Salford City, Dirty New Town ?

Les divisions inférieures anglaises regorgent d’histoires idylliques. Celle de Salford City en est une. Depuis le rachat par la « Class of 92 », emmenée par les frères Neville, Nicky Butt, Paul Scholes et Ryan Giggs, le club voit grand, très grand. Pour la première saison de son histoire en Vanarama National League (D5 anglaise), Salford tentera de se maintenir avant tout, mais son recrutement clinquant peut lui permettre d’espérer mieux. Focus sur l’un des bastions en devenir du Greater Manchester.
Samedi 4 août, midi et demi en Angleterre. Au nord de Manchester, la sono de Moor Lane crachait les premières notes du célèbre « Dirty Old Town » d’Ewan Mac Coll. Quelques minutes plus tard, Salford City donnait le coup d’envoi du match l’opposant à Leyton Orient pour le premier match de son histoire en National League. Mais comment cette cité a-t-elle pu patienter depuis 1940 pour enfin voir son club emblématique se frotter aux joutes de National League, le cinquième échelon du football anglais ? Et ce malgré sa proximité avec Manchester et sa population riche de jeunes talents rêvant de marcher dans les pas de Paul Scholes.
Briques rouges et The Class of ’92’
Coincée au nord de Manchester, cette ville industrielle de plus de deux cent mille habitants – qui respire le football populaire et la brique rouge – voit la naissance de son club de Salford City en pleine Seconde Guerre mondiale. Si les débuts sont laborieux, ses performances en Cheshire League, ses multiples victoires en Lancashire Cup et ses quelques Manchester County Cups font de Salford un club respecté et respectable au sein du Greater Manchester. Néanmoins, la fin des années 70 est rude pour les Ammies, leur enceinte de Moor Lane tombe en décrépitude et leurs résultats en pâtissent. Il faudra donc attendre 1989 et une finale en Manchester Premier Cup à Old Trafford, dans le théâtre des rêves, pour que Salford City retrouve la lumière – tamisée certes – du North West british. Les années 2000 se résument à quelques titres locaux et à un troisième tour en FA Cup. C’est lors de la saison 2007-2008 que Salford City rejoint le plus haut niveau dans lequel il ait évolué, la Northern League – l’équivalent du septième échelon anglais – ; division dans laquelle les Ammies se maintiennent jusqu’à 2014, date qui marque un tournant dans l’histoire contemporaine du club de la cité de Salford.
Gary Neville : « Salford représente l’engagement, l’envie, l’enthousiasme, le désir et l’esprit même du football. »
En effet, si 2014 est l’année durant laquelle David Beckham décide de jeter son dévolu sur le club branché de Miami, cinq autres comparses de la génération 92 se tournent vers Salford, ville ouvrière du Grand Manchester, différence de style oblige. Nicky Butt, Ryan Giggs, Gary et Phil Neville et Paul Scholes décident ainsi de racheter le club de Salford City pour en faire, selon les dire de l’ex international gallois, une formation de Championship en quinze ans. Alors que, pour l’aîné des Neville, ce club représente « l’engagement, l’envie, l’enthousiasme, le désir et l’esprit même du football », Paul Scholes le natif de Salford déclare « que le challenge sera difficile mais je suis convaincu de ce projet depuis le début tout en dévoilant de magnifiques ambitions pour le club. » Militant pour une révolution silencieuse, Ryan Giggs ne souhaitait voir aucun changement de nom, de terrain et de direction. Après quelques modifications esthétiques de son logo rugissant et de ses couleurs, Salford City se présente cette saison au cinquième échelon du football anglais. Suite à trois promotions en quatre saisons, un reportage sur la BBC en 2015 et une incroyable qualification face aux Magpies de Notts County en FA Cup après laquelle Ryan Giggs déclara enjoué « qu’il ne s’était pas senti comme ça depuis longtemps dans le football. » À l’évidence il n’était pas le seul Salfordian à exulter ce soir du 6 novembre 2015.

Si la saison 2016-2017 s’est terminée sur une défaite en barrage contre le voisin du Yorkshire, Halifax, les hommes du duo Johnson & Morley ont brillamment obtenu leur ticket en National League au mois de mai. Après une saison aux avant-postes : six points d’avance sur leur dauphin Harrogate, deuxième meilleure attaque et troisième meilleure défense, les pensionnaires de Moor Lane ont pu préparer la saison prochaine dès les premiers jours du printemps.
Des espoirs fous, mais aussi une réalité sportive
Alors que peut-on attendre pour la saison suivante dans l’antichambre des divisions professionnelles ? Si l’engouement populaire est encore limité autour de l’équipe, Salford City plafonnant à une moyenne d’affluence d’environ 1500 spectateurs loin des 3500 de Stockport et ce malgré l’inauguration du nouveau Moor Lane, désormais Peninsula Stadium, par Sir Alex Ferguson himself. Sur le terrain, en revanche, la saison de Salford City s’annonce de qualité. En effet, en plus de garder leurs deux meilleurs buteurs lors de la saison précédente, Redshaw et Dudley, respectivement 17 et 12 buts, les Ammies pourront s’appuyer sur une arrivée qui n’est pas passée inaperçue, celle d’Adam Rooney. En effet, début Juillet, Ryan Giggs annonçait l’arrivée du buteur et ancien international espoir irlandais, attaquant d’Aberdeen, auteur de plus de 50 buts avec le dernier double dauphin du Celtic Glasgow. Ayant quelques matchs de coupe d’Europe à son actif et une grande expérience du haut niveau, le natif de Dublin sera une arme offensive indéniable pour les pensionnaires de Moor Lane.

Ce transfert augmente ainsi la valeur de l’effectif, mais aussi la visibilité du club des 92 malgré de nombreuses accusations de « concurrence déloyale » notamment de la part du propriétaire d’Accrington, Andy Holt. Ajouter à cela, le recrutement de joueurs habitués aux joutes de League One (Dany Lloyd, Rory Gafney, Chris Neal ou encore Nathan Pondd) le club du Greater Manchester s’est construit sur une ossature extrêmement compétitive pour leur première saison en Vanarama National League. Composée de jeunes et de joueurs expérimentés comme Piergianni ou Walker présents dans l’équipe-type de National League North en fin de saison dernière, Hogan élu Players’ Player of the Year et des internationaux pour le moins exotiques, Crocombe, Touray, Wiseman et Maynard sont en effet Néo-Zélandais, Gambien, Gibraltarien et Kittitien (!)
Côté départ, c’est sur le banc que le plus grand chamboulement a eu lieu car la paire Johnson/Morley n’a pas été reconduite pour des désaccords avec la direction, malgré leurs multiples promotions. Les points de divergences seraient fondés, selon Morley, sur « la durée du contrat et les objectifs à atteindre. » Si Morley regrette quelque peu ses années à Salford et pense à ce qui aurait « pu être fait différemment », pour Anthony Johnson, l’heure était venue », ce qui explique la signature récente du duo sur le banc de Chester. Relégué l’an dernier, le club du Cheshire ne rencontrera pas cette saison le club de la cité de Salford qui suit la trajectoire inverse. Pour pallier ce départ, c’est Graham Alexander, l’excellent coach de Scunthorpe qui a signé un contrat de 4 ans, lui qui avait réussi à mener le club du Lincolnshire en barrage de League One l’an passé. Le natif de Coventry conscient de l’enjeu et de la masse de travail à accomplir sur le terrain et en dehors afin de déployer au mieux le potentiel de Salford City aura à coeur de réussir son nouveau pari. Quant à Gary Neville il semble confiant sur le cas de l’ex-entraîneur de Fleetwood au vue de son grand nombre de matches disputés qui démontrent à la fois son niveau de caractère, sa force, sa personnalité, son professionnalisme et sa résilience. À noter aussi les départs de Michael Nottingham à Blackpool et le retour de prêt du gardien international suédois Tim Erladsson.
La présence de grosses écuries comme Barnet, Chesterfield ou Aldershot conjuguées a des performances mitigées lors des matchs amicaux rendent l’optique d’une montée en fin de saison régulière difficile. Malgré trois victoires contre des adversaires supposés inférieurs (Nantwich, Woking et Altrincham), les Ammies n’ont pas marqué contre deux adversaires de League One et ont même été giflé contre les Cod Army de Fleetwood, 4 buts à rien. Ce début de saison le démontre puisque Salford alterne le bon et le moins bon en Vanarama National League. Quatorzième avec huit points dans la besace, le club du Great Manchester a montré une certaine irrégularité. Néanmoins, Salford City peut, pourquoi pas, sur cette saison 2018-2019 se détacher un instant de son aspect « dirty » pour envisager sereinement et humblement d’entrer dans le panthéon immaculé de l’English Football League dès la saison prochaine !
François-Théo Perard (@FtPerard)