ou des études en journée. Quelques clubs ambitieux engagent des joueurs pro à temps plein, mais cela reste des exceptions.
Pour revenir à l’UCD, club universitaire, quels types de supporters viennent au stade ? Et quelle est l’ambiance ?
Pour être honnête, on attire peu de supporters. En déplacement, à peine 5 ou 6 fans nous suivent. À domicile, les spectateurs sont des fans de foot qui veulent voir un match le weekend, par exemple des étudiants du campus ou des habitants du quartier. La seule exception cette année, notre match pour le titre, le stade était à guichets fermés avec énormément d’étudiants venus mettre la grosse ambiance, ça changeait de d’habitude.
Tu as passé ton bac l’année dernière, tu entames ta deuxième année d’études en sciences biomédicales. Comment tu gères sport et études ?
Depuis toujours, j’ai vécu en jonglant entre études et foot donc pour moi, c’est la norme. Passer ma journée en cours ou à la bibliothèque puis m’entraîner le soir, ça m’a toujours plu. Je pense souvent que cet équilibre me rend meilleur à la fois sur les bancs de la fac, mais aussi sur le terrain. Je ne te cache pas que je manque la plupart des sorties avec les potes, mais je suis heureux avec ma vie actuelle. Et puis je trouverai quand même quelques soirées à la fin de la saison.
As-tu des activités hors foot et études ?
Je suis un passionné d’œnologie et d’histoire du vin. J’ai passé des diplômes dans ce domaine. Je suis vendeur et conseiller dans une boutique de vin quelques heures par semaine. Pendant les vacances, j’ai plus le temps de m’y consacrer, mais depuis la rentrée universitaire, je ne travaille qu’une journée par semaine à la boutique. Je m’interdis de boire en semaine, mais je m’autorise un petit verre le weekend, c’est ma règle.
Quel est ton quotidien, ta journée type ?
Je vais à l’université tous les matins à 9h. Lorsque j’ai des longues pauses entre 2 cours, je profite de la salle de sport. Une fois par semaine j’ai des cours pratiques au labo de la fac, c’est une journée intense. Les soirs, je m’entraîne à 18h. Après le foot, direction la maison, dîner et au lit (rires).
Peux tu décrire la vie d’un joueur de foot à Dublin ? Est ce qu’on te reconnaît dans la rue, tu es la star du campus comme dans les universités américaines ?
Ah non, ça n’est pas du tout comme dans les campus américains. Cela arrive rarement qu’on me reconnaisse. Le football en Irlande est un sport mineur comparé au rugby ou aux sports gaéliques. Dans le campus ou en soirée lorsqu’on me reconnaît, c’est très sympa, on prend des nouvelles sur ma saison, sur le championnat.
La montée en première division la saison prochaine annonce un changement de rythme avec des entraînements plus soutenus. Ta vie va encore s’intensifier.
Obligatoirement, les charges d’entraînement vont augmenter, en quantité et qualité. Les coachs vont mettre en place plus de séances vidéos, une préparation physique poussée pour gérer les matchs avec une grosse intensité. Forcément, je vais adapter mon quotidien, notamment réduire mes heures de travail à la boutique de vin.
Tu es un grand espoir du football irlandais. Après avoir brillé en Youth League avec l’UCD la saison dernière, tu es devenu international irlandais U19.
Jouer avec l’Irlande était mon rêve, revêtir ce maillot, c’est juste magique. J’avais effectué plusieurs stages de pré-sélection sans être convoqué. Mes belles prestations en Youth League m’offrent finalement une convocation. Les premiers matchs je ne rentre pas, puis avec le jeu des blessures, je me retrouve titulaire contre Chypre, on gagne 5-0, un match énorme. Puis je suis reconduit contre la Serbie, je fais le match parfait, une passe décisive et je marque le but de la victoire. J’ai du mal à en parler sans avoir le sourire. Pour mon dernier match avec l’Irlande, je joue avec une sélection “homebase”, uniquement des joueurs du championnat irlandais. Le coach me montre une grande confiance en me mettant capitaine, malheureusement, c’est pendant ce match que je me casse la clavicule.
La prochaine étape, international U21 ?
À partir de la saison prochaine je suis éligible pour la sélection U21. C’est un niveau bien au-dessus car la majorité des joueurs évoluent déjà au haut niveau, souvent en Angleterre. Avec notre montée en première division j’espère avoir plus de visibilité et devenir international U21, ça serai toujours un rêve pour moi.
Tu as aussi reçu une récompense individuelle du School Player of The Year. Un titre obtenu par le passé par des grands joueurs irlandais. À quoi correspond ce trophée ?
Je jouais pour l’équipe d’Irlande des lycées. On fait un tournoi contre l’Irlande Du Nord, le Pays de Galles et l’Angleterre. J’ai effectué des bons matchs avec plusieurs buts et passes décisives, des prestations qui m’ont offerts cette récompense individuelle.
Tes débuts internationaux ne sont pas passés inaperçus, des clubs anglais t’ont approché. En Irlande, tous les gamins rêvent de partir dans les centres de formations en Angleterre. Qu’est-ce qui t’a poussé à rester à Dublin ?
Cette question, on me la pose très souvent. À 15 ans, je me disais, “je veux être pro, je veux partir en Angleterre”. J’ai rapidement réalisé que les études m’intéressaient, qu’il n’y a pas que le foot dans la vie et qu’il est possible d’associer les deux. Dès mon arrivée à l’UCD j’ai adoré ce mode de fonctionnement. Apprendre toute la journée et m’éclater au foot le soir, c’est la vie idéale pour moi.
C’est vrai, lorsque des clubs anglais m’ont contacté ça me fait réfléchir, mais j’ai pris le temps, j’ai discuté longuement avec mes proches, et j’ai décidé de rester. Je souhaite obtenir au moins ma licence à Dublin, ensuite, je pourrais devenir footballeur professionnel, me faire plaisir, et commencer un Masters après ma carrière de joueur. En plus, je ne voulais pas partir en Angleterre pour jouer en U23. Je préfère évoluer en senior, me développer physiquement. Je pense qu’un joueur de mon âge va plus vite progresser en jouant contre des adultes.
On voit beaucoup de joueurs irlandais tenter l’aventure en Angleterre, et revenir au pays en ayant échoué. Quel est ton sentiment ?
Franchement, ça me fait mal au cœur. Des joueurs avec un grand potentiel qui rentrent en Irlande sans avoir pu signer pro, pas de diplôme, même pas le bac, ils ne trouvent pas de boulot, des situations très compliquées.
Ici, tu as le confort de vivre avec tes parents, est-ce primordial pour ton équilibre alors que beaucoup de footballeurs quittent le cocon familial pour partir en centre de formation ?
C’est essentiel d’avoir un équilibre familial à mon âge, ça aide vraiment. Parfois après un match compliqué ou une défaite, j’ai le moral à zéro. Je rentre chez moi et tout est oublié, j’ai le réconfort de mes parents, ma mère me fait un bon repas et tout va mieux.
Si tu dois choisir, footballeur en Prermier League ou chercheur renommé en biomédical ?
Question difficile (rire)… Je peux choisir les deux, non ? Allez, j’opte pour la Premier League, car je peux faire une belle carrière de chercheur plus tard, après 35 ans, tandis que le football n’attend pas les années. Aujourd’hui, je mets les études en avant pour avoir une base, mais j’ambitionne dans les prochaines années de passer footballeur professionnel.
Tu es franco-irlandais, tu vis depuis l’âge de 7 ans en Irlande, quelles sont les avantages de cette double culture.
Sur le terrain, j’aime penser que je joue avec une vista et des idées plus françaises qu’irlandaises. Peut être que je joue avec un air français, un peu plus technique que le footballeur irlandais. Et après le titre de Champion du Monde, je venais à l’entraînement tous les jours avec le maillot des Bleus, c’était ma fierté. Au quotidien, je pense que cela m’aide dans mon ouverture d’esprit, ma curiosité sur plein de sujets, et ça facilite le contact, les gens sont parfois curieux de ma culture franco-irlandaise.
Lors de tes interviews, les médias irlandais ne manquent pas de souligner tes racines françaises, par quelques blagues, on te demande quelques mots en français, tu joues le jeu.
Oui, ça me fait toujours plaisir que les journalistes s’intéressent au fait que je sois à moitié français, je suis fier de cette double nationalité. De plus, j’ai des grand-parents maltais et espagnols donc une famille très internationale.
Est-ce ta premier interview en Français aujourd’hui ?
Oui, une grande première. Avant l’interview, j’étais un peu… (ndlr: il cherche ses mots.) car je parle uniquement français avec mon père au quotidien. Mais tout se passe pas mal pour l’instant.
Est ce que tu rentres en France de temps en temps ?
Parfois, oui. Mes parents ont une maison de vacances dans le Limousin proche de Limoges, on s’y rend tous les étés sauf cette année car j’étais en pleine saison de championnat avec l’UCD. Quelques fois par an, je descends à Paris voir mes grands-parents et mes cousins. Paris est une ville magnifique, j’adore y passer mes vacances.
Tu n’as jamais été approché par un club français ?
Non jamais, et je ne crois pas qu’il y ait un seul recruteur français en Irlande.
Si tu es appelé en équipe de France jeune, tu feras face à une décision compliquée.
On me pose la question tous les jours, mes potes me titillent tout le temps avec ça. C’est difficile, ayant effectué ma formation en Irlande, les entraineurs et sélectionneurs qui m’ont toujours fait confiance ici, partir jouer pour la France serait une forme de trahison, une trace négative. Bien sûr, je suis aussi français, mais lorsque je rentre sur un terrain, je me sens plus irlandais. On peut comprendre que pour ma carrière, jouer avec les bleus, est plus attractif, mais le choix du cœur sera l’Irlande.
Est ce que tu connais les autres joueurs français qui évoluent en Irlande ?
J’ai eu l’occasion de jouer en cup face au Waterford de Bastien Hery. Lorsque j’ai vu son nom sur la feuille de match, je me suis posé la question et quand je l’ai entendu dans les tribunes avant la rencontre, il parlait français. C’est un super joueur, très efficace qui fait beaucoup de mal aux défenses adverses. Je n’ai pas encore joué face à Achille Campion, l’attaquant de St Patrick’s Atheltic. Peut être la saison prochaine en championnat.
En France, en Angleterre ou ailleurs, quel club tu supportes ?
Je suis un grand fan de Chelsea depuis tout petit. Il n’y a pas d’explication particulière. Avec mon père tous les ans pour noël, on essaye d’aller voir un match à Stamford Bridge.
Quel est le plus beau stade dans lequel tu as joué ?
Lorsque j’étais tout jeune avec l’école de foot, on est parti en tournoi à St Etienne, à Geoffroy Guichard mais on évoluait sur demi-terrain. Sinon plus récemment en YouthLeague avec l’UCD, on a joué à Molde en Norvège. Un super club avec des magnifiques installations. Je n’ai encore jamais foulé la pelouse de l’Aviva Stadium de Dublin, mais j’espère bientôt, en finale de Cup ou en match international.
Ta plus grande émotion, ton plus grand souvenir dans le foot ?
Le titre de champion de deuxième division. C’était la première fois que je ressentais un tel bonheur, une fierté de gagner un trophée, de terminer premier ! Je n’arrive pas à le décrire.
On termine avec un France vs Irlande.
Football gaélique ou handball ?
Plutôt handball, j’aime regarder l’équipe de France pendant les Jeux olympiques. Les sports gaéliques, ça ne m’intéresse pas du tout, je ne suis pas trop irlandais sur ce coup là.
Le trèfle ou le coq ?
Le trèfle
Roy Keane ou Patrick Vieira ?
Allez, plutôt Roy Keane
Lacs du Conemara ou la Cote d’azur ?
Cote d’Azur, sans hésiter.
Irish Breakfast ou Pain au chocolat ?
Ah ah, pain au chocolat, tous les jours !!
Pinte de Guinness ou verre de vin ?
Verre de vin, of course
Dublin ou Paris ?
Je dirais Paris, très belle ville
Un message à nos lecteurs pour leur donner envie de suivre le football irlandais ?
Ici, en football, il y a un “willing to fight” que je n’ai jamais vu dans les autres championnats. Chaque match est une bataille avec des joueurs qui donnent tout.
Dernière question, est ce que tu peux nous dire quelque chose en gaélique irlandais ?
Is buachaill maith mé = Je suis un bon garçon. (rires)
Un grand merci Neil pour ta bonne humeur et ta disponibilité. Rendez-vous la la saison prochaine en première division. En attendant, bonne année universitaire à l’UCD.
Cette interview a été publiée sur le site http://www.toutlemondesenfoot.fr/ par Sébastien Berlier, le 28 Septembre 2018.