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Sarri et le défi Chelsea

C’est désormais officiel, après une attente interminable Maurizio Sarri est enfin le nouvel entraîneur de Chelsea. Le toscan âgé de 59 ans qui sera accompagné de légende de Chelsea, Gianfranco Zola, s’est engagé pour deux années plus une en option avec le club londonien dans le cadre d’un deal avec Naples à hauteur de 57M€ (+ 8M de bonus) incluant le milieu de terrain italo-brésilien Jorginho. Antonio Conte est quant à lui licencié « pour faute grave » après deux saisons passées au club. L’affaire devrait se jouer devant les tribunaux. 

Le technicien s’apprête donc à reprendre une équipe qualifiée en Europa League et devra faire face à plusieurs chantiers importants. Projection.

Un changement de style en prévision

Bien que Maurizio Sarri soit le sixième entraîneur italien nommé à Chelsea depuis 20 ans (après Vialli, Ranieri, Ancelotti, Di Matteo et Conte), sa nomination sonne comme une véritable rupture de style (de jeu) par rapport à ses prédécesseurs. Il suffit plus précisément de regarder les quatre derniers coachs de Chelsea sur la période 2012-2018 pour se rendre compte du futur changement d’idée et de philosophie de jeu.

De Roberto Di Matteo en passant par Benitez ou Mourinho et dernièrement Antonio Conte, le Chelsea post-Ancelotti imprime peu ou prou le même style. Un jeu de contre, basé sur une défense solide et un bloc compact. L’idée est de prendre le moins de risque possible. Toute l’équipe doit travailler défensivement, multiplier les courses pour provoquer l’erreur de l’adversaire et dès la récupération, laisser les joueurs offensifs s’exprimer le mieux possible en occupant les espaces par des transitions rapides. Ces systèmes ont porté leurs fruits et les résultats ont très souvent suivis à Chelsea ces dernières années (sept titres majeurs de 2012 à 2018 dont deux Premier League et une Ligue des Champions).

Maurizio Sarri, Arrigo Sacchi et Pep Guardiola après un repas dans un restaurant italien
Maurizio Sarri, Arrigo Sacchi et Pep Guardiola : l’école du beau jeu. (Source : Instagram du Pearl Green Hotel)

Le football change et la conjoncture fait que le club souhaite désormais se pencher vers un autre style, plus offensif. A l’heure du Manchester City de Pep Guardiola qui domine le championnat anglais, du Klopp de Liverpool qui arrive en finale de Ligue des Champions. A l’heure aussi où les deuxièmes (Conte) ou troisièmes (Mourinho) saisons de ces coachs « défensifs » sont pénibles. Une partie importante du vestiaire lâchant ces coachs et une partie des supporters souhaitent voir autre chose. 

On pense notamment à Eden Hazard souvent sacrifié cette saison qui, selon certaines rumeurs, menaçait de quitter Chelsea en cas de maintien de Conte et de son style ou de Cesc Fabregas qui a récemment critiqué l’utilisation de Conte des « joueurs créatifs ».

C’est donc Maurizio Sarri qui tentera d’incarner ce changement de philosophie. L’idée de jeu et du football de l’italien est parfaitement opposée au Chelsea de ces dernières années. Sarri prônant une possession et un pressing haut, un jeu pensé par des combinaisons travaillées. Un jeu de position structuré et schématisé opposé à l’idée des derniers coachs de Chelsea selon laquelle l’entraîneur doit d’abord travailler son organisation défensive et laisser libres ses joueurs offensifs.

Pour le situer dans la philosophie et l’approche du football et sans trop rentrer dans les détails tactiques, Sarri est tout simplement de l’école des Sacchi et des Guardiola. Ces derniers n’ont d’ailleurs cessé de faire des éloges à son sujet comme le catalan en marge de la confrontation entre Manchester City et Naples en décembre dernier :

 » J’aime le Napoli, tant comme spectateur que comme entraîneur et quand je suis à la maison j’aime regarder leurs matchs. J’apprends beaucoup. (…) Sarri sait faire beaucoup de choses et les fait toutes à la perfection.  » – Pep Guardiola

Une relation avec la direction déterminante

Même si l’idée paraît alléchante, la nomination du technicien italien emporte tout de même quelques interrogations.

Tout d’abord, venu du football amateur italien et ayant gravi les échelons pas à pas dans son pays, Maurizio Sarri n’a jamais entraîné à l’étranger et l’on sait que l’adaptation au championnat anglais peut être difficile pour un coach prônant ce style de jeu (Cf Guardiola première saison en Angleterre). Même si la langue ne posera pas de difficultés, Sarri parlant parfaitement anglais grâce à son passé de banquier. Le second problème est que l’italien n’a jamais gagné de titre majeur malgré une saison dernière à 91 points en Série A. Argument de ses principaux pourfendeurs.

Roman Abramovitch, pensif.
Roman Abramovitch, c’est douze coachs depuis son arrivée à Chelsea. (Source : Challenges)

Le dénominateur commun de ces problèmes, c’est qu’il faudra accorder un temps conséquent au nouveau coach afin qu’il puisse y inculquer son style.

Afficher une certaine patience pour laisser l’entraîneur imposer son idée, son style à un effectif qui n’a jamais joué ainsi comme a pu le suggérer le défenseur du Napoli, et ancien joueur de Sarri, Kalidou Koulibaly dans une interview réalisée dernièrement.

Surtout que Chelsea a tardé à nommer Sarri. Le championnat reprenant dans à peine quatre semaines et les nombreux internationaux encore absents suite à la Coupe du monde, il est évident que le style du nouvel entraîneur mettra encore plus de temps qu’à l’accoutumée à se mettre en place. Il ne faudra pas attendre un jeu parfait dès août ou septembre.  L’objectif du titre de champion d’Angleterre dès cette année ne semble alors pas à l’ordre du jour.

Mais quand l’on regarde l’histoire récente de Chelsea et de son propriétaire Roman Abramovitch, on ne peut pas dire que la patience soit le maître mot (douze coachs depuis 2004 dont cinq limogés en cours de saison). On ne peut donc s’empêcher de s’interroger. Que se passera-t-il si l’équipe venait à être septième de Premier League cet hiver ? Que se passera-t-il si Sarri fait une saison blanche alors que Chelsea licencie parfois des coachs après des titres ? 

Les dirigeants de Chelsea devront donc faire preuve de patience. Un effort parmi tant d’autres, car il faudra aussi donner à Sarri les moyens de travailler, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire avec Antonio Conte. Cela passera par un mercato qu’il ne faudra surtout pas manquer, à quatre semaines de la clôture du marché anglais. Ce changement de style impliquant forcément plus qu’un changement de système, un changement de joueurs. Le passage de Sarri à Chelsea sera ainsi fortement conditionné par l’effectif mis à sa disposition et les mercatos réalisés alors que Chelsea n’a toujours pas nommé de directeur sportif et que les coachs ont souvent du mal à obtenir ce qu’ils souhaitent. Chaque supporter et observateur du club étant conscient que la relation entre les coachs de Chelsea et les dirigeants sont souvent chaotiques et que c’est d’abord le club qui fait le mercato. Sur ce point, l’arrivée de Jorginho, « Sarri compatible », et top player à son poste semble être un premier signal positif et encourageant. Il faut certainement remonter au transfert de N’Golo Kanté il y a deux ans pour trouver un aussi bon transfert. De plus, Zola, légende du club ayant un crédit très important à Chelsea pourrait servir d’intermédiaire entre Sarri et les dirigeants dans son nouveau rôle. 

Concrètement, le 3-4-3 ou 3-5-2 d’Antonio Conte sera vraisemblablement remplacé par le système préférentiel de Sarri, un 4-3-3 offensif. Découleront donc forcément de nombreux changements à commencer par le milieu de terrain, centre névralgique du jeu de Sarri et lacune flagrante du Chelsea actuel. Il faudra construire autour de Kanté, énormément sollicité (PSG, Barcelone), qu’il faudra conserver à tout prix. L’arrivée de Jorginho est une excellente chose dans l’idée d’une mutation de ce secteur. Ce dernier évoluant numéro 6 et connaissant parfaitement le jeu de Sarri parait assez complémentaire avec N’Golo Kanté qui pourrait ainsi évoluer plus haut sur le terrain, là où tout le monde préfère le voir. Pour le troisième homme, le nom de Golovin (CSKA Moscou) a été évoqué. Ruben Loftus-Cheek pourrait lui aussi avoir son mot à dire sachant qu’il faudra aussi dégraisser dans ce secteur comptant énormément de joueurs. Drinkwater, Bakayoko, Fabregas, Barkley ? Certains seront sur le départ. 

Mais d’autres secteurs seront aussi questionnés. L’avenir d’Alvaro Morata semble moins incertain qu’il y a quelques semaines même si la rumeur Higuain (qui a joué sous les ordres Sarri à Naples) est apparue. Le Juve souhaitant s’en séparer après l’arrivée de Cristiano Ronaldo. Sarri devra aussi faire face à des possibles départs de joueurs dont les contrats expirent dans une ou deux années (Eden Hazard et Thibaut Courtois). Ce dernier semblant être le plus sur le départ (pour le Real Madrid) pourrait être remplacé par le gardien brésilien Alisson Becker (Roma). Concernant le secteur défensif, le passage de trois ou cinq défenseurs à quatre bouleversera forcément la hiérarchie actuelle. Azpilicueta devrait retrouver une place de latéral mais l’axe central sera lui aussi en question sachant que la plupart des défenseurs centraux de Chelsea sont habitués à jouer à 3 derrière. Par exemple, les lacunes d’un David Luiz dans une défense centrale basée sur deux hommes sont connues. Ce dernier pourrait ainsi faire ses valises et être remplacé par Daniele Rugani (Juventus) ayant évolué sous Sarri à Empoli.  Il faudra aussi trancher les cas de joueurs vieillissants : Cahill, Willian, Fabregas, et des retours de prêts : Zouma, Loftus-Cheek, Batshuayi.

Une adaptation nécessaire

Mais Sarri devra lui aussi, pour s’adapter, modifier certains aspects de son coaching. A Naples, le technicien utilisait environ treize/quatorze joueurs – peut-être aussi à cause d’ un manque de profondeur de l’effectif -, ce qui lui reprochait d’ailleurs publiquement son président, Aurelio De Laurentiis. Cette absence de turnover s’est traduite par un abandon presque contraint des coupes nationales et des compétitions européennes et à une baisse de forme physique en fin de saison. Il paraît impossible de faire la même chose à Chelsea pour plusieurs raisons. Déjà l’intensité et les efforts demandés par le championnat anglais. Il est impossible de fonctionner à seulement quatorze joueurs. De plus, les coupes ne peuvent être négligées dans un tel club, surtout les coupes européennes.

Maurizio Sarri est le nouvel entraineur de Chelsea.
Maurizio Sarri devra s’adapter à Chelsea et à la Premier League. (Source : Getty Images).

On peut aussi se demander si son style s’imposera et collera dans un club qui n’a jamais joué ainsi et dans un championnat différent de la Série A. Avoir les joueurs qu’il souhaite et collant à son idée du football est nécessaire mais ne suffira pas. Maurizio Sarri devra s’adapter à la Premier League et ses exigences tactiques, techniques et physiques. La capacité d’adaptation permettant souvent de jauger le niveau d’un coach. Maurizio Sarri devra de plus composer avec une envie qui est celle de Chelsea depuis quelques années mais qui pour le moment peine à se réaliser. Celle d’intégrer des jeunes formés au club dans l’équipe première. Cette envie s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’investissement important réalisé dans le centre de formation mais aussi les excellents résultats des équipes de jeunes et le fait que Chelsea limite ses investissements lors des mercatos.Il faut donc trouver des ressources intérieures mais aussi un certain équilibre.

Et ces derniers temps, quand Chelsea ne forme pas, il achète jeune dans le but de réaliser des possibles bénéfices par des reventes ultérieures. Le club hésite donc de plus en plus souvent à aligner des grosses sommes pour des joueurs au-dessus d’un certain âge. Maurizio Sarri n’est pas forcément habitué à cela, préférant utiliser des joueurs confirmés il devra là aussi s’adapter. L’association Sarri-Chelsea est donc prometteuse et assez excitante pour les fans de Chelsea. Mais elle nécessite un équilibre intelligent et intelligible entre le coach et sa direction. Le défi est lancé…

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L’auteur

Célestin

Célestin

Célestin pour les uns, Hazpi pour les siens. Par filiation paternelle, fan d'un club bleu de l'ouest londonien instable (donc drôle et attachant) en conflit avec le gouvernement anglais. Habitué du Bridge depuis l'adolescence et bercé par les Lampard, Terry et Drogba, je cherche désormais à ne pas faire d'AVC à chaque contrôle de Bakayoko.