Le Championship, un modèle au bord du précipice

Entre fair-play financier, masses salariales démesurées, ventes de stades surévaluées et lourdes pertes financières essuyées, les clubs de Championship s’apprêtent à traverser une zone de turbulence dans un contexte lourdement perturbé par la crise sanitaire du Covid-19. Décryptage.
Ruée vers l’or
Décrit par plusieurs comme une véritable « bulle prête à exploser », le Championship voit l’inquiétude gagner ses clubs, malgré un retour imminent de la compétition. Dans la quête du fameux sésame, plusieurs clubs n’hésitent plus à chambouler leur modèle économique avec un investissement massif dans un marché des transferts, désormais en déflation avec la crise sanitaire qui s’abat sur le football mondial. Un pari que les clubs sont devenus prêts à prendre, quitte à contourner, voire dans certains cas enfreindre, les règles établies par la Football League Anglaise. Pourtant, et au-delà de cet effrayant contexte, le calcul n’a jamais été aussi simple pour cette désespérée ruée vers l’or. Vingt-quatre prétendants pour seulement trois billets magiques.
Dans cette optique, Wolverhampton, et à moindre degré Fulham, représentent, peu importe la manière, pour les écuries de Championship le modèle économico-sportif idoine et le pari gagnant pour leur avenir à moyen terme, quitte à subir l’omniprésence des super-agents tels Jorge Mendes. Une stratégie qui, vous vous doutez bien, a un coût. Les loups ont dû essuyer plus de £64.8m en perte d’exploitation au terme de l’exercice financier 2017-2018, talonnés de près par les £59m et quelques miettes pour le compte des Cottagers. Autre exemple frappant pour cette délicate vision stratégique, Aston Villa a dû faire avec un manque à gagner de £95m la saison dernière et près de £44.000 en moyenne par semaine pour rémunérer ses joueurs.

L’état des lieux financier de l’antichambre de l’élite anglaise présente en effet un modèle qui se fissure au fil des saisons, laissant penser qu’un retour à la normale (et des normes), sauf exceptionnel basculement, n’est pas d’actualité. Un constat partagé par bon nombre d’observateurs, et plus particulièrement Kieran Maguire, expert en économie du football : « Le fait d’être si près de la Premier League et de ses richesses signifie que les clubs surpayent généralement leurs transferts, puisqu’ils parient sur une possible accession, avant de poursuivre sur le site de la BBC, Il y a des clubs qui pourchassent ce rêve d’aller décrocher un billet pour la Premier League et quand le pari s’avère être perdant, il doit y avoir quelqu’un pour payer la facture et s’ils n’y arrivent pas, le club risquerait ainsi le placement sous administration judiciaire. »
Et la Football League dans tout ça ?
Face à ces nombreuses zones d’ombre qui bouleversent toute approche stratégique rationnelle, et afin de retrouver une certaine marge de manœuvre, la English Football League a décidé, à l’aube de la saison 2016/2017, de mettre en place de nouvelles règles pour assurer la rentabilité et la durabilité des clubs (Profitability & Sustainabilty Rules). Un fair-play financier, calculé à partir du chiffre d’affaire et des dépenses opérationnelles (salaires et amortissements sur transferts inclus), qui aura pour but de limiter les pertes à £39m pour chaque club sur une durée de trois saisons, sous peine d’un embargo sur les transferts et d’un retrait de points pouvant atteindre les 12 points.
Un ensemble de règles qui n’impressionnent que peu de monde finalement, comme l’a si bien résumé Kieran Maguire : « Les pertes financières des clubs de Championship ont quasiment doublé au cours des cinq dernières saisons malgré l’existence du fair-play financier qui devait, en théorie, constituer une sorte de contrainte. » D’un point de vue factuel, il suffit de contempler la créativité des différents départements financiers pour se convaincre que ce système mis en place par la League est largement contournable et que la sanction infligée à Birmingham City (retrait de 9 points) en mars 2019 est loin d’être qu’un cas isolé dans un championnat gangrené par les dérives au sein des plus hautes sphères des clubs.
Entre la folie et le génie, la frontière est mince. La vente des stades, devenue une véritable hype chez plusieurs propriétaires à travers ses vides juridiques, reste sujet à débat et controverse pour ce qui constitue une échappatoire aux restrictions budgétaires. Derby County fait en ce sens l’objet d’une enquête de la League, qui estime que l’acquisition de Pride Park à hauteur de £80m fut surévaluée par Gellaw Newco 202 Limited, entreprise créée le 19 juin 2018 par, roulement de tambour… Mel Morris, omniprésent propriétaire du club, et dont l’acquisition du stade fut actée neuf jours plus tard, soit à deux jours de la fin d l’exercice comptable. Si cela reste moins visible que l’opération liée à Pride Park, les £700.000 versés pour le compte de la mère de Tom Ince en sa « fausse » qualité de Scout, afin de contourner les P&S Rules, feront grincer des dents chez les hauts placés de la League.
Autre mauvais élève qui risque la correctionnelle – Sheffield Wednesday, au-delà du contexte sportif mouvementé et du non moins créatif propriétaire Dejphon Chansiri, accumulent les casseroles et les idées abracadabrantesques. Outre le rachat de Hillsborough par l’homme d’affaires Thaïlandais pour la bagatelle de £60m, le club a conclu plusieurs contrats de sponsoring avec des entreprises dormantes appartenant à … je vous laisse deviner qui. Elev8, marque de boissons énergisantes pas encore commercialisables n’est tout autre que l’équipementier des Owls. D Taxis, «futur» prestataire de services de transport a trouvé place sur les panneaux publicitaires numériques de Hillsborough.
Pour les chiens de garde de l’équité sportive au sein du Championship en attente du dénouement final, tel le propriétaire et président de Middlesbrough Steve Gibson, Il faudra donc s’armer de patience.

L’hémorragie salariale, mal absolu
D’après une étude du cabinet de services financiers Deloitte, publiée la semaine dernière, la masse salariale des clubs de Championship la saison dernière est passée, par rapport à l a saison précédente, de £796m à £837m avec un chiffre d’affaire total estimé à hauteur de £785m. Le constat est sans appel, pour chaque £100 de chiffre d’affaire, les clubs supportent en moyenne £106 de masse salariale. Un ratio qui dépasse nettement les 70%, synonyme d’une santé financière plutôt saine à laquelle seuls West Bromwich Albion, Queens Park Rangers (qui pourtant partait de loin), Hull City et Rotherham Unitedont adhéré au terme de l’exercice comptable 2018-2019.
S’il apparait très clair que plusieurs clubs frôlent actuellement le scenario catastrophe, Reading présente sans nul doute le cas le plus extrême au terme de la saison 2017-2018. Sportivement, les Royals ont enchainé avec deux entraineurs, deux sorties prématurées des deux Cups et une triste vingtième place au classement, le tout devant un public du Madejski resté très évasif et peu présent. Pour couronner cet effroyable spectacle, les dirigeants de Reading ont dû régler £226 en masse salariale pour chaque £100 de chiffre d’affaire. Un indicateur record qui rendrait, presque, jaloux les £202 de Birmingham City sous le règne d’Harry Redknapp. Et comme si ça pouvait rééquilibrer quoi que ce soit, le club du Berkshire a accusé un résultat net lourdement déficitaire au terme de l’exercice précèdent, plus de £45m, à côté de sa grotesque politique salariale et ses £40.7m de masse salariale.

La fièvre dépensière en matière de salaires n’a pas échappé aux différents membres de staff des clubs de deuxième échelon. £191.000 annuels pour un physiothérapeute, soit trois fois la moyenne en championnat, £282.000 pour un préparateur physique, £50.000 pour des masseurs et un directeur exécutif d’un club des Midlands à £740.00 annuels… en Championship tout est dans la démesure.
Les propositions pour remédier à ce profond naufrage n’y manquent pas, une en particulier semble diviser plusieurs propriétaires de clubs : le Salary Cap. Toutefois, au regard de la spécificité de ce championnat, l’idée d’instaurer un plafond salarial tient déjà ses détracteurs. Trouver un juste milieu entre promus de League One et relégués de Premier League à la masse salariale mirobolante, reste de l’ordre de l’improbable, voire de l’impossible, encore plus dans l’approche stratégique actuelle de certains propriétaires de clubs.
A l’instar de la famille Coates à Stoke City, plus que jamais prêts à effacer les pertes amassées par le club dans la quête d’un retour au sein de l’élite du football anglais. Le retour à meilleure fortune des clubs de Championship se fera attendre, au risque de faire passer les bons élèves pour des désintéresses qui manquent d’ambition comme l’a si bien rappelé David Sharpe, ex-président de Wigan dans un entretien accordé à la BBC : « Si vous n’essayez pas de rivaliser avec certains clubs, alors vous aurez en fin de compte une pauvre équipe sur le terrain puisque vous avez la plus faible masse salariale et que vous essayez de faire fonctionner le club d’une façon raisonnable. »
Une chose est sûre, l’étrange modèle économique du championnat dépend beaucoup, énormément, des apports des milliardaires en liquidités. Une démarche périlleuse qui peut vite tourner au fiasco similaire au quotidien des Addicks ou, pire, prendre un tournant dramatique à l’image de Bury FC, déclaré en faillite et exclu de la League One en début de saison.
De facto, l’analyse du cabinet d’experts en finances du football, Vysyble, est allée quelque peu dans le même sens. £307m de pertes avant impôts enregistrés au cours de la saison 2017-2018 malgré les £749m de revenus records avec plus de la moitié des clubs à une masse salariale dépassant les revenus annuels.
Le Covid-19 catalyseur de changements ?
La crise du Covid-19 y laissera sans nul doute des traces indélébiles, avec des conséquences qui pourraient s’avérer très lourdes pour l’ensemble du foot anglais. La crise sanitaire aura poussé les clubs de Football League au bord du gouffre, Mais aussi contaminé tous les secteurs d’activité, y compris ceux dont bénéficient certains propriétaires, auparavant prêts à mettre la main à la poche, mais qui n’auront cependant plus les moyens de justifier les millions injectés dans leur club si la rentabilité de leur business est mise à mal.
Pour certains, la crise économique engendrée par le Covid-19 a été à double tranchant. Andrea Radrizzani, actionnaire majoritaire de Leeds United, a fait fortune dans les droits TV avec Eleven Sports. Matthew Benham, propriétaire de Brentford et la famille Coates, actionnaires principaux de Stoke City, sont implantés dans le marché des paris sportifs, omniprésents au sein de la pyramide du football anglais, respectivement à la tête de Smartodds et Bet365.
Ceux aux finances saines choisiront peut-être de rester, accuser le coup et attendre un retour à la normale, car, après tout, les 3 places accessibles pour la Premier League y seront encore. D’autres beaucoup plus sceptiques, verront en le Championship une disproportion manifeste entre les faibles revenus, beaucoup plus dépendants de la billetterie des Matchday par rapport à l’étage d’au-dessus, et les dépenses astronomiques que doivent essuyer les clubs. L’instauration du huis-clos se ressentira encore plus dans les caisses prévisionnelles des clubs, étant donné que l’English Football League distribue la dotation des droits TV (accord à hauteur de £595m sur une période de 5 saisons) à l’aube de chaque saison.
Face à de telles circonstances, La possibilité de faire appel à l’aide financière mise en place par le gouvernement anglais fait tache tout de même d’un point de vue éthique : « Nous pensons que le fait de placer les joueurs en chômage partiel serait illégal. C‘est certainement immoral, préconisait Gary Sweet, directeur exécutif de Luton Town, sur le sujet, jusqu’à présent nous avons eu recours à l’aide financière juste pour quelques membres du staff, seulement les moins rémunérés et qui sont au chômage technique. »
Au fur et à mesure que l’épidémie prenait de l’ampleur, quasiment tous les clubs, hormis Stoke City et Preston North End qui s’étaient engagés à verser l’intégralité des salaires, ont pu trouver un terrain d’entente avec leurs joueurs pour un report des salaires pouvant atteindre les 50%. Une épine de moins dans le pied des clubs de Championship, parmi tant d’autres, selon le Boss des Hatters: « Notre club fonctionne très bien avec un faible budget, cependant le coup s’est fait ressentir, donc je ne peux même pas imaginer l’état des clubs qui ont de manière répétitive et irresponsable enfreint le fair-play financier. »

Outre les reports des salaires, les clubs ont pu obtenir de l’autre côté une avance de £50m de la part de la League et £125m en provenance de la Premier League, à partager entre les clubs de Football League et National League. Une aide qui permettra d’amortir la chute et d’enlever un peu de pression sur les épaules des présidents sans pour autant atténuer les conséquences pour les prochaines saisons.
Car pour certains observateurs, la saison prochaine compte bien plus que celle-ci, dans un contexte où les clubs feront face au versement des salaires reportés, une campagne d’abonnements indécise, pour ce qui constitue une source de revenus vitale, et une certaine dévaluation de leurs éléments-clés sur un marché des transferts où les clubs de Premier League auront encore moins de problèmes à aller dénicher les pépites du championnat.
Les modèles économiques en Championship ne sont plus durables, sans la présence des propriétaires prêts à faire chèque sur chèque pour combler le manque à gagner des clubs. Des pertes qui ne risquent pas de chuter de sitôt, bien naturellement. La English Football League vit un tournant, comme un air de changement, pour le meilleur, comme pour le pire.