Yannick Makiese : »J’ai décidé d’arrêter le foot pour me concentrer définitivement sur ma vie professionnelle »

Originaire de la région parisienne, Yannick Makiese n’est aujourd’hui plus footballeur semi-professionnel. Malgré une aventure en Angleterre enrichissante et passionnante, l’ancien gardien de Merstham, Staines ou encore South Park a décidé de ranger les crampons l’année dernière. Une décision mûrement réfléchie pour celui qui a été aussi diplômé d’une université londonienne. Rencontre.
Les premiers pas en région parisienne
Je crois avoir commencé le foot à l’âge de 5 ans. J’ai quatre grands frères et ils jouaient tous au foot, mes cousins aussi. C’était donc plus par passion et envie de les suivre. Je n’avais pas au début l’ambition de devenir footballeur professionnel. Je voulais prendre du plaisir et faire plus ou moins comme les membres de ma famille. Je jouais à Arpajon, en tant que milieu de terrain si je me souviens bien. Puis, j’ai rejoint ensuite Dourdan jusqu’aux U13.
Le poste de gardien ? Un jour, notre gardien s’est blessé lors d’un tournoi de futsal. À ce moment-là, j’étais fatigué et j’avais la flemme de continuer sur le terrain. Je ne voulais pas trop courir (sourire). Le coach a demandé un volontaire pour aller au but et je me suis désigné. Le tournoi a repris et j’ai arrêté tous les ballons. Je me sentais vraiment à l’aise dans les buts. Le tournoi se termine, et de mémoire, on avait terminé 4e ou 5e. La semaine d’après, je m’attendais à reprendre ma place au milieu de terrain et le coach me dit de retourner dans les cages. Voilà comment je suis devenu gardien de foot (rires).
Le club était réputé pour être l’un des meilleurs en Ile-de-France et donc, je sentais le niveau s’élever. On rivalisait avec des clubs pros en U16
J’ai quitté Dourdan et j’ai rejoint Etampes en U13, j’y suis resté un an. Puis, Linas Montlhéry m’a recruté pour jouer avec les U13 DH. Je suis resté deux ans et l’équipe est montée en U14 fédéraux. J’ai ensuite rejoint Brétigny pour y évoluer avec toutes les catégories de jeunes : des U15 DH aux U19 DH. Le club était réputé pour être l’un des meilleurs en Ile-de-France et donc, je sentais le niveau s’élever. On rivalisait avec des clubs pros en U16. J’ai encore des amis qui jouent là-bas ou qui sont passés pros.

Un centre de formation ? J’avais fait un essai lorsque j’étais en U13 avec Linas Montlhéry pour intégrer le centre de formation du PSG. Mais les mecs étaient impressionnants, balèzes, baraqués… Moi je n’étais pas si grand que ça (sourire). Avec le recul aujourd’hui, cette opportunité n’était pas vraiment concrète. Je sentais qu’il me manquait beaucoup de choses. J’avais du retard sur les mecs du PSG pour être honnête.
Après Brétigny, j’ai joué un an à Yerres. À l’époque, je n’habitais pas du tout dans ce coin de l’Essonne. Je vivais à Dourdan qui est à environ 1h15 en voiture de Yerres. J’avais le permis, mais pas de voiture. J’étais obligé de prendre celle de mes parents. Au début, je jouais avec l’équipe première, mais du fait des blessures, j’ai été ensuite rétrogradé avec la deuxième équipe. C’était difficile à avaler. Je faisais parfois 2h de route pour aller à l’entraînement et au final, le week-end, je jouais contre des petites villes (soupir).
L’Angleterre, je veux l’avoir et je l’aurais
Mon année à Yerres ne s’était pas bien passée et j’avais besoin de changement. Je venais d’avoir également mon DUT. Un de mes grands frères vivait à Londres. Je décide donc de l’appeler pour lui expliquer mon envie de venir ici. Depuis Dourdan, j’avais envoyé des CV à des clubs anglais de la cinquième à la huitième division, je dois encore les avoir sur mon téléphone (rires). Sur le CV, j’avais dû mettre une photo de Brétigny ou Yerres, mon nom, mon prénom, une vidéo d’un de mes arrêts filmé par le téléphone de mon frère. Je traduisais tout avec Google Traduction. C’était vraiment pitoyable.
À ce moment-là, je pensais que je parlais pas au coach. Je ne comprenais pas vraiment tout ce qu’on me disait
Je recevais beaucoup de refus ou alors les gens ne répondaient même pas. Jusqu’au jour où le secrétaire d’un club m’avait répondu et proposé de faire un essai. Il travaillait pour Dunstable Town FC qui jouait en Southern Football League Division One Central (D8). À ce moment-là, je pensais que je parlais au coach. Je ne comprenais pas vraiment tout ce qu’on me disait (sourire). Il me proposait de faire toute la pré-saison avec le club. J’ai accepté et je me suis rendu là-bas. Je payais l’hôtel à côté. Au bout d’un mois, la décision tombe et Dunstable m’annonce que je ne suis pas conservé.
J’ai continué de contacter ensuite des clubs. Je faisais des va-et-vient entre la France et l’Angleterre. Puis, un autre club m’a contacté quelques semaines avant la reprise. Il s’agissait d’Arlesey qui évoluait en Southern Football League Premier Division (D7). Je m’entraîne avec le club et finalement, je signe en juillet 2013.

J’avais la chance de côtoyer à l’entraînement un Français qui venait de Paris et un Belge. Je restais la majeure partie du temps avec eux. Mais ce n’était pas si facile au début. Je n’avais pas de voiture sur place et je vivais à Londres, tout comme deux joueurs espagnols de l’équipe. Pour aller à l’entraînement, on devait se rendre à Richmond, à l’ouest de Londres, où habitait le coach adjoint. Il nous donnait rendez-vous à domicile et nous emmenait en voiture jusqu’à Arlesey qui est à une heure de Londres.
À Arlesey, il n’y avait pas d’entraîneur des gardiens. Je m’entraînais avec les joueurs. Je servais presque de cobaye en quelque sorte
De chez moi à l’entraînement, je mettais deux heures, car j’habitais à Croydon. Je faisais Croydon-Richmond en une heure, puis Richmond-Arlesey avec le coach adjoint et mes deux coéquipiers. En plus, je n’étais que le deuxième gardien. Je ne jouais même pas titulaire (soupir). Ce qui était aussi difficile à Arlesey, c’est qu’il n’y avait pas d’entraîneur des gardiens. Je m’entraînais avec les joueurs. Je servais presque de cobaye en quelque sorte… Je devais parfois aller dans les buts pour un exercice et arrêter les tirs. Au final, je n’y suis resté qu’un an. Je n’ai pas fait beaucoup de matches avec Arlesey, mais je me souviens particulièrement de l’un d’eux. De mémoire, c’était ma première rencontre avec l’équipe. Mais j’ai presque envie de l’oublier (sourire). Ce jour-là, il y avait un vent pas possible. Lors de la première mi-temps, on joue contre le vent. Je ne pouvais pas faire un seul dégagement en fait (rires). Quand je dégageais, le ballon revenait dans mon sens, il ne passait pas les six mètres (rires). Aujourd’hui, je m’en fous complètement, mais à la mi-temps, on devait perdre le match 0-5 je crois. C’était un match horrible (rires). Le terrain était pourri…
Tout à l’heure, on parlait d’isolement et quand tu es gardien justement, tu es isolé et à l’écart du groupe. Donc, quand tu fais des erreurs ou que cela ne va pas, il n’y a personne pour te dire : “Allez Yannick, ce n’est pas grave”. Tu es vraiment dans ta bulle. Et ça, c’est très difficile en fait. Tu as 20 ans, tu te prends quatre ou cinq buts et personne ne vient te voir pour te réconforter. Tu fais une erreur, c’est de ta faute. À l’inverse, si un joueur de champ fait une erreur ou rate un contrôle, tu as toujours quelqu’un qui va lui dire que ce n’est pas grave et l’encourager. Quand tu es gardien, il faut être fort mentalement pour encaisser cet isolement.
Les gardiens anglais ont une manière de travailler très différente de la formation française. En plus, ils sont tous très grands, baraqués et impressionnants
Pour être honnête, je ne me rappelle même plus comment était le gardien. De mémoire, il était en prêt et donc, il ne s’entraînait pas avec nous, mais avec son autre club. En règle générale, dans tous les clubs où je suis passé, il y a toujours eu une bonne ambiance avec les gardiens. Mais il y a une chose qui m’a particulièrement impressionné chez les gardiens anglais. Lorsque je suis arrivé en Angleterre, je me suis dit que les gardiens n’étaient pas bons (sourire). J’avais cette image des gardiens anglais qui font des boulettes, alors que nous les Français, nous étions plutôt bons.
Je me suis rendu compte finalement qu’ils étaient tous très bons en réalité. Ils ont une manière de travailler très différente de la formation française. En plus, ils sont tous très grands, baraqués et impressionnants. Moi, à l’époque, je n’étais pas si grand que ça et assez mince. En plus, je ne parlais pas super bien anglais et pour communiquer, c’était difficile.

À Arlesey, je n’ai pas pu ressentir véritablement le niveau de la septième division car je ne jouais pas beaucoup. J’ai pu davantage le voir lors de mes trois années à Merstham. Quand je suis arrivé, le club était en huitième division. À la fin de ma première saison, nous sommes montés. En montant en septième division, j’ai pu me rendre compte que certains clubs avaient un excellent niveau. Ils pouvaient largement jouer en National League ou en League Two. Je peux citer l’exemple de Dulwich qui a de nombreux fans et qui recrutent énormément de joueurs issus des divisions supérieures.
Il y avait un grand écart de niveau entre les six premières équipes de la septième division et les six dernières
En revanche, ils nous arrivaient de jouer contre des équipes qui n’avaient pas du tout le niveau (sourire). Il y avait un grand écart de niveau entre les six premières équipes de la septième division et les six dernières. J’étais aussi impressionné par la structure de la septième division et les salaires que percevaient certains joueurs. Les mecs jouaient quelques semaines plus tôt en quatrième ou en cinquième division, mais ils continuaient de bien gagner leur vie.
La vie de deuxième gardien
En 2014, j’ai décidé de quitter Arlesey. À ce moment-là, j’ai refait exactement la même chose que lors de mon arrivée en Angleterre, j’ai envoyé des CV à plusieurs clubs. Après de multiples envois, le coach adjoint de Merstham m’a renvoyé un mail, ou m’appelle, je ne sais plus. Il me demandait de venir à un entraînement. J’y vais, je sors des parades de fou et je signe le soir même. D’ailleurs, c’est l’un des gros avantages des divisions inférieures, tu peux signer hyper rapidement. Mais en allant là-bas, je savais très bien que je signais en tant que deuxième gardien. Du coup, j’ai rapidement été envoyé en prêt à Dorking.
Ça s’était super bien passé. Le premier match que je jouais, on l’avait gagné 3-0. J’avais fait un bon match. Lors du deuxième match, si je me souviens bien, on fait 2-2. Mais je n’ai joué que trois ou quatre matches avec eux. Au bout du quatrième, le coach de Merstham m’a rappelé. J’étais venu à Dorking pour remplacer le gardien titulaire qui était blessé en fait. Avec le recul, j’aurais peut-être dû faire le forcing pour rester à Dorking car à Merstham, je ne jouais pas. J’étais le deuxième gardien là-bas et c’était difficile pour moi d’avoir du temps de jeu. Finalement, je retourne à Merstham et lors d’une de mes saisons, on a notamment remporté la Surrey Senior Cup.
Jamais les clubs par lesquels je suis passé en Angleterre ne m’ont fait vraiment confiance
Malgré tout, j’étais frustré car je n’avais dû faire qu’un match dans cette compétition. C’est d’ailleurs un peu le bilan de ma carrière en Angleterre. Jamais les clubs par lesquels je suis passé ne m’ont fait vraiment confiance. À Merstham, je n’ai pas senti une seule fois qu’ils comptaient sur moi pour être le numéro 1. Certes, on a gagné des trophées, on a connu la montée, mais les gens n’allaient pas se souvenir de moi.
C’était surtout difficile à vivre pour les membres de ma famille. Mon frère qui vit à Londres n’a jamais vraiment eu la chance de me voir jouer. Il n’allait pas venir pour me voir sur le banc non plus. Au fil des années, je me suis rendu compte que pour réussir dans les divisions inférieures, il fallait deux choses : avoir un bon jeu au pied et être bon dans les airs, mes points faibles en fait. Mon jeu au pied n’était pas extraordinaire et dans les duels aériens, je me faisais parfois bouffer à cause de ma corpulence. En dehors de ça, j’étais plutôt bon. Aux entraînements, je faisais beaucoup d’arrêts. Mais cela ne suffisait pas pour commencer des matches.

À Merstham, le gardien numéro un n’était pas bon aux entraînements. Il se prenait des buts à la pelle, mais il avait un jeu au pied exceptionnel. Il avait une longueur d’avance sur moi. Puis, il y avait aussi la langue qui rentrait en ligne de compte. Il savait bien communiquer et diriger sa défense. Moi, hormis dire “à gauche”, “à droite”, “j’ai”, “attention”, je ne savais pas trop donner de directives. Il fallait être fort mentalement pour accepter cette situation.
Au bout d’un moment, ça m’ennuyait de toujours prendre le train alors que les autres joueurs avaient une bagnole. Je me suis donc acheté une voiture uniquement pour éviter de prendre tout le temps
Lors de ma première année là-bas, je travaillais à plein temps dans un restaurant qui s’appelait Nando’s. À côté, j’apprenais l’anglais dans un collège. Nos entraînements étaient le mardi soir, le jeudi soir et le match se déroulait le samedi. Mais ça arrivait de temps en temps d’avoir deux matches par semaine, le samedi et le mardi. Je m’arrangeais pour ne pas travailler ces jours-là. Pour les cours d’anglais, c’était plutôt facile de s’organiser car ils se déroulaient le lundi matin et le mardi matin.
Contrairement à Arlesey, j’avais l’avantage d’avoir un train qui partait directement de Croydon (un quartier sud de Londres) pour aller à Merstham. Sauf qu’au bout d’un moment, ça m’ennuyait de toujours prendre le train alors que les autres joueurs avaient une bagnole. Je me suis donc acheté une voiture uniquement pour éviter de prendre tout le temps le train. J’ai vraiment charbonné au restaurant pour pouvoir l’obtenir, quitte à faire des heures supplémentaires. Ça m’a facilité la vie ensuite.
« L’entraîneur des gardiens de Staines ne me voulait pas »
En juillet 2016, j’ai décidé de quitter Merstham pour Staines, là encore en septième division. J’avais déjà fait un essai dans ce club avant de rejoindre Merstham. C’est à ce moment-là que j’avais rencontré Stéphane Ngamvoulou (Maldon & Tiptree/D8) et Christopher Mboungou (Haguenau/National 2). On avait sympathisé car ils étaient tous les deux Français et d’origine congolaise comme moi. Ils avaient également vécu en région parisienne. On avait finalement beaucoup de points communs. Stéphane avait pas mal de contacts et je l’avais recontacté pour savoir si c’était possible de faire un nouvel essai à Staines.

Ce n’était pas forcément une logique, mais tous les joueurs français qui étaient passés par Staines avaient laissé une bonne trace. En plus, tout le monde savait dans l’équipe que j’étais venu par le biais de Stéphane. Ils pensaient sans doute que j’étais même son ‘petit protégé’. Après, cela m’a-t-il avantagé ? Je ne pense pas. J’avais également d’autres possibilités. Stéphane m’avait proposé de faire un essai à Grays. J’étais plus tenté d’y aller car j’avais plus de chances de jouer. Mais Stéphane m’a convaincu que Staines était le bon club pour moi. Il avait une stabilité financière beaucoup plus forte que Grays. Mais problème, l’entraîneur des gardiens ne me voulait pas. Il disait que je n’étais pas si bon que ça. Il avait clairement des doutes sur mon niveau.
Je suis allé voir le coach pour lui annoncer que j’arrêtais le foot afin de me consacrer à mes études
En revanche, le coach pensait tout l’inverse. Il disait que j’étais bon aux entraînements et que j’avais de l’expérience en septième division. Je pourrais donc être un bon ‘deuxième gardien’ encore une fois. Au final, je signe quand même à Staines. Vers la mi-saison, je suis confronté à un dilemme. À l’époque, je rentrais dans ma dernière année d’études à l’université. Le niveau s’intensifiait. Je n’arrivais plus vraiment à suivre les cours. Je suis allé voir le coach pour lui annoncer que j’arrêtais le foot afin de me consacrer à mes études. Il était déçu sur le moment, mais il avait vite compris les raisons de mon choix.
Une reprise de courte durée
Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai décidé de reprendre le foot en 2018. J’ai alors rejoint le club de South Park, toujours en septième division. Le coach de l’époque était l’ancien coach adjoint de Merstham. Il me connaissait depuis plusieurs années et j’étais resté en bons termes avec lui. Il m’avait contacté pour être, encore une fois, le deuxième gardien de l’équipe. J’avais quand même accepté. Je me rends donc là-bas, je fais la pré-saison avec eux et au bout de deux mois, le coach se fait virer à cause des mauvais résultats. Mais il retrouve quand même un point de chute en huitième division, à Egham. De nouveau, il m’appelle et il me dit : “Je te veux et là, tu seras le gardien titulaire”. Je le suis et je joue bien titulaire. À ce moment-là, j’avais un nouveau travail et, comment dire, ça ne passait pas super bien. Le foot me prenait trop de temps et Egham n’était pas à côté de Londres non plus (NDRL : la ville se situe à 1h20 de Londres).
Le club ne payait pas super bien. L’argent que je gagnais complétait à peine mes frais de déplacement
Je me suis alors dit : “Yannick, il y a des signes qui ne trompent pas, tu dois te focaliser sur le travail et mettre le foot de côté, comme l’année passée avec tes études”. En milieu de saison, je vais voir le coach et je lui explique que ça ne se passe pas bien au niveau de mon travail, je préfère me focaliser dessus et arrêter le foot. Il l’a très mal pris (rires). Il m’a dit : “Moi je te paie, tu n’as pas à t’arrêter comme ça, l’équipe joue le maintien”. Mais j’avais pris ma décision et en plus, le club ne payait pas super bien… L’argent que je gagnais complétait à peine mes frais de déplacement. C’était trop d’engagements pour finalement peu de retombées. J’ai donc décidé d’arrêter définitivement le foot et de me concentrer sur ma vie professionnelle.
L’intégration en Angleterre
Comme je l’expliquais, je prenais des cours dans un collège. Mais finalement, là où j’ai vraiment appris l’anglais, c’est quand je travaillais au restaurant. J’étais à la caisse alors que je ne parlais pas bien anglais et il m’arrivait aussi d’accueillir les gens au sein du restaurant. Tout cela m’a permis de parler en anglais, de comprendre la langue et d’apprendre des expressions de la vie courante. Au final, ça m’a bien servi. J’y suis resté un an. Quand j’ai commencé mes études à l’université, je travaillais aussi dans un hôtel en tant que réceptionniste, serveur et barman. J’ai appris l’anglais sur le tas.
Si tu demandes maintenant à des clubs s’ils se souviennent, je ne suis pas sûr qu’ils te répondent tous oui
Dans le foot, c’était par contre très différent. Si je n’allais pas vers les gens, ils ne venaient pas vers toi. Le problème, c’est que je suis très timide. Si tu demandes maintenant à des clubs s’ils se souviennent de moi, je ne suis pas sûr qu’ils te répondent tous oui. J’étais gardien, Français et surtout, noir. En Angleterre, tu ne vois pas un gardien de foot noir tous les jours (sourire). Avec tous ces aspects, c’était difficile pour moi de me faire des amis dans le milieu du foot. C’est surtout grâce au travail et à mes études que j’ai pu m’intégrer complètement dans la vie anglaise.
J’ai vite appris leur culture et leur façon de faire dans plusieurs domaines. Le foot m’a quand même bien aidé je l’avoue. Pour l’anecdote, lorsque j’étudiais à l’université, j’avais rencontré un joueur qui évoluait lui aussi dans les divisions inférieures. On avait beaucoup de points communs sur le foot et honnêtement, si je n’avais pas joué au foot ici, je n’aurais peut-être pas appris un certain type de langage. Cela va paraître bizarre, mais à l’époque, j’avais honte de mon accent français (rires). Je cherchais toujours un moyen de le dissimuler quand je parlais avec de nouvelles personnes. Jusqu’au jour où je me suis dit : “Qu’est-ce que tu en as à foutre ?” Si les gens reconnaissent mon accent français, ce n’est pas bien grave. Désormais, je n’ai plus cette honte de parler anglais avec mon accent français.
Diplômé d’une université londonienne
En 2015, après mon échec à Arlesey, j’ai décidé d’appeler ma mère pour lui dire que je voulais retourner en France car au niveau du foot, c’était difficile, la vie en Angleterre était compliquée. Mentalement, j’étais au plus bas. Elle m’avait répondu : “Mais pourquoi tu veux rentrer ? Tu reviens avec quoi ? Tu ne parles pas anglais, tu n’as pas de club de foot, tu ne fais rien”. C’est ma mère qui m’a poussé à rester et à recommencer mes études. Elle m’a fait comprendre qu’il n’y avait pas que le foot dans la vie. Je devais avoir 20 ou 21 ans à l’époque. Finalement, je décide de rester et je me renseigne sur des cours à l’université. Je trouve qu’une formation “Sport Business et Management” est dispensée à la London Metropolitan University. Mais pour l’intégrer, je devais réussir des tests d’anglais. Je les ai réussis et c’est comme ça que j’intègre l’université.

C’était un diplôme en trois ans. Il y avait un peu de tout. Elle englobait l’industrie du sport : le sport marketing, le sport et le développement dans la société, le droit du sport. Cette formation n’englobait pas uniquement le foot, mais aussi d’autres sports et comment fonctionnaient les fédérations internationales. C’était très enrichissant. Généralement, ici, la première année ne compte pas. Ce sont plus les deuxièmes et troisièmes années qui sont importantes. La deuxième année se passe pour le mieux et c’est en troisième année que les choses ont commencé à se corser pour moi. Comme je l’ai dit, j’ai dû mettre le foot de côté pour réussir et obtenir mon diplôme. C’est ce que j’ai fait et j’ai obtenu mon diplôme avec les honneurs, c’est-à-dire la mention très bien en France. Cela reste une grosse fierté. J’étais parti en Angleterre pour jouer au foot et finalement, je me retrouve avec un diplôme en poche.
Mon cousin Jérémie Bela, qui joue à Birmingham City, m’a mis en relation avec d’autres joueurs qui ont tous joués avec le pays d’origine de leurs parents
Dans le cadre de ma formation, j’ai également écrit un mémoire sur les bi-nationaux dans le foot africain. Ce sujet me touche personnellement car depuis mon arrivée à Londres, je me suis rapproché de la sélection nationale de la République Démocratique du Congo. Je regarde tous ses matches et je suis ses résultats à chaque trêve internationale. Je pense aussi que je les suis avec assiduité car certains joueurs sont nés en France, tout en ayant des origines congolaises. J’ai eu un mal fou à trouver un sujet pour être honnête. Dès que je proposais un sujet à mes professeurs, ils le refusaient. Mon ex de l’époque m’a alors dit de chercher des articles sur le site de la BBC pour m’inspirer. Je tombe alors sur un article qui dit que la FIFA va peut-être revoir les règles concernant les nationalités sportives. Je propose alors aux profs ce sujet et ils le valident.

Par contre, ils me demandaient d’interviewer cinq joueurs qui se trouvaient dans cette situation. Je leur réponds qu’il n’y avait aucun problème, alors que je ne connaissais personne (rires). J’appelle donc mon cousin, Jérémie Bela qui joue aujourd’hui à Birmingham City. Il était en pleine réflexion sur ce sujet, bingo. Il arrive à me mettre en relation avec d’autres joueurs qui ont tous joué avec le pays d’origine de leurs parents et qui m’ont expliqué pourquoi ils avaient fait ce choix.
Des stages en entreprise enrichissants
Mon premier stage, je l’ai fait à SNTV appartenant à IMG qui produit la Premier League. Je devais faire seulement trois mois là-bas et finalement, j’ai pu faire six mois. J’étais au poste d’analyste marketing. Je m’occupais de la veille concurrentielle. Concrètement, j’analysais ce que nos clients faisaient et j’établissais des rapports pour l’équipe de vente. SNTV est une entreprise qui a les droits pour toutes les interviews presse. Elle les vend ensuite à des chaînes internationales. Par exemple, si la chaîne l’Équipe diffuse une image d’une conférence de presse de Pep Guardiola à Manchester City, il se peut qu’elle vienne de SNTV ou de ses concurrents. C’était une belle expérience, dans le cadre du sport en plus.
Je ne voulais pas me retrouver dans la galère une fois mon diplôme universitaire obtenu
Personnellement, j’avais besoin de faire des stages une fois mon année terminée, quitte à rester à Londres pendant les vacances d’été. Je ne voulais pas me retrouver dans la galère une fois mon diplôme universitaire obtenu. Donc, lors de ma première année, j’ai fait un stage à Premier League Basketball. C’est une petite entreprise qui souhaite créer une ligue de basket professionnel en Angleterre. J’y suis resté deux mois. Puis, lors de ma deuxième année, comme je viens de le dire, j’étais à SNTV pendant six mois.
Aujourd’hui, je travaille pour BBC studios. En gros, je suis assistant commercial. BBC studios est la partie distribution de la BBC. Cette partie est totalement différente de BBC news, la partie que tout le monde connaît, qui est axée autour du journalisme. Notre travail est de produire et distribuer des documentaires, des séries à l’international. Moi, je m’occupe du marché français, c’est-à-dire que je vends des séries aux chaînes françaises comme France Télévisions, TF1, Canal +. C’est une belle expérience. L’an passé, j’ai quand même touché au milieu journalistique. Je travaillais pour BBC news Afrique, une autre branche de la BBC qui produit des journaux télévisions pour l’Afrique francophone.

Je pense beaucoup à mon avenir ici. Je suis en pleine phase de réflexion. Quand j’ai bossé pour BBC News Afrique, je me suis senti très à l’aise et le travail me plaisait. La partie commerciale reste quand même très importante pour la BBC. Si on me pose la question de savoir où je serai dans cinq ou dix ans, je ne suis même pas sûr de donner une réponse claire et précise.
La passion indéfectible des fans anglais
Elle est énorme dans tous les domaines. Quand je jouais à Merstham contre Dulwich, il y avait peut-être 2000 personnes dans le stade et 500 fans qui criaient et me déconcentraient derrière mon but. C’est quelque chose que tu ne verras jamais en France dans les mêmes divisions, que ce soit en CFA ou en CFA2. Ici, il y a une règle très importante. Si les matches de Premier League et de Championship qui sont joués à 15 h (16 h heure française) ne sont pas diffusés sur Sky Sports ou BT Sport, les chaînes détentrices des droits, c’est pour favoriser les gens à aller voir les clubs locaux dans les divisions inférieures anglaises, en Football League, en National League ou en Isthmian League qui, elles aussi, jouent à 15 h.
Personnellement, j’ai toujours été choqué par le nombre de personnes qui venaient voir nos matches. Je voyais des personnes âgées nous encourager dans le froid, sous la pluie
Si les diffuseurs et la Premier League programment un Chelsea-Liverpool à 15h, ils savent pertinemment que personne n’ira voir les matches locaux. Cela montre une vraie protection de leur patrimoine footballistique. Personnellement, j’ai toujours été choqué par le nombre de personnes qui venaient voir nos matches. Je voyais des personnes âgées nous encourager dans le froid, sous la pluie. Tu ne pourras jamais voir ça en France, ou très rarement. À ce sujet, il y a une ferveur qui est beaucoup plus importante au nord de l’Angleterre que dans le sud. Mais c’est normal et historique. J’ai appris lors de mes cours à l’université que le football s’est vraiment construit au nord du pays. C’est la raison pour laquelle certaines villes ont deux clubs comme Manchester, Liverpool ou Birmingham. Cela se ressent encore davantage dans les divisions inférieures. Un jour, j’avais fait un essai du côté de Manchester et il y avait une grosse dizaine de fans à l’entraînement. Je ne m’y attendais pas du tout (rires).
Certains joueurs touchaient des salaires assez incroyables en septième division. Ils pouvaient avoir 300 ou 400 pounds par semaine, c’est énorme à ce niveau
Ce qui m’a le plus marqué en septième division, c’est avant tout le professionnalisme. Quand je suis arrivé à Arlesey, le club se comportait comme un club professionnel en fait, à tous les niveaux. Ce qui m’a aussi choqué, c’est le fanatisme des gens pour leur équipe. Le mec qui tient la buvette est là depuis des années, même chose pour les secrétaires. Et puis, je me répète, certains joueurs touchaient des salaires assez incroyables en septième division. Ils pouvaient avoir 300 ou 400 pounds par semaine, c’est énorme pour ce niveau. Si en plus ces mecs travaillaient à côté, à la fin du mois, ils pouvaient toucher facilement 2000 pounds.

J’ai tellement d’anecdotes sur la septième division… (rires). Mais il y en a une belle contre Dulwich qui me vient à l’esprit. Je jouais titulaire et j’avais des centaines de fans derrière mon but qui me déconcentraient. Mais en réalité, j’avais l’impression d’avoir affaire à des enfants. Ils étaient là pour me déconcentrer. Le match se joue, ils commencent à me chambrer. Puis, à un moment donné, un fan a commencé à me parler sérieusement : “Hey gardien, hey gardien, tes lacets sont défaits”. Moi je savais que mes lacets n’étaient pas défaits (rires). Je n’arrêtais pas de me dire : “Yannick ne regarde pas, Yannick ne regarde pas”. Le mec continuait à répéter sa phrase. Et discrètement, j’ai commencé à regarder si mes lacets étaient bien noués. Là, tous les fans ont commencé à crier : “Ah il a regardé, il a regardé !” (rires). J’étais plié. Mais je n’avais qu’une seule envie, me retourner et leur dire : “Les gars, vous êtes des gamins” (rires). Finalement, cette anecdote illustre tellement les fans anglais, y compris en Premier League. Ce sont des enfants. Après, il y aura toujours des mecs un peu cons, des hooligans, des racistes, mais ce sont des enfants pour la grande majorité d’entre eux.
Le terrain était impraticable, mais quand même praticable pour eux (sourire). On ne voyait plus l’herbe. Il y avait de la boue partout
Les pelouses dégueulasses ? Il faut savoir qu’ici, peu importe si le terrain est praticable ou non, les arbitres vont toujours essayer de faire jouer le match. Un jour, on avait joué un match de coupe avec Merstham un mardi soir. Il avait plu toute la journée. Le terrain était impraticable, mais quand même praticable pour eux (sourire). On ne voyait plus l’herbe. Il y avait de la boue partout. Les arbitres avaient fait jouer le match. En fait, ils vont l’annuler uniquement si la pelouse est vraiment inondée. Ils font en sorte que tous les matches se jouent car les calendriers sont chargés et que c’est difficile de replacer un match reporté ensuite.
La pratique de la religion sur et en dehors du football
À chaque match, j’avais mon rituel. Je faisais ma petite prière avant le coup d’envoi de la partie. C’était vraiment une prière pour que je sois protégé et que le match se passe bien. Ce n’était pas une prière pour gagner le match à tout prix (sourire). On sait très bien que dans le foot, des mauvais moments peuvent arriver comme une blessure ou même plus dramatique, un décès. On a eu des cas de joueurs qui, malheureusement, sont morts sur le terrain dans ces divisions. Pour moi c’est primordial de pratiquer ma religion. Avant d’être footballeur, avant d’être étudiant ou d’être assistant commercial, je suis d’abord un chrétien. Dans la vie de tous les jours, je prends mes décisions en fonction de ma religion. Elle m’aide à être plus calme, plus détendu. La religion est primordiale pour moi, comme pour ma famille.
Au bout d’un certain temps, je me suis rendu compte qu’il fallait peut-être que j’adapte ma vie en fonction du chemin que Dieu me proposait
Je me suis rendu compte de quelque chose. À 20 ans, quand j’ai décidé de venir en Angleterre, ce n’était pas la volonté de Dieu. Dans le christianisme, la volonté de Dieu passe avant la volonté de l’homme. Il y a dicton qui dit : “L’homme propose, Dieu dispose”. À cette époque, c’était plutôt moi qui disposais plutôt que Dieu qui proposait. Mais c’est le problème de beaucoup de personnes. Elles forcent un chemin qui n’est pas le leur. Moi, c’était ça à l’époque. Je ne pense pas que le football était mon chemin direct. Au bout d’un certain temps, je me suis rendu compte qu’il fallait peut-être que j’adapte ma vie en fonction du chemin que Dieu me proposait. Aujourd’hui, je prends mes décisions en fonction des signes qui se présentent. Si un signe me dit : “Yannick, ce n’est peut-être pas le bon chemin où Dieu veut t’emmener”, j’arrête tout de suite. C’est sans doute pour ça que j’ai eu des facilités pour arrêter le foot. Quand j’ai arrêté le foot, j’ai eu un diplôme, un travail assez correct et finalement, je me suis dit que c’était peut-être le chemin que je devais emprunter. J’aurais très bien pu faire le forcing et continuer à jouer au foot, même encore maintenant. Mais ce n’était sans doute pas le chemin que Dieu m’avait réservé.
Entretien réalisé par Thomas Bernier et Téva Vermel à Croydon le lundi 3 février 2020
Yannick Makiese est à retrouver dans le webdocumentaire Outsiders : https://app.racontr.com/projects/outsiders/