Angleterre, la fin d’une malédiction ?

Après cette victoire au Mondial 1966 à la maison, l’Angleterre n’a jamais renoué avec le succès, comme condamnée à se complaire dans son passé glorieux qui l’a plongée dans une malédiction dont elle ne peut se défaire. À l’aube de cette Coupe du Monde 2018, il y a une révolution qui s’opère outre-Manche, le régime instauré par le sélectionneur Gareth Southgate veut expier les péchés causés par des générations maudites.
« L’Angleterre a inventé le football, l’a codifié, est devenue championne du monde en 1966, puis, d’une manière humiliante, a oublié de jouer son meilleur football. L’Angleterre a perdu la balle de vue qu’elle pensait arrogamment lui appartenir, laissant les autres nations se l’approprier. » Ce sont les mots d’Henry Winter issus de son ouvrage « Fifty Years of Hurt » (2016).
Publié une semaine avant le coup d’envoi de l’Euro en France, cet ouvrage laissait entrevoir comment les Three Lions allaient succomber à nouveau à leurs vieux démons. On a tous été témoins des problèmes récurrents de cette sélection lors de cet été 2016 avec un sélectionneur perdu, des joueurs mal utilisés, un public trop éloigné, des hooligans ainsi que ce dédain qui caractérise les Lions. Un véritable fiasco qui n’allait pas être arrangé par la nomination de Sam Allardyce, rapidement poussé vers la sortie après un scandale. C’est Gareth Southgate, ex-international alors sélectionneur des espoirs, intérimaire devenu titulaire par la force des choses qui a repris les commandes, entraînant avec lui une véritable bouffée d’air frais, pas forcément prévue par la Fédération Anglaise.
Un sélectionneur (enfin) compétent ?
L’empirisme, c’est sûrement ce qui qualifie de mieux Gareth Southgate, c’est ce qui l’a construit dans sa carrière de joueur. De triste tir au but manqué lors de la demi-finale de l’Euro 1996 face à l’Allemagne, l’échec la Coupe du Monde 2002 ou encore de sa courte carrière d’entraîneur de club, Southgate a toujours appris des erreurs, même celles dont il n’en était pas à l’origine. Le dernier exemple en date est la manière calamiteuse dont Glenn Hoddle avait sélectionné ses joueurs pour le Mondial 1998, une liste de 28 joueurs, 10 minutes d’entretien pour convaincre, pire que les oraux du bac. Paul Gascoigne avait notamment fait ses adieux aux lions ce jour-là sous les yeux de son coéquipier Southgate. L’ex-défenseur anglais a choisi un autre mode opératoire. Il a contacté en avance les joueurs qui n’iront pas d’office au Mondial (Joe Hart, Jack Wilshere, Chris Smalling) ainsi qu’une liste de réservistes de 5 joueurs. Mis à part le cas de Jack Wilshere qui a suscité le débat, aucun joueur n’a protesté contre les choix de Gareth Southgate.
L’autre face de cette idée d’un sélectionneur qui apprend de ce qu’il voit, c’est à quel point l’Angleterre a évolué en 2 ans. Wayne Rooney était encore milieu de terrain, Daniel Sturridge était titulaire et Trent Alexander-Arnold n’était qu’un « hot prospect » sur Football Manager.
Le système Southgate
Là où un Roy Hogdson paraissait dépassé et coincé dans un système de pensée et de jeu n’utilisant pas le maximum des joueurs, Gareth Southgate a progressivement forgé son équipe. L’idée du 3-5-2 lui est venue après le match nul concédé face à l’Ecosse à Hampden Park (2-2, 6ème journée, ndlr) où Chris Smalling avait été jugé catastrophique. S’inspirant sur ce qui se faisait de mieux à ce moment en Premier League, cette défense à 3 qui fait des merveilles à Chelsea, la volonté de construire le jeu depuis l’arrière comme à Manchester City ou à Tottenham ainsi que le pressing intense qu’on peut retrouver à Liverpool. Après le dernier match de qualification en Slovénie (victoire 1-0, ndlr), Gareth Southgate annonçait déjà qu’il allait utiliser un « back three » à la Coupe du Monde :
Nous avons une certaine cohérence avec cette formation, qui va avec ce qu’on demande aux joueurs. […] Nous devons nous concentrer sur un système et l’affuter, travailler dessus, l’améliorer et cela signifie que l’on devra se défaire de quelques joueurs. On a très peu de temps pour travailler avec les joueurs qui ont une énorme pression. […] Cela va nous aider de pouvoir évoluer dans deux système différents qui seront à 3 derrière.”
3-4-2-1 ou 3-5-1-1/3-5-2, ce système répond à ce que les Three Lions savent faire et connaissent en club. Gareth Southgate ne réinvente pas le football, ce qui fait sa force c’est sa cohérence et la fondation d’un système qui s’est fait par expérience d’une manière cohérente. Il y a une volonté de gagner, une approche tactique pensée et un système qui intègre des jeunes en sénior, c’est ce qui manquait à l’Angleterre depuis des années.
La cohésion d’un groupe cohérent
Cette rencontre en Ecosse a été une révélation pour Southgate pour son système mais aussi pour le choix du capitaine. Lors de cette rencontre, Harry Kane qui était le capitaine du jour, avait démontré un véritable esprit combatif digne d’être un leader en égalisant dans les derniers instants de la rencontre, quelques secondes après le fabuleux but du doublé de Leigh Griffiths sur coup franc. Bien que beaucoup pensaient voir Jordan Henderson hériter du brassard de capitaine, l’attaquant de

Tottenham semble celui qui a les prédispositions pour unir et mener un groupe dans une compétition. Kane se défendait même d’être un leader :“J‘ai toujours été un joueur qui encourage ses coéquipiers et qui essaye de rendre l’équipe meilleure, il ajoute, J’aime être pris comme exemple. Je pense que c’est peut-être [le capitanat] quelque chose qui se fait naturellement.” L’autre critique est qu’Harry Kane n’a rien gagné en club à Tottenham, comme l’a récemment déclaré l’ex-défenseur d’Arsenal et capitaine lors de l’Euro 1996, mais c’est peut-être cela, être à l’image de son équipe. La nomination d’Harry Kane semble logique vu le groupe des sélectionnés. Elle est une des plus jeunes sélections de ce Mondial avec 26 ans de moyenne d’âge à égalité avec la France, la plus jeune étant le Nigéria (25,9).
Une jeunesse en révolte qui ne peut être que représentée par celui qui a connu Southgate en Espoirs, mais cette jeunesse est synonyme d’expérience où Southgate avoue « le nombre de sélections moyenne pour les joueurs de l’équipe est de 20 contre 34 en moyenne pour les autres équipes disputant ce Mondial. » Mais il se défend en parlant du caractère « malléable » des jeunes joueurs, acceptant volontiers d’apprendre de nouvelles choses ou de se plier à ce qu’on leur demande. Avec des joueurs ayant plusieurs postes de prédilection et cette jeunesse, le grand avantage de cette équipe de lions sera bien sa capacité à évoluer dans plusieurs dispositifs au cours d’une rencontre.

Il y a quelques semaines, Rio Ferdinand a expliqué que ce qui a tué la génération dorée anglaise c’est la rivalité entre les clubs qui s’est exportée en sélection en déclarant : »Cela a tout occupé. Cela a tué cette équipe d’Angleterre, cette génération. » Des joueurs qui avaient tout pour réussir ensemble comme Frank Lampard, Ashley Cole, John Terry, Joe Cole, Steven Gerrard ou encore Jamie Carragher, n’ont jamais réussi à se mettre d’accord. Rio y ajoute « Je ne réalisais pas que cela causait du tort à l’Angleterre à ce moment. J’étais tellement obsédé par l’envie de gagner avec Man Utd, rien d’autre ne comptait. Je ne pouvais pas me rapprocher de ceux avec qui j’étais en concurrence pour le titre. » Southgate y répondait en déclarant qu’il l’avait remarqué à la fin de sa carrière internationale, et c’est ce qu’il essaye d’éviter. Kane a aussi récemment déclaré qu’il « donnerait tout ce qu’il a pour remporter cette Coupe du Monde« , rassurant non ?
Le rapprochement avec la presse et les fans
L’humilité, c’est ce qui caractérise le mieux cette équipe d’Angleterre. Bien loin de l’aspect poussiéreux et passéiste qui caractérisait cette sélection et la direction, il y a une volonté de se rapprocher de la presse longtemps considérée comme hostile par les Three Lions. À l’image de cette conférence de presse cette semaine où tous les joueurs étaient présents et pouvaient discuter librement avec les journalistes, chose voulue par Gareth Southgate dans le but de rapprocher l’équipe de la presse et ce malgré les récentes attaques du Sun vis-à-vis de Raheem Sterling. Une ambiance « fraîche » selon Philippe Auclair qui donne envie de supporter cette équipe sans arrière pensée.
Le lien avec les fans a aussi été restauré, certains chantaient même « nous sommes de la m*rde » lors de la rencontre face à Malte en septembre dernier, chose impensable aujourd’hui. La raison est qu’il y a une volonté de se rapprocher du public, à l’image de la vidéo annonçant la liste des sélectionnés et il y a une impression d’une équipe qui ressemble à ses fans. C’est encore grâce à Southgate, qui s’exprimait récemment : « Je parlais déjà du lien brouillé entre les supporters et l’équipe, il y a plusieurs moyens de construire ce pont et le plus important est la manière avec laquelle on joue, les performances et les résultats. Nous savons que tout se fait après cela. » Il ajoute : « Nous voyons désormais que nous avons une équipe où tout le monde s’apprécie, qui s’entend bien, fière de représenter sa nation. C’est une équipe qui a du talent et qui veut jouer le football que tout le monde aime. Nous demandons aux gens de payer des grosses sommes pour nous regarder. En fin de compte, nous voulons leur procurer du plaisir au maximum de nos capacités. » Il y a eu une très grand changement après ce match face à Malte, où en novembre il y a eu une inclusion de plusieurs jeunes joueurs face à l’Allemagne et au Brésil comme Harry Maguire, Joe Gomez, Ruben Loftus-Cheek, Dominic Solanke, Tammy Abraham ou encore Lewis Cook, capitaine de l’équipe d’Angleterre victorieuse au Tournoi de Toulon.

L’ambition est claire, ne pas être humilié au Mondial. Gareth Southgate prépare davantage l’avenir. La fondation d’une grande équipe passe par des bases solides, un groupe uni et d’un environnement sain, l’ex-international est entrain de construire et de réformer ce qui devait être fait depuis des décennies. Les Three Lions sont enfin en phase avec leur époque, bienvenue au XXIème siècle !