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Aston Villa, autopsie d’un échec et espoirs de maintien

En difficulté en championnat et bien mal embarqué dans la lutte pour le maintien en Premier League, Aston Villa pourrait bel et bien faire partie de l’ascenseur direction le Championship. Analyse d’un gâchis et motifs d’espoirs d’un maintien.

«Faire une Fulham». Le terme pourrait paraître sévère vis-à-vis des Villans… et pourtant, il semble le plus approprié pour désigner la saison du club des Midlands de l’Ouest. Car le parcours d’Aston Villa ressemble trait pour trait à celui de Fulham une saison plus tôt quand, lors de l’exercice 2018/2019, les Cottagers étaient descendus un an après être remontés en Premier League (19èmes, 26pts). Remontés mercredi à la 18e place de la première division anglaise – à la faveur de la différence de buts -, les hommes de Dean Smith sont sûrs d’une chose : ils feront quoi qu’il arrive mieux que leurs homologues londoniens avec 27 points au compteur après 32 journées.

Pour autant, les comparaisons ne s’arrêtent pas au simple nombre de points au classement. Car Fulham et Villa ont tous deux fait le choix d’investir massivement sur le marché des transferts suivant leur promotion en première division. 148,6 millions d’euros l’été dernier pour les Villans, 116,5 millions d’euros pour Fulham un an plus tôt. Des chiffres exorbitants, symboles du pouvoir d’achat des clubs de Premier League. Un recrutement pharaonique qui ne s’imposait pas forcément pour les Cottagers, mais qui relevait de l’indispensable pour Villa (15 départs à combler, 13 recrues estivales).

Mais au jeu des chaises musicales, Villa s’est, pour beaucoup, trompé de cibles. En faisant le pari de la jeunesse (24,5 ans de moyenne d’âge), le board d’Aston Villa en a sans doute oublié l’essentiel : le maintien en Premier League. Car en moyenne, les promus qui alignent une équipe dont la moyenne d’âge est proche de 26 ans sont les mieux armés pour le maintien. Actuellement, celle de Villa se situe à pile 25 ans (6 joueurs de 24 ans ou moins dans le XI type). Une donnée qui impacte le différentiel expérience/résultats. Et avec une moyenne de 0,84 point pris par matchs à la 32ème journée, le club des Midlands de l’Ouest a clairement un rythme de relégable. Seul West Bromwich Albion était parvenu à se maintenir dans une Premier League à 20 clubs avec une moyenne inférieure à 0,9 point pris par match (0,89 ; 17e avec 34 points en 2005).

Des joueurs pas forcément souhaités par Dean Smith

Sur le choix des hommes, Villa s’est là aussi trompé. Contrairement à Wolverhampton une saison plus tôt ou Sheffield United cette saison, les Claret & Blue n’ont pas construit une équipe autour de celle qui avait acquis la montée à Wembley, en mai 2019. Sur le XI de départ de Dean Smith, 7 titulaires actuels n’étaient pas de la partie une saison plus tôt. Un changement de cap radical et trop précipité – comprenez ici trop risqué… «Les dirigeants ont privilégié la quantité à la qualité. Beaucoup de ces joueurs ont acquis un statut en Belgique ou aux Pays-Bas par exemple, mais la Premier League, c’est un tout autre niveau», regrette Sonia, abonnée de longue date à Villa Park.

Mais au-delà du nombre et du coût investi, ce sont davantage les profils qui interrogent. Au moment où Smith espérait un ou plusieurs joueurs offensifs créatifs (Benrahma et Bowen évoqués), Trezeguet constituait le dernier recrutement offensif de l’été. Peu en réussite, l’Egyptien (3 buts) cristallise à lui seul les difficultés offensives des Villans, incapables de marquer dans le jeu. La statistique est sans appel : aucun attaquant – ailiers compris – n’a inscrit le moindre but en championnat pour les Villans depuis 7 matchs, série en cours. Le dernier but (sur penalty) d’El-Ghazi remonte ainsi au 12 janvier (1-6 face à Manchester City), celui de Trezeguet au 4 décembre en championnat (1-2 à Chelsea). Seul Samatta trouvait le chemin des filets à Bournemouth (1-2, le 1er février dernier)… De leur côté, Benrahma et Bowen comptabilisent 30 buts et 17 passes décisives toutes compétitions confondues à eux deux cette saison. Sans oublier Neal Maupay (9 buts, 2 passes décisives), souhaité par Dean Smith pour accompagner Wesley…

L’absence de vieux grognards s’en est également ressentie. Des joueurs expérimentés, capables de contrôler le rythme d’une rencontre. «Nous n’avions pas ces vieux renards rusés et avisés, qui peuvent ralentir le jeu, calmer leurs coéquipiers quand nous sommes sous pression, déplore Matt, supporter des Villans expatrié à Paris. Grealish est un bon capitaine et un merveilleux joueur mais il n’a pas beaucoup d’expérience en Premier League et ce n’est pas le leader, ce joueur-là qui nous manque.» Si Villa avait couché les bons noms sur le papier, il ne s’est pas donné les moyens de ses ambitions d’un retour au premier plan, boosté par l’arrivée de ses nouveaux propriétaires – Nassef Sawiris et Wes Edens -, faisant d’Aston Villa le 6e club le plus riche de Premier League. Et sa place dans l’élite est de nouveau menacée.

L’hiver venu, le mercato a pris une toute autre tournure. En proie à des difficultés sportives et aux blessures, le club des Middlands de l’Ouest s’est tourné vers un recrutement qui a viré au fiasco : Reina, Drinkwater, Baston. Malgré quelques prestations convaincantes, le portier espagnol a perdu toute crédibilité en manquant complètement sa sortie face à Leicester, dans une soirée noire pour les Grenat et Bleu (0-4). Baston, libéré le 30 juin, n’a disputé qu’une vingtaine de minutes de jeu. Drinkwater est lui rapidement devenu le souffre-douleur de Villa Park. «Il y a eu un petit peu de panique. C’est compréhensible mais ces trois joueurs n’ont pas eu de vrai impact sur le groupe, constate Jonathan Johnson, journaliste et supporter des Villans. J’aurais préféré faire signer un attaquant de la trempe et de l’expérience de Reina, plutôt qu’un autre milieu. A ce jour, la plus grosse contribution de Drinkwater, c’est une bagarre à l’entraînement…»

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Trois coups durs entre décembre et janvier

Sportivement, Villa a longtemps eu cette saison le statut d’équipe peu vernie, capable de poser des problèmes aux meilleurs. En témoigne ces courtes défaites face à Tottenham (2-3), Liverpool (1-2), Chelsea (1-2), Arsenal (2-3) ou le nul acquis sur la pelouse d’Old Trafford début décembre (2-2). Des matchs frustrants pour les Villans, mais révélateurs d’un état d’esprit irréprochable. Souvent à court de souffle en fin de rencontres, les Claret & Blue ont concédé 11 buts dans le dernier quart d’heure. Seuls Norwich (13), Chelsea et Watford (12) font pire. «Quand on voit le nombre de points perdus en ayant mené (19, ndlr) ou en craquant dans le dernier quart d’heure, c’est assez alarmant !», tonne Joao, abonné de Villa Park basé en Suisse. La faute à un manque d’expérience mais aussi à un banc trop léger pour le niveau Premier League. Un manque accentué depuis la reprise, le «restart project» autorisant désormais les clubs à 5 changements par match.

Il faut dire que le banc des Villans s’est amaigri début janvier quand, lors du même match face à Burnley (2-1), ils perdaient coup sur coup Wesley et Heaton, tous deux victimes d’une rupture des ligaments croisés. Fin de saison pour l’un comme pour l’autre. Quelques jours plus tôt, c’était McGinn qui était éloigné des terrains pour 4 mois pour une fracture à la cheville. Trois coups durs pour trois joueurs incontournables du dispositif de Dean Smith. 

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Et l’équipe sans complexe, capable de mettre à mal quelques-unes des meilleures écuries de Premier League s’est transformée petit à petit en une équipe moribonde, en difficulté offensivement et friable défensivement. Renonçant à ses principes de jeu, «Deano» a alors opté pour des choix tactiques plus pragmatiques, rappelant l’Angleterre du début des années 2000. Le jeu si direct et efficace prôné par le technicien venu de Brentford s’est alors mué en quelque chose de beaucoup plus stéréotypé. La faute sans doute à une naïveté qui avait vu Villa perdre en fin de match des rencontres où les Claret & Blue étaient en position de force dans les derniers instants.

Une adaptation difficile à l’étage supérieur

Si tranchant et efficace à la relance, Tyrone Mings se met à dégager de longs ballons devant, injouables pour le seul Samatta. Si percutant et disponible, John McGinn ne retrouve pas encore son meilleur niveau et peine à se projeter en contre, comme il l’avait fait au Tottenham Hotspur Stadium (1-3) ou du côté de l’Emirates Stadium (2-3). Insaisissable et virevoltant tout au long de la saison, le joyau de Villa Park Jack Grealish patine depuis le mois de février, bien loin de ses standards ébouriffants.

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La faute à un manque d’alternance dans le jeu et dans les différents dispositifs tactiques proposés dans l’adversité par Dean Smith. Fidèle à son 4-3-3 à deux ailiers, l’Anglais a longtemps accordé sa confiance à l’inefficace El-Ghazi, plaçant Grealish sur l’aile gauche, avant de replacer Grealish dans son milieu pour relancer Trezeguet. Sans succès. Face à Wolverhampton (0-1), Smith a innové avec un 4-1-2-1-2 modulable avec 4 milieux et deux buteurs, une première cette saison. Pas plus convaincant. «Il y a un gros problème à la finition. Parfois, je les voit jouer et j’ai l’impression qu’ils pourraient jouer trois heures sans marquer», regrette Joao.

Un autre problème soulevé, celui du besoin de prendre des points face à des concurrents directs pour le maintien. «Nous avons eu six matches à disputer face à Watford, Southampton et Bournemouth et nous avons été battus 5 fois. Dean Smith ne semble pas avoir instillé dans l’équipe un climat d’urgence de prendre des points, blâme Matt Hatton, ancien habitué de Villa Park. Les sonnettes d’alarme semblaient indiquer que c’était des matchs à ne surtout pas perdre… Si nous avions pris ne serait-ce que 4 points de plus, nous serions bien plus à l’aise au classement aujourd’hui». Lui aussi inexpérimenté en Premier League, Smith paye pour apprendre au sein d’une élite, composée d’Ancelotti, Guardiola ou Klopp. Remis en question après la défaite face aux Wolves, celui qui a prolongé en novembre dernier devrait rester au minimum jusqu’à la fin de la saison. 

Dean Smith en tribunes lors du match face à Wolverhampton. © PA Images / Icon Sport – Villa Park – Birmingham (Angleterre).

Le maintien de l’espoir

«Villa a toujours été une équipe de première division et va se battre pour rester là-haut, lance Sharon, abonnée à Villa Park. Nous avons des joueurs comme McGinn qui reviennent de blessure et qui devraient avoir un impact positif sur le jeu». Si les bookmakers ne donnent pas cher de la peau d’Aston Villa en cette fin de saison, les supporters, eux, gardent espoir, malgré un calendrier difficile. Un espoir fou, guidé par l’absence de résultats chez les concurrents directs au maintien des Villans (Watford et Bournemouth). Sur les 16 matches disputés depuis la reprise par les 5 derniers au classement, un seul a été remporté (West Ham face à Chelsea, 3-2). 12 défaites et 3 nuls complètent la terrible statistique.

Et si Villa peut y croire, c’est parce qu’il a pris deux points depuis la reprise, soit deux fois plus que Watford (17e, 28pts)… Les Claret & Blue espèrent ainsi profiter de la faiblesse de leurs concurrents directs pour inverser la tendance et s’extirper in-extremis de la zone rouge. «Etant donnée la faiblesse du bas de tableau, nous aurions dû être capables de nous maintenir sans trop de difficulté», confie Matt. «La saison de Villa sera un échec si nous ne parvenons pas à rester en Premier League. Mais si nous y parvenons, même d’un petit point lors du dernier match de la saison, ce serait une saison réussie», rappelle Jonathan Johnson, ancien habitué de la Holte End. «Le maintien est essentiel pour le développement du nouveau projet du club et une relégation serait un vrai frein qui pourrait avoir de lourdes conséquences», poursuit-il.

Déjouer les statistiques, c’est d’ailleurs devenu la petite spécialité des Villans, passés un an plus tôt de la 14e place de Championship à un billet pour la Premier League, sans oublier le beau parcours en League Cup cette saison, Villa écartant Wolverhampton, Liverpool et Leicester pour retrouver Wembley face à Manchester City (1-2). «En ayant déjà atteint une finale de coupe, pouvoir rester en Premier League la saison prochaine serait une vraie réussite», rappelle Jonathan Johnson.

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Amateur de défis, Dean Smith est de nouveau servi. Le manager des Villans a, en tout cas, un bel exemple à montrer à ses joueurs : celui de la victoire chèrement mais logiquement acquise par West Ham mercredi dernier face à Chelsea (3-2). Une victoire obtenue à la force du caractère, de la détermination et de l’envie de tout un groupe de joueurs de sauver sa peau et sa place en Premier League.

Et dans ces 6 derniers matches à disputer, un homme pourrait, comme bien souvent, être le facteur X des Villans : Jack Grealish. Celui que certains qualifient de meilleur numéro 10 anglais sera attendu comme le Messie sur cette fin de saison. Annoncé avec insistance du côté de Manchester United, il pourrait à nouveau sortir sa cape de Super Jack et tenter de sauver Aston Villa, monument en péril du football anglais.

Quentin GESP

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L’auteur

Quentin

Quentin

Néo-membre du cartel God Save The Foot. Bercé au foot anglais et adopté par Villa Park. Suiveur assidu du Championship et des Glasgow Rangers. Amoureux de la patte gauche de Jérôme Rothen et du pied droit de Jack Grealish. Sur le terrain, quelque part entre James Milner, John Carew et Gaby Agbonlahor. Entière confiance en Dean Smith, Gareth Southgate et Tyrone Mings. We even conquered Europe, in 1982...