Un mondial réussi pour l’Angleterre ?

Un mondial réussi, une sélection retrouvée et une nation réunie. Ce fabuleux parcours des Three Lions a fait office de véritable bouffée d’air frais dans un pays divisé et tourmenté par les enjeux du Brexit. Retour sur la fabuleuse aventure Russie.
Un parcours expiatoire
Sélectionneur par intérim en septembre 2016 après l’éviction de Sam Allardyce suite à un scandale, c’est en novembre 2016 qu’il signe un contrat de 4 ans, en ayant la lourde tâche de redorer le blason des Three Lions. L’homme à l’allure d’un prof de philo n’a pas tardé avant de transformer en profondeur cette sélection anglaise encore marquée par l’échec de l’Euro 2016.

Ce renouveau s’est traduit par la performance mais aussi par des choix tactiques. Gareth Southgate s’est inspiré de ce qu’il a vu en Premier League lors de ces deux dernières saisons, une tactique cohérente fondée sur la possession de balle, un contrôle du rythme de la partie ainsi qu’un pressing haut. Ce qui a été le plus remarquable c’est l’enthousiasme que dégageait cette équipe à l’image de cette victoire – sur le fil- face à la Tunisie (2-1) alors qu’auparavant, la rencontre se serait soldée par un décevant 1-1. Le fait le plus marquant de ce Mondial était bien cette séance de tirs au but remportée en huitième de finale face à la Colombie (1-1, 4-3p) en remportant ce match ce soir-là, l’Angleterre brisait la malédiction dont Gareth Southgate a lui-même été victime en tant que joueur. Nous avons également vu quelques joueurs – contre toute-attente- prendre une toute autre dimension comme Jordan Pickford, Kieran Trippier et surtout Harry Maguire, ce dernier était même inconnu en dehors des frontières. Alors que des joueur-clés comme Harry Kane, Soulier d’or avec ses 6 réalisations en jouant sur un jambe, Dele Alli et Jesse Lingard utilisés dans des rôles qu’ils ne maitrisaient pas dans ce système de jeu ambitieux.
L’ambition, peut-être trop dans le jeu, Gareth Southgate en demandait beaucoup pour les joueurs qu’il avait à sa disposition. Les défauts de cette équipe se sont notamment révélés lors de la rencontre face à une équipe comme la Croatie qui avait pour but de jouer et de presser haut. Lors de cette rencontre, le milieu de terrain anglais n’a pas su contourner le pressing croate et s’est vu repoussé sur les côtés. Avec Dele Alli et Jesse Lingard perdus dans la marée humaine et un Jordan Henderson, bon meneur d’homme mais beaucoup moins à l’aise balle au pied et à la transition, l’Angleterre s’est retrouvée surpassée techniquement par une équipe bien meilleure qu’elle. L’autre fait a été l’incapacité des 3 défenseurs (Maguire-Stones-Walker) à relancer proprement et à préparer les actions sous pression. Cette demi-finale a été davantage un révélateur sur le niveau réel de cette sélection et ce qui l’attend dans les années à venir, cette fois-ci, l’amertume n’est pas anglaise.
Une nation réunie autour de son équipe
Contrairement à l’élimination de l’Euro 2016, il n’y a eu aucune animosité envers sa sélection nationale. Beaucoup de fans ont remercié les joueurs et le Southgate pour les avoir fait rêver et espérer à l’instar de cette demi-finale de l’Euro 1996 perdue aux tirs au but face à l’Allemagne.
Selon une étude de l’Université de Winchester réalisée au lendemain de la défaite de l’Angleterre face à la Belgique, « l’anglitude » était en hausse, cela s’est retrouvé dans les scores d’audimat incroyables (25 millions de personnes devant Angleterre – Belgique selon la BBC). C’est une idée de nationalisme sain comme dans ce football de compétitions internationales qui se substitue au conflit armé, de nombreux anglais se sont retrouvés sous les drapeaux, surtout les jeunes qui s’en cachaient depuis le référendum sur le Brexit. Reste à voir si ce phénomène persistera dans la durée ou s’estompera dès que la ferveur sera redescendue.
We might live in a time where sometimes it’s easier to be negative than positive, or to divide than to unite, but England: let’s keep this unity alive. I love you.
— Kyle Walker (@kylewalker2) July 12, 2018
L’autre effet de ce formidable parcours a été de montrer qu’une Angleterre multi-culturelle et multicolore qui réussit, selon le poète Musa Okwonga. C’est une équipe jeune composée de joueurs originaires d’origines culturelles et sociales différentes, les anglais issus de l’immigration ne s’identifient plus à John Barnes ou plus tard à Paul Parker et Des Walker. Face à la Croatie ce sont 5 joueurs issus de l’immigration antillaise (dont un né à l’étranger, Raheem Sterling) qui ont débuté cette rencontre. Cela a entraîné la réunion de plusieurs groupes de personnes indépendamment des origines sous les couleurs de la Croix de Saint-Georges. Le mérite revient à Gareth Southgate qui a su créer une atmosphère positive autour de cette jeune équipe et multiculturelle, s’inscrivant dans la droite lignée de Graham Taylor – le sélectionneur entre 1990 et 1993 – qui avait donné le brassard de capitaine à Paul Ince, devenant le premier homme de couleur à être capitaine de la sélection Anglaise. Il y a certes encore du chemin avant que ce pays incorpore tous les individus, mais nous sommes en droit de l’espérer.

Beaucoup moins important mais tout aussi significatif, Southgate a opéré un « décentrement » londonien de cette sélection anglaise. On a vu un vestiaire composé de joueurs originaires du Greater Manchester, du Tyne and Wear et surtout du Yorkshire avec des joueurs comme Danny Rose, Jamie Vardy, Kyle Walker, John Stones ainsi qu’Harry Maguire. Ce dernier parlait d’un « Yorkshire core » en s’expliquant : « nous sommes pour beaucoup originaires du Yorkshire, c’est incroyable. Quand on regarde l’équipe, la plupart sont des défenseurs, cela en dit long sur le Yorkshire, en ajoutant, nous ne sommes pas les plus talentueux mais nous sommes solides. » Cela a peut-être réussi à concilier ce Nord qu’on privait de Three Lions mais qui n’en demeurait pas moins fervent supporter, à l’image de ce match de préparation face au Costa Rica à Leeds dans le Yorkshire. Ce soir-là, il y a eu une atmosphère incroyable à Ellan Road, bien loin du public terne de Wembley, où tous les journalistes étaient unanimes.
Tous ces joueurs ce sont retrouvés -peut-être involontairement- à devenir des ambassadeurs de leur pays ainsi que des modèles. Loin des pires clichés du footballeur, les Three Lions se sont montrés exemplaires, à tel point que même The Sun n’a pas trouvé mieux que tenter pitoyablement de provoquer un scandale sur l’un des tatouages de Raheem Sterling, jugé inapproprié et rapidement évacué par la grande majorité de la sphère médiatique. Le lien entre fans, médias et joueurs est restauré, fondement solide pour une sélection en phase de transition.
La suite pour les Three Lions ?
Après l’échec de la Coupe du Monde 2014 et cette élimination en phase de poule, la fédération a lancé un grand projet de réforme qui devrait être prêt pour la Coupe du Monde 2022. Les présidents de la fédération anglaise Greg Dyke remplacé en septembre 2016 par Greg Clark, ont tous les deux fixés le Mondial au Qatar comme objectif. Avec l’Elite Player Perfomance Plan (EPPP) lancé lors la saison 2012-13, programme permettant la formation et l’encadrement des jeunes joueurs locaux pour les amener au plus haut niveau. Ce plan a déjà quelques résultats probants et l’Angleterre devrait en bénéficier pleinement en 2022.

La plus jeune et inexpérimentée équipe de ce Mondial (voir graphique ci-contre) a de beaux jours devant elle avec un sélectionneur tout aussi jeune et dynamique. Peu avant ce Mondial, Gary Lineker, l’ex-joueur des Three Lions devenu présentateur pour la BBC considérer cette Coupe du Monde comme une première expérience dans le but de remporter l’édition de 2022 :
« Je dirais que c’est une expérience afin d’évacuer toute la pression des joueurs. Nous n’allons pas jouer particulièrement bien, nous n’allons pas remporter cette Coupe du Monde. Je pense que tout le monde sera d’accord, nous allons devenir une grande équipe de football, il n’y a aucun doute sur cela. Nous avons de très bons jeunes joueurs. »
Cette équipe sera prête, à l’image de son capitaine Harry Kane qui déclarait après l’élimination face à la Croatie : »cela fait mal, je ne sais pas quoi dire d’autre, cela fait mal« , en ajoutant, « Nous avons montré que nous pouvions nous retrouver ici. Nous pouvons remporter des matchs à élimination directe et nous pouvons aller en demi-finale mais la prochaine étape et d’aller encore plus loin. Nous devons poursuivre cela, nous en voulons davantage. »
Nul doute que cette sélection va prendre ce parcours dans ce Mondial comme un apprentissage, celui qui mène vers les sommets et après 56 années de souffrance, l’Angleterre sera prête à retrouver son prestige d’antan.